À la poursuite du lupin blanc
Comme Alice poursuivant le lapin blanc au Pays des merveilles, depuis cinq ans l’équipe du biologiste Benjamin Péret court après le lupin blanc.
Une plante, capable de capter des nutriments même dans des sols très pauvres, qui pourrait permettre de prévenir une future crise du phosphate. Le séquençage de son génome, réalisée pour la première fois au laboratoire BPMP de Montpellier, a permis d’identifier le gène responsable de cet étonnant pouvoir.
Si le lapin blanc d’Alice était “en retard toujours en retard“, le lupin blanc semble lui, avoir un temps d’avance sur les autres plantes de nos jardins. Reconnaissable à ces grandes grappes de fleurs blanches ou multicolores dans sa version ornementale, cette légumineuse était jusque là, surtout connue pour le croquant de ses graines servies en apéritif. Ce sont aujourd’hui ses racines qui intéressent la communauté scientifique et en particulier Benjamin Péret, chercheur au laboratoire de Biochimie et Physiologie Moléculaire des Plantes (BPMP). “Certains lupins ont la capacité extraordinaire de developper ce qu’on appelle des racines protéoïdes. C’est une spécificité que l’on retrouve chez très peu de plantes”, explique le biologiste. Des racines courtes et denses capables de capter plus efficacement les nutriments et notamment le phosphate et ce, même dans des sols très pauvres.
Des racines extraordinaires
Le phosphate est un nutriment indispensable à la croissance des plantes mais difficile à capter. “Même si le phosphore est présent en grande quantité dans le sol, il ne l’est pas toujours sous une forme assimilable pour les plantes. On estime par exemple que 80 % du phosphate contenu dans l’engrais ne peut pas être récupéré. Le lupin arrive à être beaucoup plus efficace.” Comment ? Grâce à un système racinaire spécifique capable de sécréter des enzymes conçues pour découper le phosphate des molécules organiques et le rendre ainsi disponible pour les végétaux. “Dans un sol riche en phosphate, le lupin va faire très peu de racines protéoïdes, dans un sol pauvre, il va en développer beaucoup” ajoute le biologiste.
Une réponse directe de l’organisme à son environnement typique des plantes, comme le souligne Laurence Marquès également membre de l’équipe Développement et plasticité du système racinaire : “Les animaux ou les hommes ne sont pas capables d’adapter leurs organes ou leurs membres à l’environnement alors que chez la plante il y a cette plasticité qui permet une interaction directe.” Pour aller plus loin les biologistes ont cherché à identifier le gène responsable du développement de ces étonnantes racines. “Nous voulons comprendre comment la plante transforme le signal phosphate en un signal moléculaire puis en réponse développementale” détaille Benjamin Péret.
Un premier séquençage du génome
Avec la collaboration de onze laboratoires de recherche français et européens, dont la plateforme de bio-informatique de Toulouse, l’équipe de Benjamin Péret a été la première à séquencer, assembler et rendre public les 38 528 gènes du génome du lupin. Un succès en soi, mais restait encore à démasquer parmi eux le gène responsable de la formation de ces racines protéoïdes.
C’est ici qu’entrent en jeu les mutants. “Toutes les plantes produisent naturellement des mutants. C’est un moteur de l’évolution qui permet l’apparition sur plusieurs milliers d’années de nouvelles fonctions grâce à de nouveaux gènes“. Le timing de Mère nature n’étant pas celui de la science, les chercheurs ont eu recours à différents procédés permettant d’augmenter le taux naturel de mutation et ont ainsi pu sélectionner 4 mutants sur les 25 000 testés. Pas de haricot magique ou de fleurs dotées de parole dans cette histoire là mais de simples lupins munis de racines protéoïdes surdéveloppées.
En comparant le génome de ces mutants avec celui d’un lupin ordinaire, l’équipe de Benjamin Péret est parvenue a identifier le gène qui en mutant, avait déclenché le développement de ces racines. “Nous avons constaté que lorsque la fonction de ce gène est perdue parce qu’il a muté, les plants de lupin font encore plus de racines protéoïdes. Ces mutants sont des outils fantastiques pour essayer de comprendre le mécanisme de formation de ces racines extraordinaires.”
Prévenir la crise du phosphate
Grâce à la localisation de ce gène, dont l’identité reste encore secrète, les biologistes envisagent un possible transfert sur des plantes de grande culture qui développeraient alors les mêmes racines que le lupin, avec à la clé de grosses économies de phosphate. Un enjeu important quand on sait que le phosphate, extrait de mines principalement situées au Maroc ou en Chine et constituant un véritable pilier de l’agriculture mondiale, pourrait venir à manquer dans les prochaines décennies faisant courir le risque d’une crise alimentaire sans précédent prévient Benjamin Péret : “Le phosphate ce n’est pas comme le pétrole, il n’y a pas d’alternative possible.”