« Allez-vous acheter moins de bouteilles en plastique ? » Une simple question peut changer nos comportements
Envisagez-vous d’acheter moins de bouteilles d’eau en plastique à l’avenir ? Peut-être pas, mais maintenant que la question vous a été posée, vous allez forcément y penser. Cet effet psychologique pourrait être utilisé pour inciter à diminuer à la consommation de plastique.
Bing Bai, Université de Montpellier; Laurie Balbo, Grenoble École de Management (GEM) et Marie-Christine Lichtlé, Université de Montpellier
Avec un taux de croissance de 73 % au cours de la dernière décennie, le marché de l’eau en bouteille est l’un de ceux qui connaissent la plus forte augmentation au niveau mondial. Malheureusement, cette consommation a des conséquences environnementales néfastes : augmentation des déchets plastiques, émissions de gaz à effet de serre liées à la production, le transport et la distribution des bouteilles ou encore surexploitation des ressources en eau pour produire de l’eau en bouteille. Ces impacts ne font qu’aggraver la crise écologique actuelle. Face à cette situation, la réduction de notre dépendance à l’eau embouteillée émerge comme un enjeu environnemental crucial.
En 2020, une étude de Futerra et OnePulse révèle que 80 % des sondés se disent prêts à changer leurs habitudes pour lutter contre le changement climatique et 50 % d’entre eux envisagent de limiter leur usage de plastique. Cependant, peu de recherches ont été dédiées aux stratégies de communication qui permettraient de diminuer la consommation d’eau en bouteille.
Les autoprophéties : une question pour favoriser le changement
Nos recherches explorent l’impact de ce que nous appelons les autoprophéties sur la réduction de l’achat d’eau en bouteille plastique aux États-Unis, en nous appuyant sur un échantillon de 269 personnes. Les autoprophéties désignent un phénomène psychologique selon lequel le simple fait de poser des questions aux individus sur leurs comportements futurs (par exemple : « Allez-vous recycler vos emballages ? ») peut accroître la probabilité qu’ils adoptent ces comportements. Notre étude analyse ce processus et examine comment des facteurs individuels peuvent en moduler les effets.
Des chercheurs ont montré que l’on peut expliquer les effets des autoprophéties grâce à la théorie de la dissonance cognitive. Lorsqu’une personne est invitée à prédire son comportement futur, elle peut prendre conscience d’un écart entre ses croyances normatives (ce qu’elle considère comme socialement désirable ou acceptable) et ses comportements. Cette incohérence suscite une dissonance, c’est-à-dire une contradiction, qui motive souvent les individus à modifier leurs actions pour mieux les aligner avec leurs valeurs.
Ressentir à l’avance la culpabilité d’une action contraire à nos valeurs
Dans notre étude, nous montrons le mécanisme émotionnel par lequel la demande d’autoprophétie influence les comportements pro-environnementaux, par l’intermédiaire de la culpabilité anticipée. Dans son ouvrage intitulé Une théorie de la dissonance cognitive, le psychosociologue américain Leon Festinger décrit la dissonance comme un état caractérisé par un inconfort psychologique, provoquant ainsi une aversion et une motivation à changer de comportement. Toutefois, il ne précise pas explicitement la nature de cet inconfort. Des théoriciens ultérieurs de la dissonance ont identifié la culpabilité comme une émotion provoquée par la dissonance dans certaines situations.
Nous avons exploré cette idée en nous concentrant spécifiquement sur la culpabilité, en formulant l’hypothèse que les individus anticipent ce sentiment lorsqu’ils envisagent de ne pas adopter un comportement écologique. C’est notamment le cas lorsque ce comportement est en accord avec leurs croyances normatives (c’est-à-dire les attentes sociales ou culturelles auxquelles se conformer dans certaines situations). Ainsi, cette anticipation de la culpabilité conduit à répondre à des demandes de comportements alignés sur des valeurs écologiques, pour éviter ce sentiment négatif.
Pour tester cette hypothèse, nous avons mesuré la culpabilité chez des participants exposés à une publicité contenant une question de prédiction dont le but était de réduire leurs achats d’eau en bouteille plastique. Ces participants ressentaient à l’avance davantage de culpabilité que ceux du groupe de contrôle, exposés à une publicité sans question de prédiction. Cette culpabilité anticipée réduit, à son tour, leur intention d’acheter de l’eau en bouteille.
Des effets qui varient selon les individus
Nous avons exploré deux facteurs pouvant influencer l’efficacité de la technique des autoprophéties : les croyances normatives et les motivations qui poussent les personnes à s’engager dans une action.
Des recherches antérieures ont souligné l’importance des croyances normatives. Les individus fortement attachés à leurs croyances sont plus enclins à prédire qu’ils adopteront des comportements en accord avec celles-ci et à les mettre réellement en place. Nous avons examiné comment différents types de normes influencent les intentions. En effet, certaines normes sont descriptives (ce que la majorité des gens font), d’autres sont injonctives (ce que nous pensons qu’il est attendu de nous) et enfin certaines sont personnelles (nos propres standards moraux internes).
Les résultats montrent que ces trois types de normes influencent directement le sentiment de culpabilité anticipée. Les participants pensent que la plupart des gens achètent moins de bouteilles, qu’il est socialement attendu de le faire, et que cela correspond à leurs convictions personnelles. Plus ces normes sont fortes, plus la culpabilité anticipée en cas de non-conformité augmente. Cependant, nous n’avons observé aucune interaction entre les normes et la question de prédiction. Cela suggère qu’une question de prédiction ne rend pas les croyances normatives plus saillantes au moment de la prédiction, et qu’elles ne guident donc pas les participants dans leur prise de décision.
Par ailleurs, nous avons étudié la motivation d’approche, c’est-à-dire le désir de s’engager dans des actions qui procurent des expériences positives ou des récompenses. Ainsi, nous pouvons mesurer un score dit de BAS (pour behavioral approach system, ou système d’approche comportementale) : les individus avec les plus forts scores ont plus tendance à essayer de remplir leurs objectifs, qu’ils soient concrets (par exemple atteindre ou saisir un objet), ou plus abstraits (par exemple l’altruisme ou la productivité). Ces individus fournissent des efforts accrus pour atteindre les buts qui leur procurent du plaisir, réduisant ainsi l’écart entre les objectifs qu’ils se sont fixés et ce qu’ils font en réalité.
Les plus enclins à la dissonance sont ceux qui remplissent le moins leurs objectifs
Contrairement à notre hypothèse, les individus qui ont une faible sensibilité aux récompenses et à la recherche d’expériences positives ressentent davantage de culpabilité que ceux avec un fort score. Notre interprétation est que bien que les individus qui ont un score faible à ce test soient moins motivés à agir pour atteindre leurs objectifs, ils prennent d’autant plus conscience de l’écart entre leurs comportements actuels et leurs normes personnelles lorsqu’on leur pose une question à ce propos. Cette conscience accrue de l’inadéquation entre leurs actions et leurs normes, même en l’absence d’une forte motivation, génère un sentiment de culpabilité anticipée plus fort. Par conséquent, bien qu’ils aient moins d’impulsion à agir, cette anticipation de la culpabilité accroît leur intention de réduire leur consommation de bouteilles en plastique.
À l’inverse, les individus avec un score élevé semblent intrinsèquement disposés à aligner leurs actions avec leurs normes, ce qui réduit leur dissonance cognitive. Ils semblent agir de manière proactive pour combler l’écart entre leurs comportements et leurs objectifs, diminuant ainsi la culpabilité anticipée.
Utiliser les autoprophéties dans les campagnes environnementales
Les résultats de notre étude ouvrent des perspectives pour les campagnes de sensibilisation environnementale. Les agences gouvernementales et les ONG peuvent aisément intégrer des questions de prédiction dans leurs communications pour favoriser des comportements écologiques.
Contrairement à de précédents résultats, nos résultats n’ont pas mis en évidence l’effet des croyances normatives sur l’efficacité des autoprophéties. Si un tel effet avait été observé, nous aurions constaté que plus les participants adhéraient à des croyances normatives fortes, plus leur comportement aurait été influencé par l’autoprédiction, en particulier en adaptant leurs actions pour correspondre à ces normes. Toutefois, la littérature montre que les normes personnelles influencent la façon dont les individus forment leurs intentions et adoptent des comportements écologiques. Nous recommandons donc d’avoir recours aux normes personnelles dans les campagnes utilisant des autoprophéties, par exemple en créant des messages qui mettent en avant la nécessité d’actions pro-environnementales et les conséquences de l’inaction.
Il convient également de noter que cette étude se concentre sur les intentions comportementales. Des recherches antérieures ont cependant montré les effets des autoprophéties sur les comportements réels (et non anticipés) et répétés dans le temps. Par exemple, certaines études ont documenté des améliorations dans le recyclage sur des périodes de quatre semaines après le protocole, ou encore une augmentation de la fréquentation des clubs de sport sur des périodes allant jusqu’à six mois après la prédiction. Ces différents résultats nous permettent de constater qu’une simple question, en exploitant un levier émotionnel, peut réellement inciter le public à changer ses pratiques.
Bing Bai, Doctorant en Marketing à l’Université de Montpellier – Attaché d’enseignement à l’EDHEC Business School, Université de Montpellier; Laurie Balbo, Professeure Associée en Marketing _ Directrice des Programmes MSc Marketing et MSc Digital Marketing & Data Analytics, Grenoble École de Management (GEM) et Marie-Christine Lichtlé, Professeur des Universités, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.