Au fin fond du désert australien, une expédition à la recherche de terres rares
Enseignante-chercheure et géologue depuis plus de 20 ans, j’ai eu l’occasion de faire de nombreuses missions de terrain durant ma carrière. L’expédition que je vais vous raconter, c’est ma dernière mission de terrain, au temps d’avant, prépandémie, lors de l’hiver austral 2019.
Bénédicte Cenki, Université de Montpellier
Enseignante-chercheure et géologue depuis plus de 20 ans, j’ai eu l’occasion de faire de nombreuses missions de terrain durant ma carrière. Avec à chaque fois, la même passion pour découvrir de nouveaux territoires, depuis l’Altiplano péruvien pour mon mémoire de maîtrise en 1997 (je voyageais dans une benne de camion remplie de pommes de terre), en passant par toutes ces années à arpenter les carrières actives de l’Inde du Sud pour ma thèse au début des années 2000, à toutes ces missions de terrain en montagne (voire en Via Ferrata à plus de 3000 m d’altitude au Mont-Emilius dans le Val d’Aoste en 2007) ou sur des îles grecques paradisiaques où les roches métamorphiques (roches transformées lors des processus tectoniques comme la formation des chaînes de montagnes) plongent dans une eau vert-bahamas et cristalline.
L’expédition que je vais vous raconter, c’est ma dernière mission de terrain, au temps d’avant, prépandémie, lors de l’hiver austral 2019.
L’objectif de cette mission était d’étudier des roches dans un secteur proche de Nolans Bore qui sera dans les prochaines années l’une de plus grandes mines de terres rares d’Australie dans les Territoire du Nord.
Les terres rares comme le lanthane, le cérium, le praséodyme, le néodyme, le thulium ou l’ytterbium sont des éléments chimiques essentiels aux nouvelles technologies (éoliennes, panneaux solaires, véhicules électriques).
Ces métaux sont considérés comme critiques, car, associé à cette importance économique, leur approvisionnement est fortement dépendant de la Chine.
Pourquoi aller chercher des terres rares en Australie centrale ?
Afin de prévenir les futurs problèmes économiques, géopolitiques et environnementaux, les pays occidentaux se lancent depuis une dizaine d’années dans de grands projets de recherche afin de diversifier à terme, les sources d’approvisionnement et d’assurer que leur extraction soit responsable et respectueuse des hommes, des femmes et de l’environnement.
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Étant lauréate d’un projet européen Marie Curie Horizon 2020, j’ai eu l’occasion de partir 18 mois en délégation à l’Université de Sydney afin d’acquérir des compétences complémentaires en modélisation numérique. Et j’en ai profité pour organiser une mission dans le désert australien, qu’on appelle le bush, pour évaluer le potentiel en terres rares des pegmatites du dôme métamorphique d’Entia (mise à l’affleurement en structure circulaire de roches partiellement fondues provenant de la croûte terrestre profonde lors de la formation de très anciennes chaînes de montagnes) en Australie centrale. Les pegmatites sont des produits de fusion de la croûte continentale riche en quartz, feldspaths et micas, mais aussi en métaux rares.
Pour cela j’ai invité deux collègues : Patrice Rey, tectonicien et modélisateur de l’Université de Sydney et Fleurice Parat, collègue pétrologue du magmatisme de l’Université de Montpellier.
Organiser une mission en autonomie totale dans le bush australien
Cette organisation minutieuse commence plusieurs mois en amont, car il ne faut ne rien laisser au hasard (il y aura de toute façon assez d’aléas le moment venu). Pour que cette mission soit un succès, il me faut absolument trouver les coordonnées GPS des gisements de terres rares répertoriés dans des archives des années 1990 du bureau des recherches géologiques du Territoire du Nord. En effet, après avoir été exploré de manière intensive pour l’uranium à la fin du XXe siècle, ce territoire a montré un intérêt notable pour les terres rares depuis le début du XXIe siècle (souvent les minéraux de terres rares sont également radioactifs ce complique aussi leur extraction).
Étant donné que nous n’aurons pas d’accès Internet, il me faut absolument préparer cette mission « à l’ancienne » : sélectionner les cibles dans des rapports vieux de plus de 30 ans, imprimer toutes les images satellites, cartes topographiques ou géologiques potentiellement nécessaires, acheter un chargeur solaire pour le GPS et l’Ipad qui nous permettront de naviguer dans le bush pour atteindre les cibles géologiques et bien sûr penser au téléphone satellite de Géosciences Montpellier et à la balise GPS d’urgence qui nous permettrait d’être retrouvés en cas de pépin grave (et bien l’enregistrer avant de quitter la civilisation !).
J’arrive à Alice Springs depuis Sydney le 11 juillet au matin, presque au même moment où ma collègue Fleurice arrive de France après 24 heures d’avion. Notre collègue Patrice nous rejoindra deux jours après. Nous sommes donc toutes les deux à prévoir la logistique et les courses essentielles. Nous partons avec un seul 4×4 et il nous faudra donc bien rester sur les pistes visibles depuis les images satellites sans risquer de les quitter.
Alice Springs est une bourgade d’environ 20 000 habitants, au centre de l’Australie, perdue à plusieurs milliers de km de la civilisation (1 500 km de Darwin vers le nord et Adélaïde vers le sud). Le supermarché local n’a rien du superflu de nos hypermarchés européens ou de la côte Pacifique huppée ! Mais on y trouve l’essentiel : de l’eau pour 15 jours (il n’y a aucune source là où nous allons), des pâtes, des légumes en conserve, des soupes lyophilisées, du thé, du müesli, des pâtes à tartiner, de la poudre vitaminée (type spiruline), table, chaises pliantes et vaisselle (que nous laisserons aux locaux après la mission), pelles (pour creuser les toilettes quotidiennes et individuelles), de la crème solaire, des grands chapeaux et… des filets anti-mouches ! Nous partons en autonomie totale, mais à la fois légère et minimaliste (ce qui me rassure c’est que mon collègue Patrice a maintes missions dans le bush derrière lui) : cuisine sur le feu (foyer creusé dans le sable de la crique), pas de générateur, pas de frigo donc nous emmenons uniquement de la nourriture qui se conserve à température ambiante et bien sûr une trousse de secours.
Le dôme métamorphique d’Entia est situé sur le terrain privé d’Ambalindum station, une immense ferme bovine de plusieurs milliers de km2. Mes demandes d’autorisation au siège social à Brisbane pour y accéder sont restées sans réponse, il faudra donc négocier l’accès sur place avec les fermiers le moment venu. Cela veut dire un détour de 300 km, sans même être sûr qu’ils vont nous recevoir !
Nous passons donc nos trois premières nuits d’acclimatation au camping de Hale River Homestead à Old Ambalindum (150 km à l’est d’Alice Springs). Après un coup de fil rapide à la fermière le deuxième soir, elle me dit de passer le lendemain à 7h du matin après leur débriefing matinal. Le soleil se lève dans un voile de poussière rouge et sèche, j’aperçois l’hélicoptère des fermiers dont les pales qui tournent brisent le silence matinal glacé. Nous nous garons devant la petite baraque de plain-pied qui accueille la réunion matinale. Nous ne sommes pas conviés à l’intérieur malgré une température de quelques degrés seulement. Nous attendons que la fermière arrive avec des cartes que nous déroulons sur le capot de la voiture. Elle hésite à nous donner l’autorisation d’accès, et nous répétons que nous ne sommes pas une compagnie minière, mais des universitaires, finalement le sésame c’était le nom d’un collègue de l’université d’Adélaïde qui est venu l’année précédente et qui avait fait bonne impression. Ouf la mission est sauvée. Nous partons pour six heures de route, pour entrer dans le dôme d’Entia par une piste praticable et sécurisée avec un seul et unique véhicule. Dernier stop pour remplir le réservoir de diesel avant la fin de la civilisation : la communauté aborigène d’Atitjere, reculée et tellement loin de notre vision occidentale du monde.
Notre quotidien pendant 10 jours au cœur du dôme d’Entia
Nous arrivons en fin d’après-midi à notre campement, au cœur du dôme ce qui nous permettra de rayonner quotidiennement, dans une crique asséchée que Patrice reconnaît pour être déjà venu plusieurs fois : ce coin de caillou c’est le coin cuisine (magnifiques migmatites !), là le sable est le plus confortable pour les tentes et là-bas ce sont les toilettes. Une fois notre campement installé, nous cuisinons notre premier dîner (des pâtes à la ratatouille !) à la belle étoile sur le feu de camp creusé dans le sable. C’est avec un bol de thé qui nous réchauffe les mains, il ne fait que quelques degrés, que nous profitons de notre première soirée sous l’immensité d’un magnifique ciel étoilé et dans un silence enveloppant, rassurant. La deuxième journée commence comme les suivantes, avec le rituel du matin au lever du soleil vers 6h30 : Patrice et Fleurice ravivent le feu, préparent le thé et le petit-déjeuner pendant que je vérifie que les appareils électroniques sont chargés, j’établis notre itinéraire de la journée et l’ordre de cibles géologiques à visiter. Très vite chacun trouve sa place naturellement dans ce type de mission et tout fonctionne parfaitement et simplement.
Les jours passent et se ressemblent : nous approchons le plus possible en 4×4 des points cibles en suivant les pistes visibles sur Google Earth. Puis nous partons à pied avec de l’eau, nos marteaux, carnets de terrain et GPS pour rejoindre l’affleurement sélectionné. Heureusement la végétation est clairsemée, maigre et le dénivelé faible, ce qui nous permet de naviguer en ligne droite et à vue : les pegmatites sont des roches de couleur très claire et donc bien visibles dans le paysage marron-ocre monotone. Arrivés sur l’affleurement Fleurice et moi sortons nos loupes pour essayer de repérer des minéraux rares aux noms barbares tels la samarskite, la fergussonite ou la monazite pendant que Patrice sort sa boussole pour effectuer des mesures et comparer la direction des pegmatites avec celle des roches encaissantes. Une équipe bien rodée et efficace ! Ces minéraux contiennent des terres rares lourdes comme le thulium ou l’ytterbium (utilisés dans les supraconducteurs, la radiothérapie ou les lasers infrarouges), mais aussi du niobium et du tantale (utilisés principalement dans les alliages pour l’aéronautique).
Un soir, en rentrant vers le camp, Patrice arrête le 4×4 près d’un réservoir à bétail, il grimpe les quelques barreaux de l’échelle et découvre que la trappe qui le couvre est ouverte : nous pourrons récupérer à partir de maintenant chaque soir un jerrican d’eau pour la vaisselle (et une douche au gobelet occasionnelle, quel luxe !).
Chaque soir nous rentrons peu avant la tombée de la nuit vers 18h, afin de profiter un maximum sur le terrain de la petite dizaine d’heures de lumière diurne de l’hiver austral. Le rituel du soir se fait donc souvent à la lampe frontale : récolter quelques herbes sèches pour rallumer le feu, cuisiner, faire la vaisselle avec un filet d’eau, trier les échantillons de la journée et mettre à jour les carnets de terrain tout en essayant de synthétiser toutes les informations et formuler et débattre des hypothèses scientifiques à tester ultérieurement. Un dernier coup d’œil à la Voie lactée et la croix du sud en sirotant un thé, avant de nous retirer chacun dans nos tentes vers 21h.
Les jours passent paisiblement et se ressemblent. Ce n’est que le dernier après-midi qui nous réserve une surprise : notre première (et dernière) rencontre avec le dingo, ce fameux chien sauvage icône du bush australien. Nous sommes au dernier affleurement, au cœur du sous-dôme d’Inkamulla. Nous discutons vivement sur la signification de structures plissées et essayons d’échantillonner soigneusement au burin et marteau des lamelles de roches présentant des plis importants pour la compréhension de la mise en place de cette structure géologique. La lumière du soir rend encore plus intense le rouge-ocre de la roche, de ses reliefs arrondis, accueillants et intemporels.
D’ailleurs, là on dirait une grotte aborigène, protégée des fauves, à quelques mètres de hauteur d’escalade facile. Quelques artefacts aborigènes trouvés dans la poussière en témoignent. Les ombres des eucalyptus au tronc blanc maculé et feuilles vert-clair, s’allongent au fil des minutes. C’est dans ce moment paisible et irréel, qu’un dingo s’approche nonchalamment de notre groupe en grande discussion géologique sur notre technique d’échantillonnage de ces petites bandes de cisaillement qu’il nous faudrait dater. Curieux, le dingo tourne autour de nous à quelques mètres de distance et va s’asseoir sur un rocher pour continuer à nous observer.
Et maintenant ?
Avant de reprendre l’avion pour la civilisation, nous passons à la poste d’Alice Springs pour envoyer vers la France les quatre barils d’échantillons que nous avons soigneusement répertoriés et emballés le dernier soir sur le parking du motel d’Alice Springs.
Depuis mon retour en France en août 2020, j’ai scié soigneusement chaque échantillon afin de faire des lames minces de 30 micromètres d’épaisseur qui vont pouvoir être étudiées au microscope optique puis au microscope électronique à balayage, à la microsonde électronique et au spectromètre de masse à ablation laser afin de quantifier les teneurs des minéraux en éléments chimiques majeurs et terres rares.
C’est un étudiant de Master 2 de la filière « géologie de l’exploration et des réservoirs », Jonas Nollo, qui nous fournit une aide précieuse sur le volet analytique de l’étude. Si les frontières rouvrent, je lui souhaite vivement de décrocher une bourse de thèse en Australie pour qu’il puisse poursuivre ce travail d’exploration des métaux critiques auxquelles appartiennent les terres rares : c’est un métier d’avenir, car la transition écologique doit se faire avec les géologues ! Les premiers résultats de notre étude seront communiqués début juillet 2021 au congrès annuel international Goldschmidt prévu (en virtuel) à Lyon. Grâce à une étude minutieuse, Jonas a pu mettre en évidence quatre familles de pegmatites avec des compositions minéralogiques différentes qui pourraient avoir des profondeurs et âges de formation très distincts, donc des potentiels en terres rares variés. Il va quantifier la composition chimique des éléments majeurs et critiques avec la microsonde électronique et le spectromètre de masse début mai.
Malheureusement, pour l’instant, l’étude microscopique ne nous a pas permis de retrouver les minéraux rares escomptés, mais beaucoup de pegmatites à grenat (qui contiennent des terres rares lourdes, mais en moindre concentration). Par contre Jonas a bien confirmé la présence de pegmatites à allanite contenant des terres rares légères au sud-ouest du dôme d’Entia (Lanthane, Cérium, Néodyme, Praséodyme). La science avance souvent à petits pas. Les grandes découvertes sont toujours précédées et portées par une multitude d’études fondamentales menées par de nombreux chercheur·e·s en collaboration de part le monde. Affaire à suivre…
Bénédicte Cenki, Associate professor at Montpellier University, EU H2020 MSCA visiting researcher at Sydney University, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.