Bienvenue à Coronaland ! Vers une zombification de l’humain ?

À force de travailler l’imaginaire des masses, le thème de l’apocalypse zombie a opéré une sensibilisation. Les incessants stimuli produits par les scénarios de contamination et les images de morts-vivants déclenchent des peurs, qui plus que le coronavirus lui-même, se propagent comme une traînée de poudre sur toute la planète.

Abdel Aouacheria, Université de Montpellier

Dans ‘Bienvenue à Zombieland’ (2009), les protagonistes doivent affronter les zombies et apprendre à s’entendre, et si on remplaçait zombie par coronavirus?
Allociné

Pour ne rien céder au virus, y compris et surtout dans notre propre humanité, pourquoi ne pas écouter ce que les zombies ont à nous dire de nous-mêmes ?

Des images de films apocalyptiques

Loin de la phraséologie officielle sur les stades de l’épidémie (1, 2 et bientôt 3), l’angoisse est palpable et des tensions éclatent çà et là.

Les émissions spéciales se succèdent, les chaînes d’informations délivrent leurs statistiques en temps réel (nombre de contaminés, de morts, de guérisons). Des images d’aéroports déserts et de villes en quarantaine, avec leurs enterrés vifs, semblent tout droit sorties des studios, rappelant World War Z (Marc Forster), L’Armée des morts (George Romero) et autres 28 Days later (Danny Boyle).

Trailer du film World War Z (2013).

La lutte contre le Covid-19 a déjà son martyr : Li Wenliang, médecin devenu héros pour avoir alerté le premier sur les dangers du virus, avant d’en mourir.

Les masques chirurgicaux et les gels désinfectants sont pris d’assaut dans les pharmacies, tandis que les produits de première nécessité disparaissent des supermarchés. Partout des évènements sont annulés, des écoles sont fermées. Les marchés financiers dévissent.

Avec l’éruption du coronavirus, le monde semble s’être mué en scène de tournage grandeur nature pour un nouveau film de zombies : bienvenue à Coronaland (inspiré du Bienvenue à Zombieland de Ruben Fleischer).

L’armée des morts (Dawn of the Dead, 1978) film culte de George Romero.

La menace virale brise les liens sociaux

Avec les menaces virales et les zombies, à la fois les habitudes et les espaces de vie s’ancrent dans des réalités conflictuelles. Si le coronavirus, comme la meute de zombies, se présente sous les traits d’une menace homogène, cette dernière se fait toujours révélatrice d’hétérogénéité et de clivage parmi les humains. C’est que le virus, comme le zombie, peut infecter tout un chacun, proches, voisins, collègues, faisant d’autrui un danger en puissance.

Même le Pape François a été sommé de montrer patte blanche, le Vatican n’étant pas épargné. La menace n’est plus seulement le virus lui-même, invisible, mais aussi le malade, bien visible et avec qui toute cohabitation devient problématique.

Les liens sociaux se délitent dans un mouvement centripète allant du virus au clan. Le virus, barbare venu des infravies – le monde des êtres interlopes qui ne répondent pas pleinement ou en permanence aux critères du vivant –, exacerbe la paranoïa, le rejet de l’étranger. On a ainsi rappelé les faits récents de racisme anti-chinois et même l’agression de touristes européens en Martinique. La panique conduit aussi à stigmatiser les migrants.

De nouvelles consignes prophylactiques sont mises en place pour régir le vivre ensemble comme la prohibition du contact physique (« saluer sans se serrer la main, éviter les embrassades » peut-on lire sur le site du gouvernement) qui de fait, préconise le vivre séparément.

Comme en cas de Zombie Apocalypse, des dynamiques de disjonction se mettent à primer : épargnés vs contaminés, malades prioritaires vs autres malades, sédentaires vs migrants, contrôleurs vs contrôlés, blouses blanches vs citoyens lambda…

Zombie Apocalypse, 2011.

L’avènement du biopolitique

Comme l’illustrent bien le film Land of the Dead (2005) ou la série télévisée The Walking Dead, l’espace zombifié suppose des territoires urbains surpeuplés et des lieux d’enfermement. On retrouve ainsi la présence de refuges bunkérisés, où se retranche un petit groupe d’humains sains, pris dans des logiques survivalistes.

Le pouvoir du « plus fort » est au cœur du discours de Negan, l’anti-héros de la série de Walking Dead (saison 6).

L’écrivain Max Brooks a d’ailleurs compilé ces lieux et ces pratiques sur un mode ludique dans son Guide de survie en territoire zombie. Cette logique d’enfermement n’est pas nouvelle : elle réitère les menaces politiques de la guerre froide et l’imminence de la bombe (on se souviendra de Time Machine de George Pal ou de Vivre dans la peur de Kurosawa).

On retrouve ensuite la mise en place de sites de quarantaine qui permettent le contrôle des populations au travers de dispositifs médico-disciplinaires : prise de la température, analyse des déplacements. Des libertés peuvent être suspendues au nom de la raison d’État, devenu garant de la santé publique.

C’est l’ère biopolitique : ce qui prime, c’est la mise en place d’une double logique disciplinaire, selon le mot de Michel Foucault, à savoir, arrêter le mal et améliorer l’exercice du pouvoir. La réquisition des stocks de masques en est un symbole.

Processus cellulaires et gestion de crise

Ces réactions se situent à mi-chemin entre l’apoptose collective – lorsque la cellule s’isole et s’autodétruit de façon contrôlée et méthodique par l’entremise d’un programme génétique – et la réponse cellulaire de danger.

Le but de ce dernier processus, introduit par le pathologiste américain Robert K. Naviaux, est d’aider à protéger la cellule à se protéger d’un stress ou d’un danger et d’amorcer le processus de guérison. Lorsque ce processus se retrouve bloqué, les cellules se comportent comme si la menace était toujours présente, avec pour effet d’empêcher l’achèvement du cycle de guérison.

Or, les réponses aux crises posent la question du retour à la normale, c’est-à-dire de la résilience. Nos sociétés peuvent-elles vraiment guérir de ces situations, perçues comme exceptionnelles et transitoires ? On notera que le néo-zombie (putréfié, cannibale, catatonique etc.) a vu le jour et s’est imposé dans l’après-11 septembre, dont nous ne sommes toujours pas sortis.

V-Wars, série sur Netflix, illustre bien l’avènement du néo-zombie (un peu vampire dans ce cas) en vogue depuis 2001.

On peut donc craindre que l’épisode en cours, succédant à celui du SRAS et de la grippe aviaire, continue de faire baisser le seuil de tolérance collective aux logiques sécuritaires et ségrégatives.

Le reflet de nos angoisses

Les zombies sont le reflet de nos angoisses notamment face à la mort, en même temps qu’une image possible de notre propre fin.

Le coronavirus, à l’image de la menace zombie, alimente les théories du complot et les rumeurs, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé de combattre.

Les premières mettent généralement en scène des expériences qui ont mal tourné (comme dans la franchise Resident Evil) ou servant des intérêts cachés (jusqu’à l’accusation d’un passage en force du 49-3). Des explications mystiques sont avancées, l’infection étant assimilée à un châtiment expiatoire ou une « réaction de Gaïa » pour limiter la masse des humains.

Resident Evil Ø, jeu sorti le 7 mars 2003.

Les secondes fabriquent des traitements miracles : la chloroquine, l’urine des enfants, la cocaïne et l’ail, (déjà en vogue contre les vampires). Les intox blâment aussi les boucs émissaires comme le pangolin ou la sempiternelle chauve-souris, qui peut faire l’objet de représailles.

La viralité au cœur de « Coronaland »

Les offres commerciales des marchands de l’hôpital se répandent aussi à la vitesse de la lumière, avec la vente de masques en kit. Cette viralité, c’est ce qui fait Coronaland. Tout et n’importe quoi peut s’y diffuser vite et de façon imprévisible.

Du principe de précaution aux intox, tout est bon pour pallier l’insupportable incertitude. La quête du patient zéro, décrite dans le film Contagion (les zombies en moins) s’inscrit également dans cette démarche, au point d’inquiéter le forum de Davos.

Le film Contagion, sorti en 2011 et réalisé par Steven Soderbergh connaît un regain d’enthousiasme depuis la crise de coronavirus.

Bien que les autorités redoublent d’efforts dans leur traque, cette dernière ne peut qu’accoucher d’une souris, surtout qu’il existe des porteurs asymptomatiques du coronavirus.

En outre, à quoi bon vouloir circonscrire le périmètre initial de la contamination à l’heure des écosystèmes globalisés ? On peut lire là une volonté de maîtrise face à une menace virale perçue comme irrationnelle, dépourvue de conscience, mouvante et mutante. C’est d’ailleurs ce qui avait amené Le Pentagone à publier un scénario à dérouler en cas d’invasion zombie (le CONPLAN 8888-11), sorte d’hyperbole de la pandémie virale.

Le zombie incarne le changement

Si l’infection a pu activer aussi rapidement l’imaginaire zombie, c’est peut-être parce que ce dernier vit aujourd’hui réellement, en nous.

Et si, avec la crise actuelle, la menace n’était pas surtout celle d’une zombification, d’une dé-civilisation de l’être humain ? « Le zombie incarne le changement », déclarait le réalisateur George Romero en 2008 à la revue Positif.

Pour le père des zombies modernes, ce qui est important c’est la manière dont les gens réagissent à la catastrophe, et non la menace elle-même.

Zombie Walk à Cannes, 2013. Les zombies consistent en des objets « complexes »..
Olivier06400/Wikimedia, CC BY

Ce que la métaphore zombie a à nous dire, c’est qu’il nous incombe de mitiger le joug de nos peurs primitives, de nous placer hors des diktats de l’instinct de survie, des fantasmes primaires et du consumérisme dont nous sommes la proie (autant que des virus).

Finalement, les objets « complexes » que sont les zombies nous placent entre les mains l’Évangile de la perdition cher à Edgar Morin. Objets complexes car les zombies comportent des déclinaisons non seulement en tant que phénomène de société (avec notamment la mode récente des « zombie walks »), de produits trans-médiatiques (cinéma, littérature, BD, jeux vidéo et musique) mais aussi en médecine, avec des pathologies dont les symptômes évoquent la putréfaction des zombies (comme l’ulcère de Buruli), en sciences naturelles (avec la manipulation de leurs hôtes par certains parasites) et en philosophie (avec le concept de zombie philosophique).

« Thriller » de Michael Jackson est sorti le 2 décembre 1983, marquant à jamais l’histoire des clips musicaux.

Partager la Terre avec une infinité de microbes a toujours été le lot de l’humanité, et pour longtemps encore. Le monde vivant cultive en outre une indifférence aveugle à l’égard du devenir de ses composants. Si l’humanité venait à disparaître (ou tout du moins à modifier ses comportements), le reste de la biosphère ne s’en porterait vraisemblablement que mieux, comme le suggère la baisse spectaculaire des niveaux de pollution en Chine.

Face aux maladies infectieuses qui nous ramènent à notre animalité, il nous faut répondre non seulement par plus de mesures d’hygiène, plus de recherche, mais aussi par plus d’humanité, c’est-à-dire de fraternité, de solidarité, de créativité et d’intelligence collective.


Cet article a été co-écrit Joachim Daniel Dupuis, docteur en philosophie, enseignant en cinéma, auteur du livre « Romero et les zombies, autopsie d’un mort-vivant » (L’Harmattan, 2014).The Conversation

Abdel Aouacheria, Biologiste, chargé de recherches au CNRS, spécialiste de la vie et de la mort des cellules., Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.