Ces métaux qui viennent à manquer, un enjeu pour les sociétés de demain
De nombreux métaux sont indispensables pour les technologies du XXIe siècle, et notamment de nombreuses technologies « vertes », par exemple les batteries, panneaux solaires, aimants d’éoliennes, ou encore la fibre optique. Certains de ces métaux sont dits « critiques », car leur approvisionnement est incertain.
Alexandre Cugerone, Université de Montpellier; Bénédicte Cenki-Tok, Université de Montpellier et Emilien OLIOT, Université de Montpellier
Nous cherchons à comprendre comment se concentrent certains métaux critiques dans la croûte terrestre pour les extraire plus facilement, afin d’inspirer de nouvelles méthodes d’exploration et de valorisation écoresponsable de certains déchets issus de l’exploitation minière passée, notamment en France et en Europe.
En effet, on trouve ces métaux critiques (terres rares, cobalt, lithium, platinoïdes, germanium, etc.) soit en infimes quantités, disséminés dans les minerais de base comme, par exemple le zinc et le cuivre, soit, parfois, dans des minéraux hyperconcentrés, plus petits qu’un dixième de millimètre. Pour bien comprendre cette différence fondamentale avec un exemple de tous les jours, considérons un seul gâteau au chocolat, avec du chocolat fondu réparti uniformément dans la pâte à gâteau, et des pépites de chocolat. Sous quelle forme le chocolat est-il le plus facile à récupérer pour les gourmands une fois le gâteau réalisé ? Les pépites bien sûr ! Le principe est le même dans notre étude : il est plus facile d’extraire les métaux critiques dans des petits minéraux concentrés (nos pépites de chocolat) plutôt que disséminés dans le minerai de base (le chocolat fondu dans la masse du gâteau).
L’approvisionnement difficile des métaux « de demain »
De nombreuses substances métalliques naturelles sont toujours exploitées aujourd’hui, comme les métaux de base et métaux ferreux (cuivre, zinc, fer, manganèse, etc.) ou les métaux précieux (or, argent, platine, etc.). Les « métaux technologiques », comme le « lithium », les « terres rares », le tungstène, ou d’autres métaux rares (germanium, gallium, indium), ont été rendus indispensables par la révolution numérique, et sont aussi cruciaux pour le développement de « technologies vertes ».
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Si nous continuons à extraire ces métaux technologiques, au rythme actuel et dans ces conditions, alors que la plupart sont considérés comme critiques, nous pourrions être confrontés à une crise d’approvisionnement et à des effets environnementaux importants.
Parmi ces métaux critiques, les éléments du groupe des « terres rares », mais aussi le lithium et le cobalt, sont essentiels aux nouvelles technologies automobiles et informatiques. Le tungstène est précieux dans certains alliages aéronautiques. Des métaux rares comme le gallium, le germanium et l’indium sont essentiels à la fabrication de la fibre optique, de panneaux solaires et de systèmes électroniques, et pourraient améliorer les rendements des batteries lithium-ion. Ces derniers sont extraits principalement en sous-produit du sulfure de zinc, dans lequel ils sont dilués.
Où sont concentrés les métaux rares et comment mieux les extraire ?
Notre étude montre que les métaux rares comme le germanium, le gallium et l’indium peuvent exister en infimes quantités, disséminés dans des cristaux de métaux de bases, mais aussi dans de petits minéraux porteurs hyperconcentrés. Nous avons mis en évidence que la déformation du minerai de sulfure de zinc, contemporaine de la formation de chaînes de montagnes, favorise la re-concentration du germanium dans des minéraux hyperconcentrés (nos pépites de chocolat) au cœur des chaînes de montagnes, ici, les Pyrénées.
En conséquence, il devient très intéressant de rechercher les sites miniers où la déformation par des processus géologiques naturels a joué un rôle de « concentrateur naturel » de métaux rares.
Ceci peut s’appliquer aux métaux rares énoncés, mais pourrait aussi apparaître pour d’autres métaux technologiques, comme les éléments du groupe des terres rares. De nombreux sites miniers ont anciennement été exploités pour leurs métaux de base (uniquement) et, actuellement, de nombreux terrils ou résidus miniers provenant de cette exploitation passée pourraient être valorisés. Il pourrait exister d’importantes concentrations en métaux rares dans ces terrils miniers, notamment dans les Pyrénées, le Massif central mais aussi dans les Alpes, ou dans les montagnes scandinaves du nord de l’Europe, et peuvent constituer de potentielles ressources en métaux rares.
De plus, quand un métal rare, par exemple le germanium, est disséminé dans le minerai, l’extraction est complexe, nécessite des processus hydrométallurgiques lourds et induit de fortes pertes durant son extraction. Par contre, si ces métaux rares sont concentrés (comme des pépites de chocolat dans un gâteau) dans de petits minéraux, leur séparation par divers procédés mécaniques pourrait être améliorée et être mieux exploitée, que ce soit dans les sites miniers actuels ou dans certains terrils ou déchets miniers.
Notre étude suggère des techniques rapides et peu coûteuses qui permettent de caractériser la texture minéralogique (taille et forme des cristaux) et la chimie d’échantillons de roches et d’y localiser les métaux rares et évaluer leur concentration et leur extraction potentielle.
Sortir de la dépendance européenne quasi totale des ressources métalliques ?
Actuellement, le marché mondial en métaux rares (gallium, germanium, indium) mais aussi en terres rares est dominé par la Chine. La dépendance de l’Europe est quasi totale vis-à-vis de l’Asie, des Amériques et de l’Afrique. Mais quelles seraient les conséquences économiques sur nos industries si une crise d’approvisionnement en ressources minérales, notamment en « métaux technologiques », se présentait entre nos pays ou continents ?
Impacts sociaux et environnementaux
L’importation de ressources métallifères pour nos technologies du XXIe siècle, dont certains avec une forte connotation « verte » ou « renouvelables », en provenance de pays lointains avec des règles environnementales d’exploitation laxistes ou inexistantes, est particulièrement paradoxale.
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Une solution ne serait-elle pas d’extraire nos métaux, par exemple dans certains terrils miniers riches en métaux critiques en Europe, de manières écoresponsables et respectueuses de l’environnement ? Nous avons besoin de mieux comprendre comment les minéraux critiques se forment et se concentrent en termes chimiques et géologiques, ce qui pourrait permettre de revisiter certaines anciennes mines et valoriser leurs terrils miniers.
Alexandre Cugerone, Docteur en Géosciences – Géologie Minière/Métallogénie – Géosciences Montpellier, Université de Montpellier; Bénédicte Cenki-Tok, Associate professor at Montpellier University, EU H2020 MSCA visiting researcher at Sydney University, Université de Montpellier et Emilien OLIOT, Maître de Conférences en Sciences de la Terre, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.