Compléments alimentaires, méditation, ostéopathie : quelle efficacité attendre des médecines douces ?
Les médecines douces sont aujourd’hui plébiscitées. Un régime par ci. Un complément alimentaire par-là. Des tisanes, du tai chi, des méthodes d’hypnose, des psychothérapies, des thérapies manuelles, des jeux vidéo, des objets connectés pour la santé, des oreillers ergonomiques…
Gregory Ninot, Université de Montpellier
La liste des produits et des méthodes proposés pour se soigner hors des traitements conventionnels semble infinie. Des médecines douces sont désormais accessibles dans les hôpitaux et dans les cabinets de généralistes ou de spécialistes. Plus de 100 millions de personnes y ont recours en Europe, selon l’enquête menée par le programme européen CAMBrella en 2012.
Ces solutions à nos problèmes de santé sont le plus souvent présentées comme efficaces et sans danger. Pourtant, toutes ne se valent pas. Partout dans le monde, des chercheurs ont entrepris d’évaluer leurs bénéfices et leurs risques sur la santé. Avec, déjà, des résultats solides.
Pour rendre ces connaissances plus accessibles, notre équipe des universités de Montpellier a lancé en février le tout premier moteur de recherche dédié à ces “interventions non médicamenteuses” (INM), baptisé Motrial. Une sorte de “Google des études sur les médecines douces”. Destiné aux chercheurs, il permet aussi à un médecin de savoir quoi proposer, par exemple, à un patient qui souffre du dos.
Médecines complémentaires ou médecines alternatives ?
La demande d’évaluation rigoureuse des médecines douces se fait de plus en plus pressante au fil des années. En 2011, la Haute autorité de santé (HAS) a appelé au “développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées”. En 2013, l’Académie de médecine a réclamé une utilisation plus pertinente des “thérapies complémentaires”.
Les citoyens s’en préoccupent aussi, comme le montre l’enquête publiée en 2014 par Eurocam, une fondation pour les médecines complémentaires et alternatives.
Car les questions qui se posent sont nombreuses : quels sont les bénéfices réels de ces interventions ? Quels risques font-elles courir à leurs utilisateurs ? Sont-elles des compléments ou des alternatives aux traitements conventionnels ? Offrent-elles une porte d’entrée à des abus, par exemple des arnaques financières, à une emprise psychologique amenant la personne à refuser les soins classiques, au recrutement par des sectes ? Doivent-elles être prescrites par un médecin ?
Un programme d’ostéopathie efficace contre le mal de dos
Parce que ce serait plus simple pour tout le monde, on aimerait que la science puisse trancher de manière globale et définitive sur l’efficacité de chaque discipline. L’ostéopathie, par exemple. Cette technique de manipulation des articulations et des muscles est maintenant bien connue. Alors, nous demande-t-on, ça marche, ou ça ne marche pas ?
Il n’existe pas de réponse sérieuse à une telle question. Par contre, nous pouvons attester des effets positifs d’une méthode précise d’ostéopathie dans un trouble donné, autrement dit une “intervention non médicamenteuse”. Ainsi, une étude britannique portant sur deux mois de séances prodiguées à des personnes souffrant d’une lombalgie (mal de dos) a pu montrer une diminution de l’intensité des douleurs.
De même, au lieu d’évoquer “les compléments alimentaires” en général, il faut se pencher sur un produit en particulier, avec un certain dosage sur une certaine durée, en rapport avec un problème de santé précis. Une équipe de chercheurs iraniens s’est ainsi intéressée au gel d’aloe vera. Ils ont observé qu’une capsule de 300 mg toutes les deux heures durant deux mois chez les personnes diabétiques (type 2) améliorait leur taux de sucre dans le sang – mais pas le taux de gras (lipides) dans le sang.
Des médecines douces… fondées sur les preuves
On assiste aujourd’hui à l’avènement d’une médecine fondée sur les preuves, avec des pratiques étayées par la science. Ce courant incite à sortir de la nébuleuse “médecines douces”. Les interventions non médicamenteuses (INM) doivent être étudiées avec la même exigence que les médicaments. A terme, chaque INM s’accompagnera d’une appellation reconnue à l’échelle mondiale, d’une description de son contenu, d’objectifs portant sur des indicateurs de santé, d’une population cible, d’une théorie explicative, de professionnels qualifiés prêts à la mettre en œuvre et de publications scientifiques la validant.
Les chercheurs qui évaluent ces interventions ont recours, déjà, aux essais cliniques – exactement comme pour une future chimiothérapie dans le cancer. Un essai clinique est une étude expérimentale qui compare les bénéfices et les risques sur la santé d’une solution chez un groupe de personnes à un ou plusieurs autres groupes appelés contrôle, ou placebo. Il permet de rompre avec la pensée magique, les effets de mode et les discours marketing qui accompagnent trop souvent les médecines douces.
Le nombre de ces essais ne cesse d’augmenter dans les INM depuis le début du siècle. Chaque année, plus de 50 000 nouvelles publications concernent des études cliniques ne portant pas sur des médicaments. Leur qualité méthodologique progresse aussi, à l’initiative notamment de collectifs de chercheurs. En France, le Collège universitaire interdisciplinaire de médecine intégrative et thérapies complémentaires (CUMIC) a été créé dans ce but en 2018, avec la coordination de deux professeurs de médecine Julien Nizard et Jacques Kopferschmitt.
Une méta-analyse sur l’activité physique et le cancer du sein
Un autre outil permet d’évaluer les INM : la méta-analyse. Il s’agit d’une revue systématique de la littérature scientifique, doublée de techniques statistiques. En combinant les données provenant de toutes les études pertinentes, ces méta-analyses fournissent des estimations plus fiables des effets d’une stratégie de soin ou de prévention que celles issues d’une seule étude. Les autorités de santé, les agences nationales et les sociétés savantes s’appuient fortement sur ces méta-synthèses pour émettre leurs recommandations.
Par exemple, la méta-analyse publiée en 2013 par notre laboratoire, Epsylon, a porté sur la dose d’activité physique utile pour réduire la fatigue durant les traitements du cancer du sein. Ce travail montre une diminution de la fatigue ressentie par les femmes, si leur pratique d’activité physique est inférieure à 2 heures par semaine. Cette méta-analyse repose sur 17 études ayant inclus au total 1380 patientes.
Toujours dans le cancer du sein, un autre exemple porte sur la psychothérapie. Une méta-analyse publiée en 2017 par une équipe allemande s’est intéressée à la méditation en pleine conscience, pratiquée en complément des traitements biologiques de la tumeur. Il s’agit de la méthode de l’américain John Kabat-Zinn, un programme de 8 semaines destiné à réduire le stress (Mindfulness Based Stress Reduction ou MBSR). Conclusion : comparativement aux soins courants seuls, ce programme apporte des bénéfices supplémentaires en agissant sur l’anxiété et la dépression. Cette méta-analyse a été réalisée à partir de 10 études ayant inclus 1709 patientes au total.
La thérapie comportementale, plus efficace contre la dépression que la luminothérapie
Cet outil permet aussi de comparer des INM entre elles. Ainsi, la méta-analyse d’une équipe néerlandaise publiée en 2017 a réuni 11 études (incluant 1041 patients) portant sur différentes manières de soigner une dépression en médecine générale. Entre une thérapie cognitivo-comportementale (TCC), un programme d’activité physique, une psychothérapie fondée sur la résolution de problème, un programme de changement comportemental et une luminothérapie, les auteurs concluent qu’une TCC semble être préférable – tout en encourageant de nouvelles études pour confirmer ce résultat.
Ce travail de méta-analyse, cependant, s’avère particulièrement long et difficile à mener quand il s’agit d’INM. C’est pourquoi nous avons lancé le méta-moteur de recherche Motrial, dans l’idée de faire gagner du temps aux chercheurs.
Motrial trie et organise les publications scientifiques en identifiant la publication principale, le numéro de déclaration au comité d’éthique, le numéro d’enregistrement du protocole aux autorités compétentes, les sources de financement, le nom du promoteur et le pays de réalisation de chaque étude. Il réalise automatiquement, en six minutes, ce qui peut prendre 6 mois manuellement.
Ainsi, les scientifiques se dotent peu à peu d’outils capables de les aider à distinguer le vrai du faux quant à l’efficacité des différentes médecines douces. Les espoirs qu’elles suscitent sont immenses. Ne serait-ce que pour cette seule raison, elles doivent pouvoir être évaluées avec autant de rigueur que des médicaments ou d’autres traitements biotechnologiques.
Gregory Ninot, Professeur en santé, psychologie et sciences du sport, Université de Montpellier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.