Déclin des insectes :  une base de données mondiale passée au crible montre l’urgence de revoir l’évaluation par les revues scientifiques

Face à la crise écologique, les bases de données se multiplient pour mesurer les tendances de la biodiversité, mais elles ne font pas l’objet d’une évaluation systématique. Laurence Gaume du laboratoire Amap (UM, CNRS) et Marion Desquilbet (TSE, INRAE) se sont penchées sur InsectChange publiée dans Ecology, compilant des séries temporelles d’abondance et de biomasse d’insectes à l’échelle mondiale. Leur analyse complète met en évidence plus de 500 erreurs de nature à remettre en cause les résultats obtenus à partir de cette base de données, notamment ceux de la méta-analyse publiée dans Science en 2020. Elle apporte aussi des éléments essentiels à l’amélioration d’InsectChange. Leur étude, recommandée par Peer Community in Ecology et publiée dans Peer Community Journal le 8 octobre 2024, pointe le problème de qualité des grosses bases de données. Tout en ouvrant des pistes méthodologiques, elle appelle les revues scientifiques à mettre en place des mesures protectrices contre ces effets délétères pour la science et la connaissance.

Lycène, papillon de la famille des Lycaenidae sur un bourgeon floral de Nepenthes dans le nord de l’île de Bornéo. © Michaël Guéroult/INRAE.

Le déclin des insectes génère des enjeux environnementaux, économiques et sociétaux majeurs. Une nouvelle publication scientifique tout juste parue dans Peer Community Journal identifie plus de 500 problèmes dans la base de données temporelles mondiale sur les insectes InsectChange, publiée dans Ecology en 2021.

Cette base de données s’appuyait sur une méta-analyse publiée dans Science en 2020 selon laquelle le déclin des insectes n’était pas aussi important qu’on le pensait et que l’agriculture n’était pas une des causes de ce déclin. Malgré des critiques internationales émanant de 65 scientifiques, seul un erratum minimaliste avait été publié, laissant les résultats de cette méta-analyse inchangés et fortement médiatisés, et véhiculant au grand public un message rassurant.

Cette publication de Laurence Gaume et Marion Desquilbet met à jour une multitude de nouveaux problèmes et décrypte leur origine et leur nature (comptage erroné transmis d’une base de données à l’autre, biais d’échantillonnage, unités de mesure non standardisées, données issues d’expérimentations, coordonnées géographiques des échantillonnages inadéquates pour mesurer l’impact de l’agriculture ou de l’urbanisation grâce aux données satellites de couverture des terres, etc..). Elle conclut que ces 553 problèmes catégorisés en erreurs, incohérences, problèmes méthodologiques et déficits d’information, remettent en cause toute tendance d’insectes estimée à partir d’InsectChange, et ne permettent pas de tester à partir de cette base de données si l’utilisation des terres est susceptible d’expliquer les tendances observées.

Ainsi, par exemple, de nombreux jeux de données concernant les milieux d’eau douce comprennent en réalité tous les invertébrés aquatiques et des augmentations « d’insectes » s’avèrent en fait des proliférations de moules invasives. En corrigeant ces données, les deux scientifiques trouvent que les tendances des insectes d’eau douce publiées dans Science ont été largement surestimées. Autre type de problème, la moitié des jeux de données d’InsectChange ne sont pas représentatifs de la dynamique des insectes en conditions naturelles. C’est le cas de libellules colonisant des mares expérimentales créées par un scientifique anglais pour les étudier. Ces données sont incorporées sans la mention du contexte expérimental, conduisant artificiellement à une augmentation de ces insectes. Par ailleurs, la transformation de ces données non standardisées telle qu’elle est faite dans la méta-analyse, compromet la comparaison des pentes des séries temporelles et l’estimation des tendances globales des insectes. Enfin, la couverture des terres agricoles autour des zones d’échantillonnage est largement surestimée, en partie à cause des coordonnées géographiques inexactes dans deux tiers des jeux de données, ce qui conduit à écarter les zones de cultures comme une cause possible du déclin des insectes.

Nécessité d’une évaluation systématique des données de référence en écologie

Ce constat soulève différents enjeux :

  • Il est primordial de veiller à la qualité des bases de données mondiales en écologie, qui se multiplient dans le contexte du déclin de la biodiversité. Notamment, cette publication apporte des informations détaillées et cruciales pour améliorer InsectChange et permettre son utilisation éclairée.
  • Cette publication développe une méthode d’analyse reproductible qui peut inspirer le développement de grilles d’évaluation systémiques de la qualité des bases de données.
  • Elle appelle les revues scientifiques à améliorer la revue par les pairs avant la publication et la prise en compte des commentaires après la publication, notamment pour les publications reposant sur des jeux de données importants, et particulièrement pour les revues de renom, intermédiaires privilégiés des journalistes.
  • Enfin, elle met en lumière le rôle important de l’organisation à but non lucratif Peer Community In, notamment leur démarche de science ouverte et d’évaluation indépendante et transparente qui participe à préserver l’intégrité scientifique et la qualité de la science.

Références liées à l’article :