Des cellules reprogrammées pour combattre le cancer
Soigner des patients atteints de cancer en modifiant génétiquement leur système immunitaire, c’est le principe des traitements par CAR-T cells. Une thérapie révolutionnaire qui sauve déjà des vies et ouvre de nouveaux horizons dans la lutte contre le cancer.
Plus qu’un nouveau concept thérapeutique, une révolution. On les appelle les CAR-T cells, pour Chimeric Antigen Receptor T-cells. Un anglicisme qui désigne une certaine catégorie de cellules de notre système immunitaire : les lymphocytes T. Mais pas n’importe quels lymphocytes : ceux-ci sont reprogrammés génétiquement pour combattre plus efficacement les cellules cancéreuses. Explications avec Guillaume Cartron, hématologue au CHU de Montpellier et professeur des universités.
« Une cellule cancéreuse est une cellule intelligente : elle est capable de leurrer notre système immunitaire en exprimant des protéines à sa surface qui la font passer pour une cellule normale aux yeux des lymphocytes. » Résultat : les lymphocytes T ne la reconnaissent pas comme une cellule à éliminer, ils ne la détruisent pas et le cancer prolifère.
Modifications génétiques
Pour détourner ce mécanisme, il fallait faire en sorte que les lymphocytes T reconnaissent efficacement les cellules cancéreuses afin qu’ils puissent s’activer à leur contact et les éliminer. C’est là toute la prouesse des CAR-T cells. Les chercheurs sont parvenus à modifier génétiquement ces lymphocytes T afin de les rendre plus efficaces. « Certaines cellules cancéreuses présentent à leur surface un antigène spécifique appelé CD19, les lymphocytes T sont donc modifiés pour les rendre capables de reconnaître cet antigène puis de détruire la cellule cancéreuse », explique Guillaume Cartron.
En pratique, les lymphocytes du patient sont prélevés à partir d’une simple prise de sang et envoyés en laboratoire. C’est là qu’ils sont génétiquement modifiés : un gène incluant une protéine de reconnaissance du fameux antigène CD19 et un gène permettant d’activer le lymphocyte T sont incorporés à leur génome. C’est le principe de l’immunothérapie, « on prend le meilleur de notre système immunitaire que l’on modifie pour combattre une cible plus efficacement », précise l’hématologue.
Détruire les cellules malignes
Après cette reprogrammation, les lymphocytes T sont multipliés afin de disposer d’une grande quantité de ces CAR-T cells. « Ce processus de reprogrammation et de multiplication dure environ 1 mois, ensuite les lymphocytes T génétiquement modifiés sont réinjectés au patient », explique Guillaume Cartron. Ils sont alors capables de reconnaître spécifiquement les cellules tumorales et de s’activer pour détruire ces cellules malignes.
Ce traitement a pour l’instant deux indications précises : il concerne les patients atteints d’un lymphome particulier appelé « diffus à grandes cellules B » ou d’une leucémie aigüe lymphoblastique. « Il est destiné spécifiquement à ceux dont la maladie est réfractaire aux traitements habituels ou en rechute après des traitements intensifs, qui présentent une espérance de vie inférieure à 10 % », précise le spécialiste. Grâce à ce traitement révolutionnaire, on passe de moins de 10 % de guérison à environ 50 % ! Avec cependant un bémol : la survenue d’effets secondaires importants qui nécessitent dans environ 30 % des cas un transfert en service de réanimation.
Nouveau concept thérapeutique
Le CHU de Montpellier fait partie des 6 centres français habilités à utiliser les CAR-T cells, et depuis janvier 2019, l’équipe d’hématologie a pris en charge 11 patients qui ont bénéficié de ce traitement. Aux États-Unis, où cette thérapie est utilisée depuis 5 ans, près de 300 patients en ont déjà bénéficié. Dans le monde, ce sont près de 1000 patients qui ont été soignés avec les CAR-T cells.
La recherche dans ce domaine se poursuit avec notamment l’ambition de procéder à une reprogrammation génétique qui limiterait les effets secondaires observés. Second objectif : utiliser les CAR-T cells pour soigner d’autres maladies. « Cette première thérapie génique a de nombreuses autres applications possibles, ajoute Guillaume Cartron, on peut notamment envisager de l’utiliser contre d’autres types de cancer mais aussi pour soigner par exemple les infections virales ou encore certaines maladies auto-immunes. C’est un nouveau concept thérapeutique qui a émergé, et la révolution n’en est qu’à ses débuts. »