Dialogue social : plus de transparence pour construire la confiance
Le projet de loi d’habilitation autorisant le gouvernement à réformer le code du travail par ordonnances vient d’être adopté par l’Assemblée nationale. Il faudra néanmoins attendre fin août pour que le contenu des ordonnances soit présenté aux partenaires sociaux.
Marie-Anne Verdier, Université de Toulouse 3 Paul Sabatier; Christophe Godowski, Université Toulouse 1 Capitole et Emmanuelle Nègre, Université de Montpellier
L’objectif affiché du nouveau gouvernement est de décentraliser le dialogue social au niveau de l’entreprise, en réservant les interventions législatives aux seuls droits fondamentaux. Au-delà des doutes qui peuvent être émis sur la pertinence d’un tel projet, celui-ci se heurte à un écueil central : la défiance qui règne aujourd’hui au sein de nombreuses entreprises françaises.
Une part importante des salariés n’a pas confiance en ses dirigeants
80 % des dirigeants interrogés dans le cadre d’une étude récente considèrent que le dialogue social s’améliore dans leur entreprise, mais moins de la moitié des salariés partage cette opinion. Seulement 55 % d’entre eux estiment vivre une relation de confiance avec leurs dirigeants.
“Ils nous disent sans cesse que les affaires sont mauvaises. Ils nous demandent de nous serrer la ceinture. Mais peut-on les croire ? On n’a aucun moyen de vérifier, on se fait trimballer…”.
Lorsqu’on interroge les membres de comités d’entreprise, comme nous l’avons fait dans le cadre d’une recherche menée tout au long de l’année 2016, cette absence de confiance saute aux yeux.
La situation est particulièrement délicate lorsque des réductions d’effectifs sont à l’ordre du jour, tournant vite au rapport de force. Les dirigeants maîtrisent l’art et la manière de présenter les résultats comptables de leur entreprise afin de justifier la politique sociale menée. Jennifer Boutant et Marie-Anne Verdier, de l’Université de Toulouse, ont montré, dans une recherche publiée l’an dernier, que ces professionnels parvenaient à minimiser sensiblement les résultats de l’entreprise (en moyenne de 4 %) avant l’annonce de réduction d’effectifs.
Une recherche d’Emmanuelle Nègre et Marie-Anne Verdier, co-écrite avec Charles Cho et Den Patten, met pour sa part en évidence le décalage fréquent entre les raisons invoquées par les dirigeants afin de justifier de telles opérations et la situation économique réelle de l’entreprise.
Les élus du personnel soupçonnent bien évidemment ces manipulations, mais ne parviennent généralement pas à décrypter les comptes. La défiance qui en résulte est massive et réduit d’emblée les possibilités d’un dialogue social constructif.
La situation de l’entreprise échappe aux salariés
Depuis 1945, la loi permet pourtant aux comités d’entreprise de faire appel à un expert-comptable pour comprendre précisément la situation financière et rééquilibrer le rapport de force avec les dirigeants.
Cet appel à un expert peut se faire non seulement lors d’événements particuliers, mais aussi chaque année, dans le cadre de l’examen des comptes annuels. Pourtant, seul un comité d’entreprise sur trois environ recourt à ces professionnels du chiffre.
Comment expliquer cette faible utilisation d’un dispositif en principe ouvert à tous ?
Le fait que l’entreprise doive (à juste titre) supporter le coût de ces missions constitue un frein, notamment dans les PME qui forment l’essentiel du tissu économique français.
Certains dirigeants traînent des pieds et sont tentés de faire pression sur les élus. Ils n’hésitent pas à exercer une forme de chantage en avançant, par exemple, que les sommes consacrées à cette dépense pourraient servir plus utilement au versement de primes.
Dans un tel contexte de pressions et conflits, certains élus préfèrent se focaliser sur les activités sociales et culturelles, plutôt que sur les prérogatives économiques. Dans les grandes entreprises, l’intervention d’experts-comptables au service des comités d’entreprises est plus fréquente.
Bien qu’habituées à la venue de tels experts, les directions ne sont pas enchantées par cet exercice de transparence. Dommage. En effet, lorsque des experts-comptables interviennent de manière régulière auprès des élus du personnel, nous constatons que la relation entre les salariés et la direction évolue progressivement.
Les premiers comprennent mieux les enjeux économiques et ont certaines cartes en mains pour discuter les décisions de l’entreprise. Les seconds peuvent être intéressés par l’éclairage apporté par un expert indépendant. Une certaine forme de confiance commence alors à s’instaurer, contribuant ainsi à la mise en place d’un véritable dialogue social.
Une telle évolution n’est pas hors de portée. Considérer l’intervention de professionnels du chiffre auprès des comités d’entreprise, non pas comme un droit théorique mais comme une véritable nécessité, implique d’informer systématiquement les élus de cette possibilité.
Nos recherches montrent en effet que le non-recours à l’expert est parfois lié simplement à la méconnaissance du dispositif. Faire monter en compétences les élus est aujourd’hui un enjeu majeur pour tenter de rééquilibrer le rapport de force entre dirigeants et salariés.
Marie-Anne Verdier, Maître de Conférences, Université de Toulouse 3 Paul Sabatier; Christophe Godowski, Maitre de Conférences HDR en Sciences de Gestion, IAE Toulouse, Université Toulouse 1 Capitole et Emmanuelle Nègre, Maître de Conférences en sciences de gestion, Montpellier Research in Management, Université de Montpellier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.