Dis-moi ce que tu ne manges pas et je te dirai qui tu es
Quelles relations les végétariens entretiennent entre eux et avec le reste de la société ? Une vaste question tant les pratiques alimentaires sont un élément puissant de l’identité sociale. Ce projet est soutenu par l’I-SITE MUSE dans le cadre de son programme de soutien à la recherche 2017.
Le phénomène végétarien en France ? En chiffres, il reste marginal. 2 % de la population est végétarienne en 2017 selon la dernière enquête Nutrinet. « Mais les personnes qui déclarent réduire plus ou moins drastiquement leur consommation de viande représenteraient selon les sources de 25 à 40% de la population, donc le phénomène dépasse largement la minorité de végétariens recensés », pointe Lucie Sirieix. Professeur à l’Institut Agro, Montpellier Supagro, la spécialiste du comportement des consommateurs de l’UMR MOISA conduit un projet de recherche sur les influences sociales autour du végétarisme. Pratique plurielle, alors que les régimes se déclinent entre les végétariens qui ne mangent pas de viande, les végétaliens qui ne mangent aucun produit animal et les végans qui les bannissent de leur vie et pas seulement de leur alimentation (excluant par exemple le cuir pour les vêtements). A ceux-là s’ajoutent les «flexitariens » qui, même si le terme n’est pas strictement défini, sont en général décrits comme adoptant un régime végétarien mais mangeant occasionnellement de la viande.
100% en sciences humaines
Conduite avec Gilles Séré de Lanauze, maître de conférences à l’Université de Montpellier, cette étude des comportements alimentaires est financée par Muse. 100% en sciences humaines, elle fait la part belle aux approches qualitatives. Une première enquête auprès de 25 jeunes pratiquant divers régimes végétariens interroge l’adoption du végétarisme, ainsi que les relations entre végétariens d’une part, et entre les végétariens et le reste de la société d’autre part. Une dimension importante car les contraintes pratiques et sociales induites par de tels régimes, somme toute relativement marginaux dans la société, conduisent à repenser les relations aux autres.
Concernant les motivations pour devenir végétarien, sans surprise, la préoccupation pour le bien-être animal est celle la plus couramment citée. La question animale prend des formes très variées, la plus radicale étant l’antispécisme, qui défend le même traitement pour toutes les espèces, humaine et non-humaines. Les motivations relèvent aussi de préoccupations plus individuelles pour la santé et le bien-être, ou au contraire plus large pour l’environnement.
« Ce qui nous a intéressés, au-delà de la diversité des motivations, c’est la distance perçue – ou non – entre la communauté végétarienne et le reste de la société », raconte Lucie Sirieix. Certaines personnes interrogées pointent ainsi la normalité de leurs pratiques et d’autres au contraire leur antagonisme fort avec le reste de la société. Par exemple, pour T., le végétarisme « parle de trucs qui sont communément admis dans la société », alors qu’à l’inverse, L. estime que « dans la société d’aujourd’hui il est encore inconcevable d’être végétarien malgré la mode, malgré tout ce que tu veux ».
Passage à l’acte
Pratique individuelle ou/et communautaire, là encore les réponses sont multiples. « J’ai réellement le sentiment d’appartenir à une communauté, j’apprécie d’ailleurs beaucoup ce sentiment d’appartenance. C’est un peu comme les supporters d’un club de foot », dit M. alors que N. affirme : « je ne suis pas du tout communauté, ghetto… les trucs comme ça je n’aime pas ». Et les communautés citées sont diverses : , des communautés d’idées (l’association L214, l’Association des végétariens de France), des communautés virtuelles (un groupe Facebook local) ou physiques (des collègues d’un fast-food végétarien…)
Autre aspect saillant des interviews, le passage à l’acte. « L’élément qui m’a vraiment décidé était un reportage en particulier, qui dénonçait la surproduction, l’industrie agroalimentaire qui exploitait les animaux en les conditionnant de façon déplorable et en les gavant d’antibiotiques juste dans le but d’accroître leurs production et rendements », raconte M.. La décision définitive d’arrêter de consommer des produits animaux est souvent motivée par un événement déclencheur. En particulier des manifestations de cruauté envers les animaux, mais aussi une mauvaise expérience personnelle ou l’influence d’un proche ou d’un médecin.
Dans les récits, les difficultés avec l’entourage sont récurrentes. « Les relations avec la famille sont apparues dans certains cas plus difficiles que les relations avec les amis, les réticences des parents provenant souvent d’une crainte pour la santé de leur enfant, mais elles ont aussi souvent progressivement laissé place à une grande tolérance, voire à un changement de pratique partagé au sein du foyer », explique Lucie Sirieix.
Le projet en sciences humaines n’a pas fini de dévoiler ses trouvailles, tant les pratiques alimentaires sont un élément puissant de la construction de l’identité sociale. Une autre étude qui porte cette fois sur quinze récits de vie est en cours d’analyse. Quant au volet quantitatif, il a pris du retard avec la crise de la Covid-19, mais apportera des chiffres grâce à une enquête auprès de plusieurs centaines de personnes attendue cette année.