Ebola, toujours là ?
Des patients qui souffrent encore plus de 4 ans après leur guérison, et un virus qui joue à cache-cache avec notre système immunitaire. C’est l’objet des travaux menés par Alpha Keita et Eric Delaporte avec les équipes de TransVIHMI et du CERFIG, qui ont mis en évidence un véritable changement de paradigme dans la transmission du virus Ebola.
C’est un mot qui sonne comme un titre de film catastrophe de série B : Ebola. Une maladie qui débride l’imagination des scénaristes, mais qui pèse lourd sur le quotidien de milliers de personnes. Et qui peut les affecter pendant bien plus longtemps qu’on ne le croyait. C’est ce qu’on mis en évidence le médecin Eric Delaporte et le virologue Alpha Keita, chercheurs au laboratoire TransVIHMI. Ces derniers suivent depuis plus de quatre ans 722 survivants de la grande épidémie d’Ebola qui a eu lieu en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Déclarés guéris « c’est à dire qu’on ne trouvait plus de virus dans leur sang » précise Alpha Keita, certains d’entre eux présentent encore des séquelles, plus de 4 ans après leur guérison.
Ebola long
Cette cohorte de patients appelée PostEboGui a été suivie de près par les chercheurs de l’IRD, l’Inserm, l’Université de Montpellier, l’Université de Conakry et le Cerfig (Centre de recherche et de formation en infectiologie en Guinée) qui ont retrouvé des symptômes chez 1 patient sur 3. Maux de tête, vertiges, fièvre, fatigue, anorexie, douleurs abdominales ou musculo-squelettiques, anxiété, dépression… la liste des symptômes de ce que les chercheurs considèrent désormais comme un « Ebola long » – par analogie avec le Covid long – l’est tout autant.
« Ces symptômes sont de plusieurs types, explique Eric Delaporte. Ils peuvent être liés à un syndrome post-traumatique ou directement à l’attaque du virus et aux dommages qu’il a causés sur l’organisme ». Mais ils peuvent également être provoqués par le virus qui se niche dans des endroits de l’organisme particuliers, comme l’œil, les articulations ou le cerveau, où il persiste longtemps après la guérison, provoquant une inflammation chronique responsable de douleurs sur le long terme. « C’est ce qu’on appelle des lieux de privilège immun car ce sont des endroits où les anticorps n’interviennent pas », explique Eric Delaporte.
Cache-cache immunitaire
Bien à l’abri, le virus Ebola peut donc persister des années dans l’organisme… Et ressortir de sa cachette quand bon lui semble ? C’est en tout cas ce qui pourrait avoir donné lieu à la nouvelle épidémie d’Ebola survenue en février 2021 en Guinée. Pour connaître l’origine de cette nouvelle épidémie, les chercheurs ont analysé le génome du virus prélevé sur des patients et ont obtenu des résultats surprenants. « Nous nous sommes aperçus que ce dernier était très semblable à celui qui avait provoqué l’épidémie terminée en 2016, c’est donc que l’épidémie de 2021 avait été provoquée par la résurgence d’une source persistante, très probablement un hôte humain chez qui le virus serait resté caché pendant tout ce temps », complète Alpha Keita.
Un véritable changement de paradigme pour les chercheurs, car « pendant longtemps, on a pensé qu’à chaque nouvelle épidémie le virus était introduit dans la population via un contact avec la faune sauvage, passant ainsi de l’animal à l’homme », explique Eric Delaporte.
Le virus, bien à l’abri dans ces réservoirs viraux, pourrait ainsi provoquer une rechute des années plus tard chez un patient considéré comme guéri. Il pourrait même être transmis par ces « porteurs sains » à d’autres individus qui eux vont déclarer la maladie. « Les testicules sont un autre lieu de privilège immun, Ebola peut ainsi être transmis par voie sexuelle. On a déjà documenté un cas où selon toute évidence un survivant avait transmis le virus à sa compagne via le sperme, et ce des mois après qu’il ait été déclaré guéri », complète Eric Delaporte.
Stigmatisation
Des révélations qui – si elles éclairent d’un jour nouveau ces épidémies – doivent cependant être traitées avec beaucoup de précautions selon les chercheurs. « Rien de tout cela ne permet d’affirmer que c’est précisément un survivant d’Ebola qui est à l’origine de cette nouvelle épidémie, mettent-ils en garde. Elle peut très bien être repartie également d’un patient asymptomatique ». Une précision capitale quand on sait que les survivants d’Ebola sont déjà victimes de stigmatisation : « ils peuvent perdre leur travail, leur foyer, ils sont parfois même rejetés par leur communauté, une stigmatisation qui risque d’être encore exacerbée si on communique mal autour de cette question », souligne Eric Delaporte. « En Guinée, 16 % des individus ont des anticorps contre Ebola. Pour ce qu’on en sait, chacun peut se considérer comme le point de départ de cette épidémie », conclut Alpha Keita.
Ces résultats inédits invitent en tout cas à accompagner les patients Ebola longtemps après leur guérison. « Les séquelles à long terme peuvent avoir un impact négatif majeur sur la santé, la qualité de vie des survivants et leur aptitude au travail. Il est important de continuer à les suivre sur le long terme, non seulement pour améliorer leur prise en charge mais aussi pour prévenir d’éventuelles résurgences de virus », conclut Eric Delaporte.
Riposte internationale
Quel est le pronostic pour un patient atteint du virus Ebola ? « On a longtemps pensé qu’une infection à Ebola était toujours synonyme de mort », rappelle le docteur Eric Delaporte. Cette maladie qui débute par une simple diarrhée fébrile peut en effet évoluer vers un syndrome hémorragique et une atteinte de tous les organes alors fatale. « Mais c’était avant la grande épidémie de 2013, détaille le chercheur du laboratoire TransVIHMI. La peur de voir le virus se répandre sur la planète a provoqué une riposte internationale. Enfin des moyens ont été alloués et la recherche a considérablement progressé. Désormais nous disposons d’un vaccin, mais aussi de traitements efficaces à base d’anticorps monoclonaux anti-Ebola ».