En France, les moustiques transmettent aussi le virus Usutu
Les faits se sont passés il y a deux ans, mais les scientifiques viennent seulement de découvrir qu’il s’agissait du premier cas d’infection humaine au virus Usutu en France. Le 10 novembre 2016, un homme de 39 ans a été hospitalisé trois jours en neurologie au CHU de Montpellier pour une paralysie soudaine de la moitié du visage.
Yannick Simonin, Université de Montpellier
Le patient a récupéré toutes ses facultés en quelques semaines, sans séquelle. Des analyses menées par la suite ont montré qu’il avait été infecté par ce virus.
Ce sont les travaux réalisés par notre équipe de biologistes de l’université de Montpellier, de l’Inserm et du CHU de Montpellier, qui ont permis de comprendre l’origine des troubles présentés par cet homme. Nous avons analysé 666 prélèvements de liquide céphalo-rachidien réalisés chez des patients hospitalisés en 2016 à Montpellier et à Nîmes, comme expliqué dans l’article que nous venons de publier dans la revue Infectious Emerging Diseases. Un seul a révélé la présence du virus Usutu : le sien.
Le scénario le plus probable est que cet homme a été infecté par un moustique, après que celui-ci ait piqué un oiseau, réservoir de ce virus. Transmis à l’humain principalement par le moustique Culex, commun en France, ce virus circule dans notre pays depuis au moins 2015, selon une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses). Avec le chikungunya, la dengue et le Nil occidental, Usutu fait désormais partie des virus transmis par les moustiques ayant provoqué au moins un cas autochtone en France – c’est-à-dire chez une personne n’ayant pas voyagé dans un pays étranger. Si Usutu n’est pas le plus redoutable de ces virus que les Français doivent apprendre à côtoyer, il mérite cependant l’attention des scientifiques et des autorités sanitaires.
Un nom tiré d’une rivière du Swaziland, en Afrique
Le virus Usutu était un illustre inconnu jusqu’à peu. Il attire l’attention de la communauté scientifique en raison de sa propagation importante en Europe. L’Usutu est un arbovirus de la famille des Flaviviridae et du genre flavivirus, composé de plus de 70 membres.
Parmi ceux-ci, on retrouve quelques-uns des arbovirus les plus dangereux pour l’Homme, comme le virus Zika, de la dengue, de la fièvre jaune, ou de la fièvre du Nil occidental. Usutu a été baptisé d’après la rivière du même nom située dans le Swaziland, petit pays d’Afrique ayant une frontière commune avec l’Afrique du Sud. Il y a été́ identifié pour la première fois, en 1959.
Peu de choses sont connues concernant les cellules cibles d’Usutu. Néanmoins notre équipe a décrit récemment sa capacité, comme d’autres flavivirus, à infecter in vitro (en laboratoire) des cellules du système nerveux.
Des oiseaux pour hôtes, des moustiques pour vecteurs
Le cycle naturel de transmission d’Usutu est un cycle enzootique, c’est-à-dire localisé dans une zone donnée. Il implique principalement les oiseaux passeriformes (par exemple les merles ou les pies) et strigiformes (par exemple, les chouettes lapones) comme hôtes « amplificateurs », c’est-à-dire permettant la multiplication active du virus. Ce sont les moustiques ornithophiles (piquant les oiseaux) qui lui servent de vecteurs lors de la transmission à l’humain.
Différents travaux ont démontré l’implication de plusieurs espèces de moustiques dans l’entretien du cycle d’Usutu au sein de l’avifaune, c’est-à-dire les oiseaux occupant un même lieu. Le virus ainsi été isolé chez les moustiques Aedes albopictus (plus connu sous le nom de moustique tigre), Aedes caspiuis, Anopheles maculipennis, Culex quinquefasciatus, Culex perexiguus, Culex perfuscus, Coquillettidia aurites, Mansonia Africana et Culex pipiens. Ces différentes espèces sont ornithophiles mais piquent aussi l’humain.
Les moustiques transmettent le virus aux humains, ainsi qu’aux chevaux. Ces espèces sont sensibles à Usutu mais considérées comme des hôtes accidentels et des « impasses » épidémiologiques – c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas transmettre le virus à un congénère.
Une mortalité importante chez les oiseaux
Usutu a également été mis en évidence chez de nombreuses espèces d’oiseaux. Plusieurs espèces migratrices seraient responsables de l’introduction d’Usutu en Europe, alors que d’autres seraient responsables de sa propagation. Parmi celles sensibles à l’infection par Usutu, les merles noirs ou Turdus merula présentent le taux de mortalité le plus élevé.
Des troubles nerveux centraux ont été rapportés chez les oiseaux infectés par Usutu. Ceux-ci manifestent une prostration, une désorientation, une incoordination motrice et une perte de poids. L’autopsie a révélé fréquemment une inflammation du foie (hépatomégalie) et de la rate (splénomégalie).
Des lésions ont également été signalées dans le cœur, le foie, les reins, la rate et le cerveau des oiseaux infectés. Ces observations montrent que Usutu peut être hautement pathogène au sein de l’avifaune en raison de sa réplication et de sa virulence dans un grand nombre de tissus et d’organes. Usutu provoque ainsi des mortalités importantes chez les oiseaux dans différentes régions d’Europe.
Un virus découvert pour la première fois en Europe en 2001
Le virus a été repéré pour la première fois en Europe en 2001, en Autriche, sur des cadavres d’oiseaux. Ensuite il a été signalé dans de nombreux pays européens, sur des moustiques ou sur des oiseaux.
En 2015, la France a détecté à son tour ce virus chez des merles noirs communs, suite à une augmentation de leur mortalité dans les départements du Haut-Rhin et du Rhône, analysée par l’Anses et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS).
Par ailleurs il a été depuis établi que Usutu circule chez les moustiques Culex pipiens de Camargue depuis au moins 2015. Durant l’été 2016, une grande épizootie d’Usutu touchant les oiseaux a de nouveau été enregistrée en Europe, avec une large activité du virus en Belgique, Allemagne, France et pour la première fois aux Pays-Bas. Ce phénomène souligne la propagation géographique continue d’Usutu mais aussi l’apparition de nouvelles niches écologiques.
La récurrence de l’infection à Usutu dans différents pays européens suggère un cycle de transmission persistant dans les zones affectées, soit par l’intermédiaire de moustiques hivernant (le froid ralenti leur organisme et ils ne bougent plus jusqu’au printemps) soit par une réintroduction multiple du virus par le biais d’oiseaux migrateurs en provenance d’Afrique.
Des symptômes à mieux caractériser
Le risque de transmission de l’animal à l’homme associé à Usutu a initialement été décrit en Afrique. Le premier cas humain fut rapporté en République centrafricaine dans les années 1980, le second au Burkina Faso en 2004. Pour ces deux cas, les symptômes étaient modérés, avec notamment une éruption cutanée et une légère atteinte du foie.
En Europe, on dénombre à ce jour 28 cas d’infection humaine aiguë par Usutu, principalement en Italie. Par ailleurs, plus de 70 personnes présentant des anticorps contre ce virus ont été répertoriées, démontrant que ces individus ont été exposés au pathogène. L’infection humaine est probablement le plus souvent sans symptôme, ou présentant une expression clinique bénigne. Toutefois des complications neurologiques de type encéphalites (inflammation de l’encéphale, partie du cerveau logée dans la boîte crânienne) ou méningoencéphalites (inflammation de l’encéphale et des méninges,les membranes qui l’enveloppent), ont été décrites, totalisant une quinzaine de cas en Europe.
La description par notre équipe de la présence atypique d’une paralysie faciale, apparue chez le premier cas français, suggère que l’étendue des symptômes des infections dues au virus Usutu n’est pas complètement connue.
Un virus dont l’aire de répartition s’étend
L’histoire récente de flambées épidémiques pour d’autres arbovirus invite la communauté scientifique à la plus grande vigilance concernant le virus Usutu. Son aire de répartition s’étend désormais à un grand nombre de pays européens. Les épizooties de mortalité aviaire sont fréquentes. Des souches très différentes sur le plan génétique circulent au même moment. Autant de signes qui doivent alerter.
Bien que trop rares, quelques études de séroprévalence (présence dans le sang d’anticorps dirigés contre le virus) viennent étayer l’hypothèse que l’Homme est davantage exposé au risque d’infection par Usutu qu’on ne l’imagine.
Les connaissances concernant la physiopathologie de ce virus émergent sont pour l’heure très sommaires. Les travaux en cours visent notamment à mieux appréhender sa biologie et les mécanismes associés aux atteintes neurologiques. Aussi des travaux de recherche accompagnés de mesures de surveillance et de prévention devraient être mises en place en France, dans les zones les plus à risque.
Yannick Simonin, Chercheur Inserm et maître de conférences en contrôle des maladies infectieuses, Université de Montpellier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.