Fact check : Le plastique est-il incontournable pour lutter contre le Covid-19 ?
En dépit de la loi du 1ᵉʳ janvier 2020 relative à l’interdiction de l’utilisation de certains objets plastique à usage unique (pailles, couverts…) le plastique revient en force.
Nathalie Gontard, Inrae et Valérie Guillard, Université de Montpellier
Les industriels du secteur surfent sur la vague Covid-19 : emballages, suremballages, masques, visières, protections pour les commerçants, plexiglas sont produits et consommés en masse.
La transparence du plastique en fait un allié de choix dès lors qu’il s’agit de séparer des clients d’un commerçant par exemple. Mais l’argument hygiéniste est le plus utilisé : jetable le plastique offrirait une plus grande protection que d’autres matériaux.
Qu’en est-il exactement ? Nos expertes comparent notamment les masques plastique et les masques en fibres naturelles.
Des masques en microfibres… de plastique
Les masques les plus courant, les moins chers et les plus largement distribués, sont constitués d’un assemblage de microfibres de polypropylène, résine plastique par excellence. Le polypropylène est la deuxième matière plastique la plus utilisée après le polyéthylène. Vous en trouverez facilement dans le gazon synthétique de votre voisin ou encore le pare-choc de votre voiture. D’autres masques sont fabriqués à partir de microfibres de polyester.
Le tapis de microfibres de ces masques sert à laisser passer l’air respiré tout en arrêtant les petits éléments en suspension dans l’atmosphère, comme les micro-gouttelettes d’eau capables de véhiculer un virus, émis par les individus qui les portent… ou ceux qui ne les portent pas.
Les microfibres synthétiques sont bon marché et fabriquées en abondance par les industries de la pétrochimie. On peut donc acquérir puis jeter facilement les objets qui les contiennent, pratique pour gagner du temps, la grande obsession des temps modernes. De plus, l’objet neuf ou le matériau vierge, véhicule (encore) une image de progrès, de qualité garantie et de sécurité, notamment sanitaire, pour l’individu qui peut s’en procurer. Le jetable promet de renouveler à l’envi cette promesse de sécurité sanitaire.
La crise sanitaire, une opportunité pour certains
C’est justement la crise sanitaire liée au coronavirus qui a entraîné le retour en force du plastique et dynamisé les ventes de produits jetables : les masques mais aussi les gobelets à usage unique dans les fast-food, les commandes Internet et « drive alimentaire » sous films plastiques, les sacs de caisse, les écrans de protection dans les boutiques, les restaurants, etc.
La crise du coronavirus est venue nous faucher en pleine cure de désintoxication mondiale du plastique. La catégorie des jetables tente aujourd’hui de revenir sur le devant de la scène pour s’imposer comme le matériau hygiénique qui sauve des vies en évitant les contaminations due à la réutilisation des matériaux.
Les enjeux économiques sont tels que certains fabricants n’hésitent pas à enfourcher la vague anxiogène liées à la crise sanitaire pour braver les interdictions et relancer leurs affaires. Le 8 avril dernier, l’EuPC, lobby des transformateurs de plastiques européens, a adressé à la Commission européenne un courrier lui demandant de reporter la directive européenne sur le plastique à usage unique (SUP) « d’au moins une année supplémentaire au niveau national » et de « lever toutes les interdictions » déjà mises en place, demande rejetée par la commission.
La fibre naturelle est elle moins propre et moins efficace ?
Le virus persiste plusieurs heures à plusieurs jours sur toutes les surfaces, y compris sur celle des microfibres en plastique. À conditions égales par ailleurs, un coronavirus persisterait bien plus longtemps sur une blouse jetable en microfibres de polypropylène que sur une blouse en coton ou une surface en papier.
De plus, les masques constitués de fibres naturelles de type coton, flanelle, soie ou chanvre présentent des capacités filtrantes tout aussi performantes qu’un masque chirurgical en fibres synthétiques, en piégeant au moins 80 % de particules d’une taille moyenne de 60 nanomètres grâce à un effet combiné de filtration physique et d’effet électrostatique. La performance d’un masque suffisamment dense, quelle que soit la nature de ses fibres, est surtout liée à son ajustement aux contours du visage.
Mais surtout, le plastique persiste longtemps, jusqu’à plusieurs siècles, dans notre environnement sous la forme de micro- puis de nanoparticules. Les microfibres de votre masque ont toutes les chances de finir dans votre assiette ou celle de vos petits-enfants. Le mécanisme est assez implacable : les microfibres de plastique se délitent, se fragmentent, se multiplient, diffusent dans notre environnement, se chargent en polluants et finissent par contaminer notre chaîne alimentaire et menacer le bon fonctionnement des organes des êtres vivants. Le grand risque lié à l’utilisation du plastique ne réside pas seulement dans l’émission de CO2 pendant son cycle de vie, mais surtout dans sa capacité à générer une pollution aux particules fines longtemps après qu’il ait été utilisé. En se biodégradant, les fibres naturelles ont toujours su se faire oublier en réintégrant le cycle biologique du carbone et ne présentent donc pas le danger ultime du plastique.
Pragmatisme et précaution
Il serait tentant de baisser les bras et faire machine arrière sur les plastiques à usage unique en misant sur l’incitation à la collecte et au recyclage ultérieur des masques usagés. Mais « recycler » signifie redonner à un objet les propriétés qu’il avait avant usage, pour pouvoir le réutiliser de la même façon. Il s’agit donc d’une boucle qui, pour être efficace, demande à être fermée ce que nous ne savons pas faire pour les microfibres synthétiques car ces dernières se dégradent irréversiblement au cours de leur utilisation.
Alors, essayons de garder le cap et de rester pragmatique en ces temps de cohue virale : le lavage d’un masque en fibres naturelles reste la forme de recyclage la plus efficace pour l’élimination des contaminants, notamment viraux, la plus économe qui soit sur le plan économique et environnemental, et la plus accessible à tous.
« Le principe de précaution », que nous venons de pratiquer intensément ces derniers mois, devrait aussi s’imposer dans l’utilisation du plastique. En l’absence de certitude quant à l’innocuité des déchets plastiques sur le long terme, ne gardons que les plastiques essentiels et débarrassons-nous des autres… En espérant que la quantité encore utilisée ne dépassera pas la dose que notre planète et nos organismes seront capables de gérer sans trop souffrir.
Si les plastiques ont des propriétés extraordinaires, s’ils sont incontournables pour certains usages, rappelons-nous que nous les avons plébiscités avant tout parce qu’ils étaient facilement disponibles, peu chers et que nous les pensions inoffensifs. Maintenant que nous en percevons les dangers, ôtons nos lunettes « tout plastique » et acceptons de nous réinventer en choisissant autant que possible, des matières et des objets réutilisables, lavables et biodégradables en fin de vie.
_Ce fact-check a été réalisé en partenariat avec la filière Journalistes et Scientifiques de l’ESJ de Lille. _
Nathalie Gontard, Directrice de recherche, professeure, sciences de l’aliment et de l’emballage, Inrae et Valérie Guillard, Professeur, Génie des procédés appliqué au domaine du vivant, Membre de l’Institut Universitaire de France, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.