“Il y a toujours très peu de filles qui font du rugby”
Selon l’Insee, 87 % des garçons âgés de 13 et 14 ans ont une pratique sportive, contre 78 % des filles. Parmi elles, un tiers participe à des compétitions, contre la moitié pour les garçons. Julie Boiché, chercheuse en psychologie sociale à Euromov DHM1, nous explique comment la persistance de stéréotypes de genre dans le sport construit et alimente cette différence.
Comment définissez-vous le stéréotype de genre ?
Julie Boiché : En psychologie sociale le stéréotype désigne les caractéristiques, qu’elles soient physiques, psychologiques ou comportementales, qu’on attribue socialement aux genres féminin et masculin.
Vous vous êtes intéressée aux stéréotypes de genre dans le sport, pourquoi ?
J.B. : Avec Melissa Plaza qui a réalisé sa thèse sous ma direction, nous sommes parties du constat que les filles et les femmes pratiquent moins d’activités physiques que les garçons et les hommes. Si les discours et les normes véhiculent moins de sté- réotypes aujourd’hui, dans les faits ils existent toujours.
Vous avez suivi plusieurs cohortes d’élèves de la 6e à la terminale au cours d’une enquête. Quel type de questions leur avez-vous posées ?
J.B. : On peut leur demander par exemple : « A quel point pensez-vous que le sport est important pour les filles ? » « A quel point sont-elles bonnes en sport ? ». Puis on pose exactement les mêmes questions pour les garçons, et on voit s’il y a une perception différenciée entre filles et garçons.
Et donc ?
J.B. : On constate que dès la 6e les garçons ont, en moyenne, déjà intériorisé un stéréotype qui leur est favorable, à savoir qu’ils sont meilleurs que les filles et que faire du sport est plus important pour eux. Les filles ont en général des réponses assez neutres au début du secondaire, mais pendant la période du collège, on observe une évolution : elles ont tendance à intérioriser cette idée qu’elles sont moins sportives que les garçons et qu’il est moins important pour elles de pratiquer.
Vous avez creusé la perception genrée des différentes disciplines sportives. Qu’en ressort-il ?
J.B. : Beaucoup de disciplines sont encore perçues comme masculines : les sports de combat, les sports mécaniques ou encore les sports collectifs de contact comme le rugby. Certaines activités sont considérées comme plus neutres, comme les activités de raquette ou l’athlétisme, alors que la danse, le yoga, la gym ou l’équitation ont aujourd’hui encore une représentation féminine.
Et cela se vérifie dans les taux de pratiquantes et pratiquants ?
J.B. : Nous avons croisé ces réponses avec les données communiquées par les fédérations et oui il y a une très forte corrélation entre la perception genrée que l’on a des sports et les pratiques. Pour le dire vite, il y a toujours très peu de filles qui font du rugby, et peu de garçons qui font de la danse ; et donc la situation tend à se reproduire car ce n’est pas évident d’être « la seule fille » parmi les garçons ou inversement.
Vous avez également fait dessiner des enfants de classes élémentaires…
J.B. : Oui, avec Claire Bréchet du laboratoire Epsylon, nous leur avons demandé de dessiner un enfant qui fait du sport. Les garçons ont tous dessiné un garçon spontanément, alors que seulement deux tiers des filles ont dessiné une fille. Dans les disciplines représentées on trouve les grandes dominantes comme le foot, à la fois chez les garçons et chez les filles. On s’est aussi aperçues que les filles étaient représentées faisant à la fois des sports dits « masculins », « neutres » ou « féminins », alors que les garçons étaient essentiellement cantonnés aux sports « masculins ». On voit qu’ils sont eux aussi exclus de certaines pratiques et que cette question n’est pas réglée, il peut toujours y avoir des difficultés pour accéder à certaines activités et l’entourage des jeunes joue pour beaucoup.
Vous avez enquêté auprès des parents, est-ce qu’il y a une transmission familiale de ces stéréotypes ?
J.B. : Chez les adultes, 85 % des réponses sont neutres, ce qui est le signe qu’une norme anti-sexiste s’est installée, c’est une bonne nouvelle. Pour autant quand on leur propose des tâches moins explicites qu’un questionnaire, des liens entre les stéréotypes des parents et ceux des enfants apparaissent, ce que nous pouvons interpréter comme une forme de transmission.
Vous montrez que ces stéréotypes participent d’un plus fort taux d’abandon de la pratique sportive chez les filles que chez les garçons. Quand se fait le décrochage ?
J.B. : Dès le départ, il y a chez les enfants qui ne font pas du tout de sport (en dehors de l’EPS) une très grande majorité de filles. On observe ensuite à l’adolescence plus d’abandons chez elles et la présence de stéréotypes de genre fait partie des hypothèses pour l’expliquer. Soit parce qu’elles ont intériorisé ces croyances qui leur sont défavorables, soit parce que socialement elles sont moins encouragées à continuer.
Avec des conséquences tout au long de la vie ?
J.B. : Oui, moins on pratique à cet âge, moins il y a de chance qu’on pratique à l’âge adulte avec derrière tous les enjeux sur la sédentarisation des modes de vie et l’importance d’avoir une pratique physique suffisante pour la santé.
Les politiques publiques se saisissent-elles de cette question ?
J.B. : Oui mais même les politiques volontaristes se heurtent parfois aux stéréotypes ; par exemple dans certaines villes où des équipements sportifs ont été installés sur l’espace public pour faciliter l’accès de tous et toutes au sport, ils sont rapidement « fixés » par les garçons. Au lieu de lutter contre le stéréotype cela le renforce puisque les garçons investissent un nouveau territoire sportif ce qui conforte les filles dans l’idée que ce n’est pas pour elles.
Les stéréotypes de genre ont encore de beaux jours devant eux alors ?
J.B. : On croit vivre dans une époque plus ouverte, et c’est vrai dans une certaine mesure, mais il existe encore beaucoup de choses choquantes. Il y a toute la question de la médiatisation et de la valorisation des sports féminins. Certains groupes de sportives sont entrées en rébellion contre les tenues inappropriées que les fédérations leur imposent… Il reste beaucoup de chemin à parcourir !
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- Euromov (UM, IMT Mines Ales)
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