[LUM#22] Intelligence animale

Les mécanismes de la perception animale restent un mystère et leur étude se fait parfois au détriment du bien-être des sujets. Et si l’intelligence artificielle nous permettait de modéliser cette perception pour l’étudier in silico ? C’est l’hypothèse que Julien Renoult, chercheur au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive1, expérimente auprès de mandrills dans le cadre du projet Wildcom AI.

© Julien Renoult

Favoriser la famille, donner comme on dit « un coup de piston », n’est pas propre à l’humain. Le népotisme est une pratique observée chez de nombreuses espèces animales parmi lesquelles les mandrills, des primates vivant en sociétés matriarcales centrées sur les mères. « On constate chez les mandrills une affiliation plus forte entre les demi-soeurs paternelles, qu’entre celles qui partagent la même mère », explique Julien Renoult, chercheur au CEFE. Cette observation est étonnante car chez cette espèce, les mâles vagabondent entre les groupes, réalisant des saillies clandestines. Comment les mandrills peuvent-ils alors avoir une connaissance si fine de leur niveau d’apparentement paternel ? (Mandrill mothers associate with infants who look like their own offspring using phenotype matching, in eLife science, Novembre 2022).

Sous la peau de singe

L’hypothèse d’une reconnaissance de la parenté basée sur la ressemblance faciale apparaît comme la plus évidente, mais elle n’a jamais pu être quantifiée malgré de nombreuses expérimentations, comme l’explique l’écologue. « On définissait des caractéristiques à la main, on mesurait la distance entre les yeux, etc. Des critères simplistes qui sont accessibles à notre conscience mais qui ne représentent pas du tout la réalité du traitement de l’information par notre cerveau… » Et encore moins par le cerveau d’un mandrill.

Décidé à découvrir ce qui se passe sous la peau de singe sans avoir à la toucher, le chercheur a une idée : entraîner une IA pour qu’elle apprenne à traiter l’information, sur le modèle du cerveau de ces primates. « Lorsque nous entraînons une IA à reconnaître comme similaires des images que nous humains trouvons similaires, elle constitue un espace de représentation corrélé au notre. Elle va, par exemple, être victime des mêmes illusions d’optique que nous, explique Julien Renoult. Une IA capable de prédire la ressemblance perçue par les mandrills reproduira donc le mode d’encodage de cette espèce. » A condition d’être entraînée pour…

Boîte noire

Et c’est au Gabon que Julien Renoult et ses doctorants ont pu rassembler la matière pour tenter l’expérience. Grâce au concours de Marie Charpentier, chercheuse à à l’Isem et directrice du Mandrillus project, ils ont eu accès à la seule population au monde de mandrills sauvages habitués à l’humain. Un groupe de 350 individus que les membres de l’équipe ont photographié pendant 4 ans, compilant plus de 80 000 portraits. Une base de données que le chercheur utilise pour entrainer son IA à reconnaître des mandrills à leur visage. (The Mandrillus Face Database: A portrait image database for individual and sex recognition, and age prediction in a non-human primate, in Data in Brief, avril 2023). « Je lui donne des dizaines de photos différentes du même mandrill, en lui disant qu’il s’agit du même individu. Grâce au réseau de neurones, l’IA dispose de milliards de paramètres pour trouver les informations pertinentes et établir la ressemblance, comme le ferait le cerveau d’un mandrill. »

Ainsi entraînée, l’IA a pu établir des niveaux de ressemblance entre individus différents et confirmer par exemple, qu’il existait bien une plus grande ressemblance physique entre les demi-soeurs paternelles qu’entre les demi-sœurs maternelles, ce qui pourrait expliquer la plus grande affiliation observée. (Same father, same face: Deep learning reveals selection for signaling kinship in a wild primate, Science advances, mai 2020). Mais si l’IA semble bien décrire une réalité biologique, le mécanisme par lequel elle opère lui, reste pour le moment opaque. « C’est vrai que l’IA est une boîte noire car je ne sais pas sur quoi elle se base pour déterminer ces ressemblances mais ce n’est pas une limite de l’IA, argumente Julien Renoult. La limite c’est notre capacité de compréhension, mais l’avantage d’une IA envisagée comme une sorte de cerveau artificiel c’est que nous pouvons l’étudier sans crainte de générer de la souffrance animale. » Malin… comme un singe !

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  1. Cefe (CNRS, UM, IRD, EPHE, INRAE, Institut Agro, UPVM)
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