La chauve-souris sous les radars
Mieux connaître les coronavirus présents chez les chauves-souris pour mieux prévenir, anticiper et faire face à une possible nouvelle zoonose. C’est l’objectif du projet porté par la virologue Martine Peeters. Explications.
Quel est le point commun entre la Covid-19, la rage et Ebola ? « Pour chacune de ces maladies, le réservoir naturel du virus est la chauve-souris, explique Martine Peeters. Lorsqu’on remonte la piste d’une maladie émergente infectieuse, on tombe très souvent sur ce petit mammifère », précise la virologue du laboratoire Recherches translationnelles sur le VIH et les maladies infectieuses*. Mais pourquoi la chauve-souris ? « Elle représente 20 % des mammifères dans le monde, donc lorsqu’on cherche l’origine d’une zoonose, on a une chance sur cinq que ce soit la chauve-souris », explique la chercheuse.
Réservoirs viraux volants
Présents sur tous les continents – excepté l’Antarctique – ces myriades de chiroptères sont de véritables réservoirs viraux volants. Des milliers de virus ont en effet été identifiés chez les chauves-souris, dans 28 familles virales distinctes. Dont la famille des coronavirus. « La plupart du temps l’infection par ces virus est asymptomatique chez la chauve-souris, donc l’animal ne va pas mourir de la maladie et peut ainsi disséminer le virus plus efficacement », explique Martine Peeters. Et, seul mammifère volant, la chauve-souris peut se déplacer rapidement et sur de longues distances. « Il y a donc davantage de risques qu’elle transmette les virus dont elle est porteuse à d’autres espèces ». Dont l’Homme.
« Pour la seule famille des coronavirus, 7 virus ont déjà été identifiés qui sont passés de la chauve-souris à l’Homme ». Si 4 entraînent de simples rhumes, les 3 autres sont responsables du syndrome respiratoire du moyen-orient (MERS-Cov) et des syndromes respiratoires aigus sévères dus aux SARS Cov-1 et SARS Cov-2, le fameux coronavirus responsable de la pandémie de Covid-19. Comment ces virus ont-ils fait le grand saut de la chauve-souris à l’Homme ? « Ce passage inter-espèce peut se faire via un hôte intermédiaire ou de façon directe », répond Martine Peeters. Les contacts entre les humains et les chiroptères sont en effet très fréquents : « la chauve-souris est chassée pour être mangée ou pour fabriquer des remèdes traditionnels, les enfants jouent avec ces animaux, leur guano est utilisé pour les cultures, les fruits consommés par l’Homme sont parfois contaminés par la salive, l’urine ou les fèces de chauves-souris… », détaille la virologue. Et la destruction de l’habitat naturel des chauves-souris ne fait qu’augmenter le risque de transmission inter-espèce (lire l’article “Si on ne change pas, ça recommencera”).
10 000 chauves-souris
Cette liste des 7 coronavirus d’ores et déjà passés chez l’Homme a donc toutes les chances de s’allonger dans un futur proche. « Pour anticiper cette éventualité il est important de mieux connaître la diversité des coronavirus qui circulent chez les chauves-souris », explique Martine Peeters. Accompagnée du chercheur guinéen Alpha Keita, la virologue souhaite documenter la prévalence, la diversité génétique et la distribution géographique des coronavirus chez les chauves-souris sauvages en Afrique. Objectif : évaluer le risque de futurs transmissions zoonotiques.
Les chercheurs disposent déjà d’échantillons de sang, de salive et de fèces prélevés en Guinée, au Cameroun et en République Démocratique du Congo sur plus de 10 000 chauves-souris. Grâce à ce nouveau projet, ils vont pouvoir passer au crible ces échantillons pour étudier la présence d’ARN viral ou d’anticorps dirigés contre les coronavirus et estimer ainsi leur prévalence. Autre objectif : étudier la saisonnalité de ces virus. « Si certains coronavirus ont une expression saisonnière, il se peut que nous ne les retrouvions pas sur des prélèvements ponctuels. Mais nous avons effectué un suivi mensuel pendant un an, nous allons donc pouvoir chercher la présence de virus sur chaque prélèvement et déterminer la saisonnalité éventuelle. »
Diminuer le risque de transmission
Une information précieuse pour les chercheurs : « en cas de saisonnalité on pourra connaître les moments où l’excrétion virale est la plus importante et déterminer ainsi la période la plus à risque de transmission zoonotique », précise la virologue. Cette connaissance plus détaillée des coronavirus présents chez les chauves-souris permettrait ainsi de diminuer le risque de transmission, mais aussi d’identifier plus rapidement l’agent responsable en cas de nouvelle zoonose « notamment grâce à des outils diagnostics ciblés ». Et si ce scénario épidémique se reproduisait, les résultats de ce projet inédit offriraient l’espoir de développer plus rapidement un traitement ou un vaccin. « On pourrait par exemple œuvrer à la mise au point d’un vaccin à large spectre. On connaîtra aussi mieux les cibles des médicaments anti-viraux potentiellement efficaces contre ces coronavirus, pour identifier ou développer des traitements efficaces ».
Des outils dont tous espèrent cependant ne pas avoir besoin. « L’essentiel pour limiter le risque de nouvelle zoonose, c’est encore de limiter les contacts entre l’Homme et la nature sauvage ». Chacun chez soi et les coronavirus seront bien gardés.
* UMR TransVIHMI (UM, IRD, INSERM U1175, Université Check Anta Diop (Dakar, Sénégal), Université Yaoundé 1 (Cameroun))