La mer à boire
L’or bleu se fait de plus en plus rare, et pour satisfaire nos besoins en eau, il faut regarder vers le grand large… Dessaler l’eau de mer pour en faire de l’eau douce est désormais un enjeu mondial. Un procédé qui vient de faire un grand pas en avant grâce aux chercheurs de l’Institut européen des membranes.
Selon l’ONU, en 2030 la planète souffrira d’un déficit de 40 % d’eau potable alors que la population ne cesse d’augmenter. Mais où aller chercher l’eau quand les nappes phréatiques qui nous abreuvent ne suffisent plus à couvrir nos besoins ? Réponse : en mer. « Aujourd’hui, 20 % de l’eau que nous utilisons est de l’eau de mer qui a subi un dessalement », explique Mihail Barboiu de l’Institut européen des membranes (IEM). Mais avec la baisse de nos ressources en eau douce, dans 50 ans ce sont 60 à 70 % de notre eau qui devrait provenir de la mer. Un véritable challenge auquel le chercheur vient d’apporter une contribution significative.
Osmose inverse
Car séparer le sel de l’eau n’est pas une mince affaire. « Les ions qui les composent ont la même dimension, donc on ne peut pas procéder à une simple filtration. » Pour contourner ce problème les chercheurs utilisent l’osmose inverse : « On fait passer l’eau à travers une membrane spéciale qui retient le sel », détaille Mihail Barboiu. Mais là encore, la solution ne coule pas de source. « Quand une membrane perméable sépare deux solutions avec des concentrations en sel différentes, naturellement l’eau circule à travers la membrane jusqu’à ce que les concentrations s’équilibrent de part et d’autre, c’est ce qu’on appelle l’osmose », explique le spécialiste.
Une fois qu’il y a autant de sel dans les deux solutions, on atteint ce qu’on appelle l’équilibre osmotique. « Pour continuer à faire passer l’eau après ce stade on doit appliquer une pression pour forcer le flux, c’est l’osmose inverse ». Une technique efficace mais qui exige beaucoup d’énergie pour générer cette pression. « Réussir à diminuer la quantité d’énergie nécessaire est un véritable défi pour améliorer les capacités de dessalement de l’eau de mer ».
Perméabilité et sélectivité
C’est là que les chercheurs de l’IEM interviennent grâce à la mise au point d’une membrane d’un genre nouveau, qui laisse passer l’eau plus facilement tout en retenant efficacement le sel. Leur recette ? « Une membrane en polyamide dans laquelle nous avons inséré des canaux artificiels d’eau. ». Ces canaux sont des composés synthétiques qui forment des pores perméables aux molécules d’eau, tout en rejetant les ions. « On obtient ainsi une membrane qui présente une plus grande perméabilité et une bonne sélectivité », détaille Mihail Barboiu. Plus perméable, elle laisse passer l’eau plus facilement et la quantité d’énergie à appliquer pour forcer le flux est donc plus faible. Défi relevé.
Une innovation qui a déjà fait ses preuves, chiffres à l’appui. « Elle est trois fois plus perméable que les membranes actuellement utilisées, sans perdre de sélectivité », explique Mihail Barboiu. Ces super membranes permettent donc un flux d’eau 75 % supérieur à celui observé avec les membranes industrielles actuelles. « Elles diminuent ainsi de 12 % la quantité d’énergie nécessaire pour dessaler de l’eau de mer, c’est une amélioration considérable », se réjouit le chercheur. Ce qui signifie également qu’avec la même quantité d’énergie, on peut produire davantage d’eau douce. Déjà brevetés, ces travaux ont fait l’objet d’une publication dans Nature Nanotechnology en date du 9 novembre.