La pédagogie en pleine conscience – Portrait de Stéphane Justeau
Angle peu reconnu de l’enseignement supérieur en France, la pédagogie est le leitmotiv du professeur Stéphane Justeau. Le directeur de l’Institut de Pédagogie Avancée de l’école de commerce d’Angers ESSCA est intervenu dans un atelier CSIP MUSE ciblé sur l’attention des étudiants.
Quelques minutes de méditation au début et à la fin de chaque cours. Cette pratique n’est pas celle d’un centre de yoga californien mais d’une salle de classe de l’École supérieure des sciences commerciales d’Angers (ESSCA). La classe du professeur Stéphane Justeau, directeur de l’Institut de Pédagogie Avancée de l’école. Le doyen du corps professoral est ainsi venu présenter la méditation pleine conscience dans un atelier sur « muscler l’attention des étudiants » proposé par le Centre de soutien aux innovations pédagogiques (CSIP) de MUSE mi-décembre 2020. « Cette intervention peu conventionnelle rentre dans notre stratégie de privilégier les approches expérimentales, explique Patrizia Tavormina, ingénieur pédagogique au CSIP, mais j’avoue que j’étais un peu inquiète sur la façon dont l’invitation à méditer avec ses étudiants serait reçu par les enseignants participants ».
Un certificat obligatoire
« Outre l’absence de formation pédagogique, l’enseignement n’est pas valorisé chez les enseignants-chercheurs », regrette Stéphane Justeau. Les pairs et plus largement l’institution distinguent une bonne publication mais pas un bon cours. Un état de fait qui chiffonne très tôt l’économiste. Surtout qu’une culture de la pédagogie existe ailleurs, en particulier dans les pays anglo-saxons. « Au Royaume-Uni, un certificat de pédagogie est obligatoire pour enseigner dans le supérieur, explique le professeur de l’ESSCA. Cela change très progressivement en France, des écoles doctorales commencent à proposer à leurs doctorants des cours de pédagogie. »
Lui se découvre rapidement une fibre pédagogique, dès ses vacations de thésard à l’université. D’autant que sa recherche sur l’impact des flux migratoires sur les salaires et l’emploi complique ses relations avec certains collègues. « Sous prétexte que mon sujet aurait été réactionnaire alors que justement je voulais apporter des éléments scientifiques sur ces questions. Un procès d’intention difficile à vivre », raconte-t-il. Son doctorat en économie en poche en 1998, il obtient un poste d’enseignant-chercheur à l’ESSCA. Son affinité pour l’enseignement se confirme : « J’ai toujours aimé expliquer, transmettre mais aussi les interactions avec les jeunes. »
Rapidement désigné responsable du département – où il coordonne les enseignements en économie, droit et mathématique –, il est aux premières loges pour entendre les plaintes de ces collègues contre des étudiants « moins bons qu’avant », « incapable de se concentrer », etc. Des doléances qui l’exaspèrent et le poussent à leur ouvrir sa salle de classe pour partager sa pratique « qui fonctionnait déjà plutôt bien », dit-il avec une satisfaction discrète.
Les étudiants en redemandent
Petit à petit son implication pédagogique lui vaut une proposition de la direction de diriger un centre de pédagogie au sein de l’école. Le voilà parti se former au centre de pédagogie de Lausanne, une référence en Europe. Héraut de la pédagogie dans son école, il rentre endosser ses nouvelles missions. Former à la pédagogie, en ligne notamment, mais aussi proposer un conseil pédagogique individualisé. Sur la formation à distance, il commente au passage « les opportunités fantastiques, en particulier grâce aux ouvertures internationales. Mais ce n’est sûrement pas l’enseignement de demain, car il manque une dimension socio-affective indispensable à l’apprentissage ».
Une dimension qu’il embrasse dans sa pédagogie. Pour lui, le graal de l’enseignant est de capter l’attention des élèves : « C’est un pilier fondamental. Sans elle, pas d’apprentissage ». Une gageure à l’ère des objets connectés et des réseaux sociaux où les sollicitations sont multiples et permanentes. Comme il pratique la méditation et qu’elle est reconnue dans la littérature scientifique pour améliorer l’attention, il se lance pour la pratiquer en cours (voir l’article) . « La méditation pleine conscience est répertoriée dans le Vidal, la bible des médecins », pointe celui qui ne veut pas passer pour un illuminé.
Le premier pas n’est pas facile, confie-t-il volontiers. Alors que l’esthétique de l’époque est à l’efficacité et à la vitesse, allez convaincre des étudiants de fermer les yeux et d’écouter leur respiration. Mais la pratique est bien reçue et ses étudiants en redemandent. Et il pousse l’expérimentation en la partageant dans ses formations pédagogiques, qu’il organise autour d’échanges de pratiques.
Participante à l’atelier de MUSE, Laurence Weil, professeur à la Faculté de Droit de Montpellier, ne cache pas son incrédulité : « Cette proposition m’a paru incroyable, comme sortie d’un monde parallèle ou du 22e siècle. Il y a aussi une sorte d’impudeur de rentrer dans l’intimité des jeunes, très anachronique avec l’époque. Mais en même temps, ça me pousse à réfléchir à ma pratique, à ouvrir des horizons qui ré-enchantent notre métier ! ».