La pollution au chlorothalonil, un défi pour le traitement de l’eau potable

L’eau est une ressource vitale pour toute société. Dans un contexte où les pollutions environnementales se multiplient et menacent sa qualité, elle constitue cependant un bien limité. La pollution au chlorothalonil (un fongicide utilisé en agriculture) et ses métabolites (issus de sa dégradation dans l’environnement), qui ont récemment été au-devant de l’actualité, en fournissent un exemple éclairant.

Benoit Teychene, Université de Poitiers et Julie Mendret, Université de Montpellier

Crédits Freepik

Le métabolite R471811, en particulier, a récemment cristallisé le débat. Une vaste campagne nationale exploratoire menée entre 2020 et 2022 par l’Anses, qui a fait l’objet d’un rapport en mars 2023, indiquait le retrouver au-delà de la valeur limite autorisée dans plus d’un tiers des échantillons analysés d’eau destinée à devenir potable. Dans un nouvel avis publié en avril 2024, l’Anses choisissait finalement de réévaluer à la baisse le niveau de danger posé par ce métabolite.

Conséquence directe : les concentrations jugées comme « acceptables » dans les eaux potables ont été multipliées par dix, conduisant à rouvrir des points de captage d’eau qui avaient été fermés dans l’intervalle. Pour autant, ce type de pollution pose un problème bien concret pour le traitement des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH).

La pollution au chlorothalonil en question

Pour rappel, le chlorothalonil, commercialisé par Syngenta, a longtemps été utilisé comme fongicide, principalement sur les cultures de céréales. Il a été interdit par l’Union européenne en 2019 en raison de son classement comme cancérogène probable : l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) lui confère le classement cancérogène 1B, réservé aux substances dont le potentiel cancérogène est supposé. La France avait accordé un délai de grâce jusqu’à mai 2020 avant que l’interdiction ne prenne effet, pour permettre l’écoulement des stocks du produit.

Où se situe le problème ? Après leur utilisation agricole, les pesticides se retrouvent dans l’environnement (air, eau, sols…) où ils peuvent se transformer en de nouvelles molécules aux propriétés différentes : on les appelle métabolites. En 2019, des chercheurs suisses publiaient la première étude à révéler la présence de métabolites du chlorothalonil dans les eaux souterraines helvètes, jetant un soupçon de pollution sur l’eau potable. Les résultats mettaient en évidence la présence de huit composés dérivés du chlorothalonil, dont six identifiés pour la première fois.

Le chlorothalonil R471811 avait ainsi été détecté dans 31 ressources d’eaux souterraines suisses à des concentrations préoccupantes, atteignant jusqu’à 2,7 µg/L. Une valeur supérieure à la limite maximale fixée pour l’eau potable par les autorités sanitaires tant en Suisse qu’en France, et qui impose des traitements supplémentaires pour la rendre conforme à la consommation. En France, au-delà de 2 µg/L par substance (et 5 µg/L pour leur somme) dans l’eau brute, celle-ci n’est pas considérée comme potabilisable et le point de captage doit être fermé.

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Les normes réglementaires en question

Pour comprendre les seuils de qualité qui s’appliquent à l’eau potable, il faut d’abord comprendre que l’Anses distingue deux catégories réglementaires pour les pesticides et leurs métabolites :

  • Les métabolites « pertinents », susceptibles de poser un danger pour la santé humaine, dont la concentration ne doit pas dépasser 0,1 µg/l dans l’eau délivrée au robinet (et 0,5 µg/l pour leur somme), conformément à l’avis de l’Anses du 30 janvier 2019.
  • Les métabolites « non pertinents » (c’est-à-dire, moins susceptibles de présenter un danger pour la santé humaine) voient, eux, leur limite fixée à 0,9 µg/l (seuil de vigilance).

Compte tenu de la toxicité du chlorothalonil, l’Anses a d’abord classé le métabolite R471811 du chlorothalonil comme « pertinent ». Or, l’avis de l’Anses d’avril 2024 a justement réexaminé son classement, considérant finalement qu’il s’agit d’un métabolite « non pertinent » dans les eaux destinées à la consommation humaine. Pour cela, l’agence s’est fondée sur les données issues du rapport d’évaluation européen, de nouveaux éléments du déclarant (Syngenta) et d’une recherche bibliographique complémentaire. Dans le même avis, l’agence a classé un autre métabolite du chlotothalonil, le R417888, comme « pertinent ».

Résultat : le seuil de vigilance du R471811 passe donc à 0,9 µg/l, et celui du R417888 à 0,1 µg/L. Après révision de ce classement, les services publics d’eau potable ont une durée de six ans maximum pour réduire la concentration de ces polluants en dessous du seuil de conformité.

Cette valeur de seuil de vigilance ne doit pas être confondue avec la valeur sanitaire maximale, dite Vmax. Il s’agit de la limite au-delà de laquelle l’exposition à la molécule est considérée comme potentiellement dangereuse pour la santé humaine. Elle est construite à partir des valeurs toxicologiques de référence et est basée sur le seuil de préoccupation toxicologique s’appliquant aux métabolites et aux pesticides afin de protéger les consommateurs en tenant compte de l’eau du robinet ingérée tout au long de sa vie.

Lorsque la Vmax n’est pas encore établie par l’Anses, faute notamment de données scientifiques, des restrictions d’usage sont appliquées et la valeur sanitaire transitoire de 3 µg/L – fixée par le ministère de la santé – est appliquée. Elle fait office de Vmax en attendant que l’Anses établisse une Vmax définitive.

Le respect de cette valeur sanitaire transitoire autorise donc la distribution d’eau, même lorsque celle-ci dépasse la limite de 0,1 µg/L. Cette valeur de gestion (valeur sanitaire transitoire) n’est toutefois utilisée que pour une durée limitée dans le temps, c’est pourquoi le dépassement de la Vmax conduit à des restrictions immédiates de la consommation de l’eau du robinet.

Des points de captage d’eau potable sous tension

En France, les prélèvements d’eau potable sont gérés par bassin hydrographique. La lutte contre les pollutions (nitrates, phosphates, pesticides…) représente un des enjeux clé de cette législation cruciale mise en place en 1964 pour protéger la santé humaine et l’environnement, tant la faune que la flore. C’est à cette époque que le principe du « pollueur-payeur » a été introduit.

Les défis se sont depuis multipliés, puisque le changement climatique introduit une pression supplémentaire sur la quantité et la qualité des ressources en eau disponibles, rendant ce mode de gestion de plus en plus difficile. Les acteurs de la gestion de l’eau sont confrontés à un défi complexe :

  • D’un côté, il leur faut pratiquer une sobriété de l’eau, nécessaire pour préserver la ressource (en limitant par exemple les fuites dans les réseaux de distribution),
  • De l’autre, il leur faut améliorer les systèmes de traitement de l’eau pour fournir une eau de qualité au robinet malgré l’augmentation des pollutions et malgré les investissements considérables – que les collectivités peinent à assumer – que cela implique.

Un exemple frappant de cette dégradation est l’abandon de nombreux captages et équipements, soit 12 600, entre 1980 et 2021. Pour environ 33 % des captages fermés, la principale cause de ces abandons est la dégradation de la qualité de la ressource. Parmi ces captages fermés pour des raisons de qualité, 40,7 % l’ont été en raison de teneurs excessives en nitrates et/ou pesticides.

Peut-on éliminer la pollution au chorothalonil ?

Malgré le nouvel avis de l’Anses, la situation actuelle reste complexe. Des technologies existent pour permettre d’éliminer ces métabolites, cela n’en demeure pas moins un défi pour les opérateurs de traitement de l’eau.

Les premières études indiquent que les techniques d’adsorption sur charbon actif et les procédés membranaires (osmose inverse, nanofiltration) sont les technologies les plus efficaces. En raison de ses propriétés physico-chimiques, le métabolite R417888 est plus facile à éliminer par adsorption que le R471811.

En région Île-de-France, l’usine de traitement des eaux de Méry-sur-Oise utilise ainsi des membranes qui permettent d’obtenir de bons résultats pour la filtration du chlorothalonil et de ses métabolites (90 à 95 % de rétention du métabolite R471811).

Ces procédés sont toutefois coûteux. L’adsorption impose un renouvellement fréquent du charbon actif, ce qui impacte négativement le coût du traitement. De même, le déploiement de procédés membranaires peut considérablement augmenter la consommation énergétique des unités de traitement et pose le problème de la gestion des concentrats.

Vers une hausse des coûts du traitement de l’eau

Nous tendons donc vers une hausse des coûts de fonctionnement des unités de traitement, qui conduira inévitablement à une augmentation du prix de l’eau pour le consommateur. Un point important est la difficulté de respecter la valeur de vigilance de 0,9 µg/L pour le métabolite R471811 qui est, on l’a vu plus haut, le plus compliqué à éliminer dans les filières classiques. Par ailleurs, une grande disparité existe entre les différentes collectivités et régies de l’eau. Les grandes agglomérations ont le plus souvent des filières de traitement beaucoup plus efficaces que le milieu rural. Cette situation peut accentuer des tensions déjà existantes.

Si cette valeur est atteinte, une amélioration générale de la qualité des eaux produites (vis-à-vis des autres pesticides et polluants qui seraient alors également retenus) est attendue. À condition, bien sûr, que les autres menaces pour la qualité de l’eau potable, comme les composés per – et polyfluoroalkylées (PFAS) et les autres métabolites problématiques (comme le flufénacet ESA) et leurs potentiels effets cocktails soient également sous contrôle.

Le recours accru des consommateurs à l’eau embouteillée ou à des dispositifs de traitement au point de consommation (carafes filtrantes, osmoseurs, bâtons de charbon, billes d’argile, générateurs d’eau atmosphérique, etc.) peut sembler légitime. Cependant, ils nécessitent une maintenance régulière pour éviter le développement bactérien : le remède peut devenir pire que le mal ! De plus, certaines solutions comme les osmoseurs ou l’eau en bouteille ont un impact environnemental désastreux.

La seule option viable reste donc une protection inébranlable des ressources en eau destinées à la production d’eau potable. Cela passe par des recherches approfondies pour améliorer la connaissance de l’état de contamination des ressources, par la mise en place de filières de traitement adaptées et respectueuses de l’environnement et par la promotion d’activités agricoles réduisant l’utilisation intensive de produits phytosanitaires.

Benoit Teychene, Maître de conférences, Université de Poitiers et Julie Mendret, Maître de conférences, HDR, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.