Laisser pousser

Et si nous arrêtions de replanter des arbres dans les forêts défrichées pour les laisser se reconstituer naturellement ?Les chercheurs montrent en effet que la régénération naturelle des forêts s’avère efficace pour reboiser.Une pratique qui pourrait trouver toute sa place en cacaoculture pour faire rimer production et restauration.

© IRD – Stéphanie M. Carrière

S i la culture de cacao est la principale cause de déforestation en Afrique de l’Ouest, elle représente aussi une opportunité de restaurer la couverture forestière despays producteurs, grâce à l’agroforesterie. « Cette pratique consiste à associer une culture agricole et des arbres forestiers. Les cacaoyers sont à l’origine des plantes qui poussent à l’ombre dans les sous-bois des forêts d’Amérique du Sud, ombre qui peut leur être fournie par des grands arbres », explique Bruno Hérault, chercheur au Cirad dans le dans l’unité Forêts et sociétés.

Mais comment faire pour réintroduire des arbres dans ces cacaoyères déboisées ? « La pratique la plus courante à l’heure actuelle est de replanter des jeunes arbres qui sont produits en pépinière. En Côte d’Ivoire plus de 10 millions d’arbres ont ainsi été distribués depuis 10 ans aux producteurs de cacao », explique le spécialiste des forêts tropicales.

Choc de plantation

Des arbres qui ne s’épanouissent pas toujours dans leurs nouveaux environnements. Car après avoir été cocoonés, la plantation est un stress qui peut parfois leur être fatal. « Ce choc de plantation s’explique également par le fait que les arbres qui poussent en pépinière ne développent pas autant leurs racines qu’en milieu naturel », précise Bruno Hérault. Résultat : une fois replantés la plupart d’entre eux meurent ou végètent. Un succès en demi-teinte donc pour des programmes de reboisement par ailleurs très couteux.

Il existe pourtant une alternative : laisser les arbres se régénérer naturellement. Bruno Hérault et ses collaborateurs en ont suivi plus de 12 000 dans les cacaoyères de Côte d’Ivoire et ils ont constaté que laisser pousser les jeunes arbres présents dans les champs s’avère plus efficace. « Les forêts ont été coupées il y a à peine quelques décennies, il y a encore de nombreux arbres rémanents, épargnés par la coupe, disséminés dans les paysages et donc un gros potentiel de régénération naturelle via la banque de graines du sol », détaille Bruno Hérault. Ces arbres spontanés sont en effet beaucoup plus résilients que les arbres issus des pépinières et ont de meilleures chances de se développer correctement.

Relation intime

Si la pratique s’avère plus efficace et moins chère que les programmes de réintroduction d’arbres, elle demande tout de même un accompagnement des cacaoculteurs, notamment pour identifier les jeunes plants forestiers qui poussent spontané- ment sur leurs parcelles. « Il faudrait les former pour les aider à reconnaître et à choisir les arbres les plus intéressant à conserver », précise le spécialiste.

Une alternative qui, pour le chercheur, offre des opportunités bien au-delà des bénéfices économiques et écologiques. « Les planteurs ont ainsi la possibilité d’imaginer eux-mêmes le futur de leur parcelle pour mieux se l’approprier. C’est aussi pour eux une façon de développer une relation plus intime avec leurs terres, en changeant le rapport de l’homme à la nature. »

Une solution de premier choix qui peine à s’imposer aux acteurs de la filière cacao. « En termes d’affichage il est toujours plus valorisant de replanter des arbres que de les laisser pousser », déplore le chercheur, qui milite pour la complémentarité de ces pratiques. La régénération naturelle des arbres pourrait en effet participer à l’effort de reconquête du couvert forestier, qui s’étend aujourd’hui sur 9 % du territoire en Côte d’Ivoire, pays qui vise l’objectif de 20 % d’ici 2030.

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