Le consommateur responsable souffre encore d’une image trop négative
À l’heure où le président de la République lui-même évoque pour la première fois la notion de sobriété, penchons-nous un instant sur la signification que pourrait prendre la mise en avant de ce terme peu séduisant pour un consommateur.
Gilles Séré de Lanauze, Université de Montpellier et Jeanne Lallement, La Rochelle Université
La question est bien connue des consommateurs responsables qui s’étonnent d’être si nombreux dans les discours et si peu nombreux dans les actes. Elle est bien connue également des chercheurs qui tentent désespérément de comprendre cet écart entre attitudes et comportements en matière de consommation responsable.
Ce mot de sobriété, peu séduisant pourtant, étant désormais lâché, prôné et mis en avant au plus haut de l’État, va-t-on enfin voir évoluer l’image de ce consommateur responsable ? En effet, si la notion de responsabilité est globalement présentée comme positive, qu’en est-il de celle du consommateur responsable ? Comment cette image est-elle véhiculée par la presse et la publicité ? A-t-on envie, au fond de nous, en tant que consommateur d’être un consommateur responsable ?
Ne pourrait-on pas faire l’hypothèse que l’image même du consommateur responsable, une image finalement peut-être pas si positive que ça, expliquerait en partie l’écart entre les attitudes et les comportements – le fameux « faites ce que je dis, pas ce que je fais » – en matière de consommation responsable ?
Un consommateur responsable peu « sexy »
Les résultats d’une étude que nous avons menée auprès de consommateurs sur l’image qu’ils avaient d’un consommateur responsable a permis d’identifier plusieurs figures archétypales négatives du consommateur responsable.
À partir d’une analyse en profondeur des discours des interrogés, quatre métaphores peu attrayantes éclairent les images latentes associées au consommateur responsable. Il serait, au choix, intégriste, ermite, rabat-joie ou encore snob.
- L’intégriste (ou encore ayatollah) exprime les perceptions d’un consommateur responsable en conflit permanent avec le reste de la société et volontiers dans l’excès et l’intransigeance.
- L’ermite est une deuxième image souvent évoquée, d’un consommateur responsable en rupture de société, isolé et marginal, souvent dans la privation et le retour au passé, à la machine à vapeur.
- Le rabat-joie est une personne triste, trop sérieuse, toujours dans le devoir plutôt que dans le plaisir et volontiers moralisateur.
- Enfin, à l’opposé, le consommateur responsable peut aussi être vu comme un snob, il est alors perçu comme le « bobo », hautain, supérieur, soumis aux influences des médias et des effets de mode, et ayant en plus les moyens financiers pour cela.
L’analyse de ces différents archétypes négatifs du consommateur responsable fait émerger autant de freins à l’adoption de comportements de consommation responsable. Respectivement, nous identifions ainsi un frein d’intégration en lien avec la peur des conflits induite par une posture perçue comme trop intégriste, « jusqu’au-boutiste » ; un frein de désirabilité avec cette autre forme de marginalité associée à l’ermite et au refus de la modernité ; un frein d’hédonisme, si l’on suit le rabat-joie, incapable de tout plaisir spontané, et rationalisant toute décision de consommation. Enfin, au consommateur responsable « bobo » est associé un frein d’identification et le rejet d’une posture élitiste et condescendante.
On retrouve trop souvent ces archétypes, relayés et véhiculés par la publicité, d’un consommateur responsable peu « sexy ».
Plusieurs types de perceptions négatives
Dans une étape suivante, une autre recherche que nous avons publiée s’est attachée à vérifier dans quelle mesure ces archétypes pouvaient avoir effectivement un effet explicatif sur les intentions et les comportements de consommation responsable. L’étude, menée auprès d’un échantillon de 363 individus, analysait les réactions des répondants à un message les invitant à suivre une recommandation émise par un consommateur responsable.
Dans un premier temps, les analyses statistiques identifiaient clairement trois types de perceptions négatives, selon qu’elles qualifiaient le rapport à soi-même (risque de perte de désirabilité selon des critères communément admis de beauté ou de jeunesse), le rapport aux autres (risque de perte de sociabilisation en lien avec la perception dans le regard d’autrui) ou encore le rapport à la modernité (risque de décalage avec le temps présent et la modernité).
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L’étude montrait ensuite que si les perceptions du consommateur responsable demeuraient positives (globalement les répondants ne critiquaient pas frontalement le consommateur responsable qui les enjoignaient à un comportement responsable), les perceptions négatives associées infléchissaient les intentions de comportement responsable.
Par ailleurs, l’étude montre que la perception de soi-même en tant que consommateur responsable vient modérer l’effet observé. Pour les consommateurs se déclarant en moyenne moins responsables que les autres, tout défaut associé au consommateur responsable, qu’il soit défaut de sociabilité, de désirabilité ou de modernité, est susceptible de pénaliser les intentions comportementales. Alors que pour les consommateurs se déclarant plus responsables en moyenne que le reste de l’échantillon, seul le défaut de modernité peut encore influencer négativement leurs intentions. Probablement sont-ils les premiers à souffrir de l’absence de modernité associée à l’image du consommateur responsable…
Injonctions à la responsabilité
La pression de l’actualité se fait plus forte aujourd’hui sur nos comportements. La crise sanitaire, puis les manifestations récentes de la crise climatique, la crise du pouvoir d’achat enfin, dans un contexte de crise énergétique et d’inflation, tout cela tend à multiplier les injonctions pour une consommation plus responsable.
S’il est une chance que nous assistions sous l’effet de ces crises à une réduction progressive de l’écart entre attitudes et comportements en matière de consommation responsable, il sera également intéressant d’observer quelles en seront les répercussions sur l’image perçue du consommateur responsable.
Dans quelle mesure va-t-elle devenir glamour, porteuse de sociabilité et moderne à la fois dans un avenir immédiat ? Dans quelle mesure surtout n’aurons-nous pas besoin de telles figures positives pour nous accompagner dans les transitions à venir ?
Gilles Séré de Lanauze, Maître de conférences en marketing, Université de Montpellier et Jeanne Lallement, Professeure des Universités (Marketing), La Rochelle Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.