Le prix n’est pas forcément un signal de qualité des produits
Les prix nous renseignent-ils convenablement sur la qualité des marchandises ou des services achetés ? La question reste en suspens pour une catégorie de biens que les économistes appellent credence goods, que l’on peut traduire par « biens fiduciaires », pour indiquer que la valeur de ces biens est fondée sur la confiance que l’acheteur accorde au vendeur.
Philippe Mahenc, Université de Montpellier
La qualité d’un bien fiduciaire comprend une composante qui répond à une préoccupation publique d’ordre environnemental, éthique ou sanitaire. Un affichage écologique ou encore équitable rehausse la valeur du bien fiduciaire en proclamant que sa production et/ou sa distribution se plient à des normes plus ou moins précises.
Il n’est pas facile de vérifier que l’entreprise respecte ces normes : seul un expert peut certifier – souvent avec une marge d’erreur – que l’entreprise est digne de confiance. Par conséquent, l’acheteur n’est jamais certain d’être correctement informé sur la qualité d’un bien fiduciaire même après l’avoir consommé. Des entrepreneurs peuvent alors être tentés d’abuser de sa confiance.
Pour dissiper l’incertitude des acheteurs, producteurs et distributeurs d’un bien fiduciaire doivent trouver un moyen crédible de signaler sa qualité, comme le prix.
Il arrive ainsi qu’une entreprise vende un produit à un prix singulier – fort ou faible – pour signaler qu’il est de bonne qualité, comme nous l’avions montré dans un article de recherche publié en 2007. Il arrive cependant que le prix d’un bien fiduciaire ne parvienne pas à envoyer un signal crédible, ainsi que l’illustrent les trois exemples suivants dans le vin, l’automobile ou la santé.
En 1907, les viticulteurs victimes des fraudeurs
Avant que la loi du 29 juin 1907 protège le vin naturel contre le vin frelaté, le marché du vin en France était perturbé par l’approvisionnement en piquette. Suivant cette loi, le vin doit provenir exclusivement de la fermentation alcoolique du jus de raisin frais. En l’absence de définition officielle, le vin était un bien fiduciaire.
Pour fabriquer la piquette, on pressait le marc de raisin, on le diluait avec de l’eau, ou bien on améliorait la couleur et le goût d’un mauvais jus de raisin avec des adjuvants chimiques. Les négociants et les vignerons qui pratiquaient cette concurrence déloyale représentaient environ 5 % du marché.
Lorsque le prix du vin s’effondra en France après 1900, les vignerons du Midi en attribuèrent la cause au vin frelaté. Les petits vignerons du Languedoc et des Pyrénées-Orientales se retrouvèrent ruinés par la mévente des vendanges de 1906. La crise du vin provoqua un mouvement spontané de révolte en 1907 qui fut réprimé dans le sang par le gouvernement.
Dans ce cas, le marché affichait le même prix, quelle que soit la qualité, de sorte qu’il était impossible de distinguer le vin naturel de la piquette. Dans ces conditions, il n’était pas absurde de penser que le mauvais vin entraînait le bon dans sa chute.
Par la suite, la loi du 29 juin et les décrets associés permirent d’organiser la prévention et le contrôle de la fraude. Ils donnèrent l’autorité et les moyens de veiller au respect des normes à une entité représentant l’intérêt des vignerons, la Confédération générale des vignerons.
L’opportunisme de Volkswagen
Plus récemment, des comportements opportunistes sont apparus sur le marché européen des véhicules diesel. À grand renfort d’annonces commerciales mensongères, des constructeurs automobiles prétendaient que leurs moteurs diesel, estampillés « Clean Diesel », respectaient l’environnement.
En 2015, l’Environmental Protection Agency aux États-Unis a accusé le groupe Volkswagen d’enfreindre la loi sur la qualité de l’air inscrite dans le Clean Air Act, en se fondant sur un rapport de l’International Council on Clean Transportation. Cette organisation mettait en évidence des écarts dans les émissions d’oxydes d’azote (NOx) entre les modèles de véhicules américains et européens.
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La concurrence irrégulière de Volkswagen
Il fut ainsi prouvé que Volkswagen avait équipé ses automobiles diesel avec des logiciels programmés pour frauder les contrôles de pollution. Après avoir passé avec succès les tests en laboratoire, les véhicules émettaient sur la route jusqu’à 40 fois plus de NOx que le taux autorisé par la norme américaine. Volkswagen a plaidé coupable en 2017.
D’autres contrôles indépendants effectués par le club automobile allemand ADAC ont montré qu’en conditions de conduite réelle, des moteurs diesel concurrents de Volkswagen dépassaient de plus de 10 fois le seuil légal d’émissions de NOx en Europe.
Entre véhicules de mêmes caractéristiques techniques, s’il en est un qui se distingue du lot par la propriété d’être moins polluant, son prix doit le signaler par une singularité. Selon les perspectives de ventes, cette singularité prend la forme d’un rabais ou d’une hausse que ne pourrait afficher un constructeur malhonnête. Le signal crédibilise ainsi la publicité faite au modèle.
Les laboratoires coupables de communication malhonnête
Le troisième exemple de comportement opportuniste est donné par trois compagnies pharmaceutiques, Genentech, Novartis et Roche (GNR). Le trio commercialise deux médicaments contre la cécité, le Lucentis et l’Avastin, qui ne ciblent pas les mêmes symptômes. Le Lucentis soigne la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) tandis que l’Avastin traite un cancer dû à un œdème maculaire diabétique.
Contrairement au Lucentis, l’Avastin ne bénéficie pas d’une autorisation de mise en marché pour des soins ophtalmologiques. Il est quand même prescrit pour ralentir les effets de la DMLA par un grand nombre de médecins convaincus que le traitement est aussi efficace que le Lucentis. Le National Health Security du Royaume-Uni est parvenu à la même conclusion en 2018.
Par ailleurs, l’Avastin a un avantage économique déterminant sur le Lucentis : il est vendu 30 à 40 fois moins cher à travers le monde. Par un tel écart de prix, GNR envoie des signaux plutôt troublants.
En 2013, le Groupe d’étude français Avastin versus Lucentis a lui aussi mis en évidence l’équivalence d’Avastin et de Lucentis en termes d’efficacité, sans qu’aucune différence en termes de sécurité n’ait pu être identifiée.
En réaction, GNR a mené une campagne de communication basée sur une présentation sélective et biaisée de résultats scientifiques dans le but de tromper les ophtalmologistes sur les risques liés à l’utilisation de l’Avastin. Finalement, en septembre 2020, l’Autorité de la concurrence a sanctionné Genentech, Novartis et Roche pour avoir abusé de leur position dominante collective sur le marché français du traitement de la DMLA. Parmi les griefs, c’est surtout la malhonnêteté des méthodes de communication qui est reprochée au trio.
Dans ces trois exemples, les prix n’ont pas révélé d’information sur la qualité réelle de biens fiduciaires. Ils ont soutenu des comportements opportunistes au lieu de les dissuader. Certes, les prix ont envoyé des signaux, mais ces signaux n’étaient pas crédibles puisqu’ils n’ont pas permis de distinguer la bonne qualité.
Envoyer des signaux crédibles
Comme nous le montrions dans un article de recherche publié en 2017, il est donc nécessaire que les signaux transmis par les prix soient crédibles pour garantir la fiabilité de la certification.
On peut facilement expliquer pourquoi les prix n’envoyèrent pas de signaux crédibles dans le cas des vignerons français. Ceux-ci étaient de taille trop modeste pour décider de prix qui leur étaient imposés par la pression concurrentielle.
En revanche, les constructeurs automobiles ou les compagnies pharmaceutiques jouissent d’un pouvoir de marché suffisant pour choisir leurs prix de manière stratégique. Ils fixent alors le prix d’un produit à un niveau d’autant plus élevé qu’ils s’attendent à ce que des concurrents, s’il en existe, agissent de la même façon. Lorsque les produits sont fiduciaires, les industriels peuvent aussi se servir des prix pour en signaler la qualité. Comme on l’a vu, ils préfèrent parfois mystifier les acheteurs.
L’existence de telles stratégies donne matière à réflexion au moment où les laboratoires pharmaceutiques affichent l’efficacité de divers vaccins contre le Covid-19 pour segmenter le marché et préparer la concurrence en prix. On peut en conséquence s’interroger : les prix proposés aux États acheteurs signalent-ils réellement l’efficacité des vaccins ?
Philippe Mahenc, Professeur en sciences économiques (économie de l’environnement/organisation industrielle/économie agricole), Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.