L’école du changement : filmer les pédagogies alternatives
Le confinement et la complexité d’un retour à l’école avec les protocoles sanitaires nous rappellent, si cela était encore nécessaire, l’importance des échanges et des liens humains qui se tissent entre enseignants et enfants.
Sylvain Wagnon, Université de Montpellier
Alors qu’on s’interroge beaucoup sur le “monde d’après” fleurissent les appels à un renouvellement des pédagogies ou des espaces scolaires – on peut notamment citer la tribune publiée dans Le Monde invitant à faire classe à l’extérieur.
Toutefois, ce besoin d’horizons nouveaux ne s’est pas manifesté subitement avec le confinement. C’est une ambition des pédagogies alternatives apparues dès le début du XXe siècle, et qui rencontrent toujours un large succès, en témoigne l’engouement pour la pédagogie Montessori.
Comment dépasser le cadre de l’utopie, et appréhender ce bouillonnement d’idées en tant que réelles perspectives pour demain ? Et si le cinéma permettait de tracer des voies concrètes à explorer ? Voici une sélection de documentaires qui peuvent aider à voir l’école sous un autre angle.
L’école du changement
En 2018, un documentaire d’Anne Schiffmann et Chergui Kharroubi, L’école du changement est consacré à deux nouveaux établissements d’enseignement secondaire bruxellois qui ont fait le choix de méthodes actives – c’est-à-dire sortant du cadre du cours magistral où l’élève est en simple situation d’auditeur pour lui donner une position d’acteur de ses apprentissages. Un choix que reflètent ces propos d’un professeur que l’on entend dans le film :
“Ce qu’on veut faire maintenant, c’est un travail où on va parler en groupe. On ne va pas rejoindre le tableau où il y aurait le savoir que je, a priori, vais vous donner. On va se regarder les uns les autres parce que le savoir il est chacun de nous.”
Les réalisateurs se sont immergés pendant un an dans les établissements pour suivre le quotidien des élèves et donner vie à ces pédagogies. L’un des mérites du film est de ne pas s’enfermer dans la connaissance didactique de ces pédagogies qui forment en réalité une galaxie, composée de multiples courants (Freinet, Montessori, Decroly ou Steiner), avec leurs spécificités.
Ici, les réalisateurs observent les transformations d’une communauté éducative,les hésitations, les doutes de l’équipe enseignante, mais surtout leur engagement et leur enthousiasme. Loin d’être un institution figée, l’école paraît ainsi comme une aventure.
L’école buissonnière
Encore aujourd’hui très minoritaires, toutes les pédagogies alternatives ont eu à cœur de se faire connaître. Dès le début du XXe siècle, elles ont compris l’importance du cinéma. Mais ce sont dans un premier temps les films de fiction qui font découvrir au grand public ces pédagogies.
En 1949, L’école buissonnière, réalisé par Jean‑Paul Le Chanois, est le récit fictif des débuts du pédagogue Célestin Freinet, joué à l’écran par Bernard Blier. Le scénario fut supervisé par Elise Freinet elle-même, soucieuse de diffuser les idées pédagogiques novatrices de Freinet.
Plus récemment ? en 2016, et dans un style bien plus “hollywoodien”, Captain Fantastic avec Viggo Mortensen mettait en lumière l’instruction en famille.
Montrer l’école autrement
Récemment redécouvert, le film italien de Vittorio de Seta le journal d’un maître d’école, sorti en 1973, fut précurseur dans la façon habile de laisser les enfants jouer, travailler et créer, tout en proposant d’observer la relation pédagogique bienveillante entre l’enseignant et sa classe, que souhaitent développer les pédagogies alternatives.
Filmer une pédagogie en action est complexe. Comment montrer des enfants jouant, réfléchissant ou s’émerveillant ? Il existe pourtant un genre documentaire éducatif à succès. Le film de Nicolas Philibert, Etre et avoir, détaille en 2002 l’aventure d’une classe unique rurale auvergnate.
Depuis une dizaine d’années, on assiste un renouveau de ce genre. Chaque pédagogie alternative comprend l’importance de montrer les caractéristiques de ses expérimentations. Le point de vue choisi est en général celui des promoteurs de la pédagogie en question, plutôt que celui de l’analyse critique.
Sur les pédagogies Montessori, Freinet, ou l’instruction à domicile, on peut citer par exemple Etre et devenir de Clara Bellar, en 2014, L’école en vie de Mathilde Syre, en 2016, Le maître est l’enfant d’Alexandre Mourot ou Une idée folle, de Judith Grumbach, en 2017, Etre plutôt qu’avoir d’Agnès Fouilleux, en 2018.
Créativité et autonomie
Ces films ont tous la volonté de relater l’enthousiasme, l’investissement et l’envie d’enseigner grâce aux pédagogies alternatives.
Si nous revenons à L’école du changement, dont le titre est en lui-même un manifeste, les réalisateurs ont réussi à montrer que repenser l’école passe par une multitude de petits gestes, un regard bienveillant et confiant des adultes et un plaisir d’enseigner pour attiser la curiosité sans limites des enfants.
L’immersion de l’équipe du film permet de proposer des scènes de vie scolaire qui mettent en lumière des notions importantes comme l’autonomie, la créativité à travers le suivi d’enfants et d’adultes qui évoluent ensemble et à leur rythme.
La difficulté de tous ces films est de montrer la part invisible de la construction mentale des apprentissages. En observant des enfants et des adolescents réfléchir, penser, travailler en groupe, par projet, se dessine cette autre école voulue par les pédagogies alternatives.
Contrairement à certaines idées reçues, ces films montrent l’importance de l’adulte, de la relation pédagogique, des parents, du respect de règles construites en commun, ainsi qu’une exigence et une rigueur dans le travail qui ne sont pas en contradiction avec le plaisir et le bien-être.
Un projet pédagogique et politique
Bien sûr, ces films relatent avec bienveillance ces expériences éducatives. L’écueil serait de tomber dans une vision idéalisée et un militantisme aveugle. Les critiques existent et doivent être prises en compte par les pédagogies alternatives.
Certaines études mettent en avant les difficultés et les inégalités que peuvent créer les méthodes actives pour certains élèves. Ensuite se pose la question de la mixité sociale et du risque “d’entre-soi” social de telles écoles. Ces films ne répondent bien évidemment pas à toutes ces interrogations, et comprendre les intentions et les finalités d’une éducation au-delà des seuls discours est une gageure.
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Néanmoins, l’observation du plaisir d’apprendre et d’enseigner reflète le fossé qui existe entre un enseignement fondé sur la toute-puissance des savoirs disciplinaires et un enseignement en quête de sens. Cela ne doit pas empêcher l’ensemble des pédagogies alternatives de clarifier leur projet social et politique pour savoir s’il participera au sursaut pour penser une nouvelle éducation.
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.