Les communautés de poissons peuvent contribuer simultanément à la nature et aux populations humaines dans les récifs tropicaux

Pour la première fois, une équipe internationale menée par des chercheurs de l’Université de Montpellier, du CNRS et de la FRB a estimé 29 contributions des communautés de poissons récifaux aux besoins humains et au bon fonctionnement des écosystèmes côtiers tropicaux à l’échelle mondiale. Leurs travaux, publiés dans la revue One Earth par un étudiant en thèse à l’Université, s’inscrivent dans le cadre du Nature Futures Framework qui propose d’imaginer des futurs souhaitables où l’humain et la nature peuvent coexister de manière durable. Dans ce cadre, ce travail a estimé les contributions potentielles de la nature à elle-même, appelées « Nature for Nature », ainsi que les contributions de la nature aux êtres humains appelées « Nature for People », qui ne sont pas mutuellement exclusives.

Un travail d’une grande envergure

Ce travail est l’aboutissement d’une collaboration internationale (projet Biodiversa+ REEF-FUTURES, où 1237 récifs sont étudiés à l’échelle mondiale incluant plus de 1000 espèces de poissons) et par la large gamme de contributions qui y est documentée (29 contributions sont estimées). Ces dernières varient de la concentration en micronutriments des poissons et leur attrait esthétique, à la diversité des rôles écologiques des poissons présents au sein des récifs. Les contributions des communautés de poissons sont calculées à partir de l’abondance de chaque espèce sur les récifs, une donnée recueillie en plongée grâce au protocole de science participative Reef Life Survey déployé depuis plus de 18 années à l’échelle mondiale. 

Ce travail distingue ainsi quatre situations où chacune des dimensions « Nature for Nature » et « Nature for People » peuvent être fortes ou faibles. Par exemple, les récifs des îles Galapagos peuvent principalement contribuer au bon fonctionnement des récifs, de par leur originalité écologique et leur histoire évolutive unique. Les poissons récifaux de la Polynésie française, eux, apportent à la fois des bénéfices aux écosystèmes récifaux et aux humains grâce à leur grande diversité, leur biomasse élevée et leur attrait esthétique permettant à la fois pêche locale et attrait touristique. Au contraire, les communautés de poissons en Tanzanie subissent une forte exploitation humaine, et ne fournissent plus de contributions significatives au bon fonctionnement des écosystèmes marins côtiers. 

Certaines communautés de poissons peuvent donc être écologiquement saines tout en étant capables de fournir des avantages significatifs aux populations humaines, ce qui remet en question la vision classique selon laquelle les stratégies de conservation doivent privilégier l’un par rapport à l’autre. Ces résultats ouvrent la voie à des approches interdisciplinaires et participatives impliquant des écologues, des spécialistes des sciences sociales, des décideurs politiques, afin d’optimiser la gestion de ces écosystèmes vulnérables pour répondre aux besoins des populations et aux objectifs de conservation. Seule cette stratégie permettra de construire un avenir plus souhaitable où la nature et les humains pourront coexister de manière durable. Ce travail soulève aussi les défis à relever pour restaurer les récifs fortement dégradés et/ou trop impactés par l’exploitation humaine. 

Le gouvernement français voulant faire de 2025 l’année de l’océan en France avec comme point d’orgue l’organisation à Nice de la 3e conférence des Nations Unies pour l’océan, cet article illustre en amont l’ampleur de ces défis, les scénarios possibles et les opportunités liés à la coexistence entre les populations humaines et les poissons récifaux qui sont emblématiques et particulièrement affectés par les activités humaines. D’une manière plus générale, ce travail ouvre des pistes originales et une méthodologie qui pourra aussi être appliquée aux écosystèmes terrestres et donc présente un intérêt qui dépasse celui des écosystèmes marins côtiers.

Les poissons de récifs jouent un rôle vital dans la chaîne alimentaire et contribuent à la santé des récifs en contrôlant les populations d’algues et en participant à la circulation des nutriments. Ils contribuent également aux activités humaines en stimulant l’économie locale grâce au tourisme et à la pêche. Photo : le récif de Ningaloo est un récif corallien situé au large de la côte ouest de l’Australie. © Rick Stuart Smith

Les poissons de récifs jouent un rôle vital dans la chaîne alimentaire et contribuent à la santé des récifs en contrôlant les populations d’algues et en participant à la circulation des nutriments. Ils contribuent également aux activités humaines en stimulant l’économie locale grâce au tourisme et à la pêche. Photo : le récif de Ningaloo est un récif corallien situé au large de la côte ouest de l’Australie.      © Rick Stuart Smith

Joshua Cinner, professeur à l’Université de Sydney (Australie) : “L’un des aspects les plus intéressants de cet article est qu’il identifie de véritables “hot spots”, où les récifs offrent des avantages à la fois pour l’homme et pour la nature.”

David Mouillot , professeur à l’Université de Montpellier (France) : “En tant que responsable du projet international REEF-FUTURES (Biodiversa+), dans lequel nous avons mis beaucoup d’efforts pour estimer ces multiples contributions des poissons récifaux,  je vois cette synthèse comme un aboutissement mais aussi un espoir de mettre en place des solutions basées sur la nature, qui s’inspirent d’exemples locaux, pour sortir certains socio-écosystèmes côtiers tropicaux de leurs trajectoires négatives.” 

Nicolas Mouquet, chercheur au CNRS, directeur scientifique du Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité (Cesab) de la FRB à Montpellier : “Notre travail ouvre la voie pour aborder les compromis essentiels entre l’intégrité écologique et le bien-être humain. En dépassant les modèles traditionnels de croissance économique et en adoptant une approche post-croissance, je pense que nous pouvons vraiment favoriser une coexistence durable entre la biodiversité et l’humanité.”

Rick Stuart Smith, professeur à l’Université de Tasmanie (Australie) : “Les poissons de récifs sont d’une importance extraordinaire pour le fonctionnement des écosystèmes marins et apportent de nombreux avantages aux sociétés humaines. Je suis certain que le grand public ne mesure pas à quel point ces contributions sont diverses, et je pense même que la communauté scientifique les sous-estime. Pour moi, cette étude représente l’un des comptes rendus les plus complets de la diversité des rôles joués par les poissons de récifs”

Informations pratiques

  • Date : parution de l’article le 18 octobre 2024
  • Plus d’infos sur IPBES 
  • Bibliographie :Fish communities can simultaneously contribute to nature and people across the world’s tropical reefs – Ulysse Flandrin, David Mouillot, Camille Albouy, Sonia Bejarano, Nicolas Casajus, Joshua Cinner, Graham Edgar, Mattia Ghilardi, Fabien Leprieur, Nicolas Loiseau, Aaron MacNeil, Eva Maire, Matthew McLean, Valeriano Parravicini, Loïc Pellissier, Nina Schiettekatte, Rick Stuart-Smith, Sébastien Villéger, Nicolas Mouquet – One Earth (2024)