Les drogues durent

Des pharmacopées d’hier aux médicaments de demain : un voyage dans ces contrées méconnues qui connaissent un regain d’intérêt, celles des médecines traditionnelles. Bienvenue dans le droguier de Montpellier.
Bocaux antiques, majestueuses armoires, vitres anciennes où se reflètent les regards des curieux… Ici figurent en chair ou en tiges les remèdes de nos grand-mères, pêle-mêle avec les ingrédients traditionnels d’Afrique, d’Asie ou des Amériques : du pissenlit dépuratif de nos garrigues aux précieux thés chinois, en passant par les plantes médicinales de La Réunion, les vipères en flacon et autres scolopendres séchés, ou encore l’ambre gris venu des mers lointaines…

Collections vivantes

Cette étonnante caverne d’Ali Baba se cache au bout d’un anonyme couloir de la Faculté de pharmacie de Montpellier. Yves Pélissier en a les clefs. Quand il ouvre les portes du vénérable droguier de Montpellier – héritier du tout premier droguier créé en 1588 – c’est un autre monde qui accueille le visiteur.
Aux temps de la splendeur, il y a eu ici jusqu’à 45 000 échantillons, rappelle celui qui, avec Chantal Marion, a lutté pour préserver ce lieu menacé par les inondations, la poussière et l’oubli. En 2009, grâce à leurs efforts, le droguier de Montpellier est classé au titre des monuments historiques. Il renferme aujourd’hui près de 10 000 échantillons de “drogues” : minéraux, végétaux, substances animales. Des collections constituées au fil des siècles, des voyages, et des échanges avec le monde entier.
Un musée ? Pas exactement. Car cette collection reste vivante. Elle s’enrichit chaque jour de dons ou de legs. De travaux aussi : le droguier est devenu un très actif centre de pédagogie et de recherche. Depuis 2002, il a ainsi inspiré plus de 75 thèses. Quant au diplôme universitaire de phytothérapie récemment créé par Yves Pélissier, il fait salle comble : 157 demandes cette année pour 33 places…

Ethnopharmacologie

Un intérêt grandissant qui signale la fascination qu’exerce aujourd’hui l’ethnopharmacologie : cette science qui se penche sur les savoirs traditionnels et ce qu’ils ont à nous apprendre. Des savoirs pour le moins complexes. Car une plante est un véritable cocktail de composés chimiques, qui varie en fonction de nombreux paramètres : la saison, le sol, l’ensoleillement… “Les anciens connaissaient des périodes et des zones de récolte très précises. Aujourd’hui on manque souvent d’informations sérieuses, comme de praticiens correctement formés. Il y a donc un vrai risque, notamment dans le recours à l’automédication via Internet”.
Une mise en garde qui vaut particulièrement pour l’aromathérapie, branche de la phytothérapie basée sur l’utilisation des huiles essentielles. Car les plantes ne sont pas inoffensives. De même que leurs bienfaits, leur toxicité est connue depuis la nuit des temps. “Elles ne devraient être prescrites que dans les règles de l’art, et par des spécialistes reconnus. Rien d’anodin, par exemple, dans une simple essence d’eucalyptus : en surdose, elle peut être toxique” met en garde Yves Pélissier, professeur en pharmacognosie, en phytothérapie et en aromathérapie.
Avec l’apparition de la chimie, à partir du XIXe siècle, l’allopathie avait peu à peu fait disparaître les médecines traditionnelles. Celles-ci font aujourd’hui leur grand retour. Leur principal intérêt ? “Elles ne se contentent pas de soigner les symptômes. Elles proposent une approche “holistique”, c’est-à-dire globale”. En d’autres termes, “elles ont le mérite de s’intéresser à votre bien-être, de proposer une régulation harmonieuse qui ne néglige aucune dimension – la psychologie notamment. Acupuncture, massages, énergie, plantes : la médecine chinoise, par exemple, intègre tout cela !”.

Apprendre du passé

Yves Pélissier n’oppose pas pour autant médecine conventionnelle et médecine traditionnelle. Mais parle d’”approches complémentaires”. “L’allopathie – dont la phytothérapie est d’ailleurs partie intégrante – a fait ses preuves. Les thérapeutiques traditionnelles ont également leur place. Dispensées avec professionnalisme et sous couvert médical, elles peuvent être préconisées dans les soins de santé primaire, dans l’accompagnement du bien-être des patients ou pour pallier aux effets indésirables de certains traitements.
Et de rappeler que dans les pays émergents, l’OMS préconise aujourd’hui l’utilisation de “médicaments traditionnels améliorés”. Bon marché et efficaces, ces dérivés de la pharmacopée traditionnelle sont tout indiqués pour résoudre des problèmes sanitaires de base – fièvre, hémorragie ou encore dysenterie. Encore faut-il veiller à préserver un savoir ancestral qui a tendance à disparaître…
Un oubli qui n’épargne pas nos pays industrialisés. Heureusement, la recherche prend aujourd’hui le relais de la tradition. Lieu de préservation des pharmacopées anciennes, centre de ressources pour les enseignants, le droguier de Montpellier est aussi un laboratoire qui met en relations des scientifiques du monde entier. “Les chercheurs sont à l’affut. De nos jours, de nombreuses plantes issues des pharmacopées traditionnelles font l’objet de travaux scientifiques afin de confirmer leurs applications thérapeutiques”. A l’issue d’un long processus, ces plantes jusqu’ici inconnues de la science moderne pourront être intégrées à la très officielle pharmacopée européenne. Une entrée synonyme de reconnaissance de leurs propriétés médicinale : condition nécessaire pour qu’elles puissent, un jour, être prescrites par votre médecin.
Loin d’être condamnées à l’oubli dans les placards de nos grands-mères, les plantes constituent une source d’espoirs pour les traitements de demain, et le droguier de Montpellier un fabuleux terrain d’exploration pour les chercheurs. “Face aux nouvelles technologies, l’avenir de la phytothérapie n’est pas sombre, conclut Yves Pélissier. Nous avons des choses à apprendre du passé. A condition d’appliquer à ces savoirs ancestraux les méthodes scientifiques d’aujourd’hui”.