[LUM#9] L’homme, cette espèce cancérigène

Les activités humaines pourraient conduire à une augmentation des taux de cancer dans la faune sauvage. Un phénomène très sous-estimé que les chercheurs souhaitent étudier de plus près pour mieux comprendre cette maladie et peut-être développer de nouveaux traitements.

D’ici à 2050, 99 % des espèces d’oiseaux marins auront ingéré des micro-plastiques. © IRD – Jean-Michel Boré

Qu’elles soient marines ou terrestres, des villes ou des champs, à plumes ou à poils, aucune espèce ne semble à l’abri du cancer. Une maladie en plein boom chez les animaux aussi, comme le suggère une étude menée par des chercheurs du Centre de recherches écologiques et évolutives sur le cancer (CREEC). Ces derniers estiment que les activités humaines pourraient conduire à une augmentation des taux de cancer dans la faune sauvage.

« Il est désormais avéré que les changements globaux augmentent l’incidence des cancers chez l’homme, nous avons donc supposé que ces mêmes modifications augmenteraient également le taux de cancer chez les animaux, qui partagent le même environnement que nous », explique Mathieu Giraudeau, chercheur au laboratoire Mivegec et membre du CREEC. Les changements globaux ? La pollution chimique évidemment. Mais pas seulement…

Pollution chimique

Pesticides, perturbateurs endocriniens, microplastiques, résidus de l’industrie pharmaceutique, autant de substances connues pour leurs effets cancérigènes, et auxquelles les animaux sont exposés autant que l’Homme. « Et même davantage, déplore Mathieu Giraudeau, car il existe des normes limitant l’exposition pour l’être humain, mais les animaux sauvages peuplant les zones agricoles sont certainement exposés à des doses bien plus élevées que nous. »

Et les belugas de l’estuaire du Saint-Laurent au Canada en sont un bon exemple : dans une eau fortement polluée par les effluents de l’industrie de l’aluminium, 27 % de ces mammifères marins examinés se sont avérés atteints de cancers. De la même façon, les lions de mer californiens présentent une augmentation des taux de cancer provoquée par la pollution de l’eau aux composés organochlorés.
Une pollution qui n’épargne pas les espèces à plumes : « Il est prédit que d’ici à 2050, 99 % des espèces d’oiseaux marins auront ingéré des microplastiques. » Une contamination problématique car ces microplastiques relâchent une multitude de composés chimiques dans l’organisme, dont certains comme le bisphénol A ont un effet cancérigène démontré.

Pollution lumineuse

En plus de cette pollution chimique, les animaux sauvages sont confrontés à une modification environnementale d’un autre type : la pollution lumineuse. Chez l’homme, des études montrent que l’exposition à la lumière artificielle pendant la nuit perturbe la production de mélatonine, l’hormone qui régule l’horloge biologique. Un dérèglement associé à un risque de cancer plus élevé. « Les oiseaux qui sont exposés à la pollution lumineuse nocturne subissent eux aussi des perturbations du rythme circadien et de la production de mélatonine. On trouve même désormais des espèces pour lesquelles certains couples nichent sur des lampadaires en ville », explique Mathieu Giraudeau.

Changements alimentaires

Les chercheurs ont identifié un troisième facteur pouvant augmenter l’incidence des cancers chez les animaux : l’alimentation. « C’est un problème particulièrement important en milieu urbain, qu’il s’agisse de la nourriture qu’on leur distribue dans les parcs ou encore des animaux sauvages qui se nourrissent dans les poubelles. Cette alimentation ne correspond pas à leurs besoins et entraîne des carences en micronutriments et des modifications du microbiome qui peuvent être associées à des cancers », explique le chercheur. Et les animaux des villes ne sont pas les seuls concernés : une étude a par exemple montré que 92 % des vautours fauves présentaient des résidus de fluoroquinolone, une famille d’antibiotiques administrés au bétail dont les charognards consomment les carcasses et qui possèdent des propriétés cancérigènes.

Appauvrissement génétique

Le déclin de nombreuses espèces pourrait également les rendre plus vulnérables au cancer. « S’il y a de moins en moins d’individus dans les populations d’animaux sauvage, il y a également moins de diversité génétique, ce qui peut favoriser l’accumulation de mutations favorables à la survenue de cancers », expliquent les chercheurs. Ce phénomène a d’ailleurs été vérifié chez deux espèces en danger d’extinction : les renards gris des îles Santa Catalina en Californie et les zèbres de montagne du Cap en Afrique du Sud, chez qui la baisse de diversité génétique a augmenté les taux de cancer.

Nouvelles stratégies thérapeutiques

Malgré un manque de données déploré par les chercheurs, ces derniers sont catégoriques : toutes les espèces animales étudiées sont concernées par le cancer. « Ce phénomène reste très peu étudié, on connaît la prévalence du cancer pour seulement 31 espèces de vertébrés », constate le chercheur qui estime que les cancers sont très sous-estimés dans la faune sauvage. « Il faut maintenant d’une part récolter davantage de données sur le terrain pour mieux évaluer le cancer dans les populations sauvages et d’autre part vérifier expérimentalement l’impact des activités humaines sur les animaux », explique Mathieu Giraudeau.

Ce champ de recherche intéresse d’autant plus les scientifiques qu’il ouvre de nouvelles voies dans la lutte contre le cancer chez l’Homme. « Certaines espèces animales développent des adaptations pour survivre en milieu pollué, certaines autres sont plus résistantes au cancer. Si on parvient à mieux comprendre ces phénomènes on peut envisager de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour lutter contre cette maladie en s’inspirant des défenses anti-cancer mises en place par ces espèces. »