L’IA symbolique repose, elle, sur le raisonnement humain

Logique et frugale, l’IA symbolique, n’a pas dit son dernier mot face au machine learning qui aujourd’hui s’impose dans le domaine informatique. Les chercheurs et chercheuses du Lirmm parient sur l’hybridation de ces deux IA.

Au XXe siècle, l’IA n’avait pas besoin de se dire symbolique. Nées dans les années 1950, les méthodes basées sur des représentations abstraites de haut niveau, dites « logiques », dominaient la recherche en IA. Mais depuis une dizaine d’années, avec le développement de la puissance de calcul des ordinateurs, des masses de données disponibles et de nouveaux algorithmes, l’IA neuronale – en référence aux réseaux de neurones – a pris la première place. À partir de 2012, l’IA historique a dû se différencier de cette nouvelle forme d’IA : ce sera l’IA symbolique, parce qu’elle s’appuie sur des raisonnements qui mobilisent des symboles. Marie-Laure Mugnier, informaticienne au Lirmm1, vulgarise le paradigme dominant de cette IA : « pendant longtemps, les travaux sur l’IA partaient du postulat que pour être intelligent, il faut tenir un raisonnement. Les chercheurs s’appuient sur la représentation de connaissances humaines dans des langages mathématiques qui permettent l’automatisation de raisonnements. » La chercheuse prend l’exemple d’un raisonnement déductif simple : Socrate est un homme, les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel. Ces trois assertions sont liées entre elles par une chaine logique que la machine peut reproduire.

Les premiers grands succès de cette IA ont été dans le domaine médical, pour exploiter des bases de connaissances de la médecine et en tirer rapidement des informations de diagnostic. « Le système expert MYCIN a été précurseur ; exploitant une base de connaissances d’environ 600 règles modélisant l’expertise d’un médecin, ce programme permettait d’identifier les bactéries responsables d’infections du sang, comme les méningites et de recommander des traitements antibiotiques. Toutefois les premiers systèmes experts étaient assez empiriques, alors que les systèmes à base de connaissances actuels sont rigoureusement fondés sur des théories mathématiques comme la logique et les probabilités. » L’approche logique est très différente de celle du deep learning qui repose sur des calculs numériques complexes basés sur une énorme quantité de données. Une différence majeure puisque l’IA symbolique est par nature explicable, donc susceptible d’être compréhensible par les usagers.

Analogie avec le cerveau humain

« Des agronomes de l’Inrae sont venus nous voir au Lirmm justement pour en finir “avec les boîtes noires”. On a ainsi travaillé sur un projet avec le laboratoire ABSys pour développer un système d’IA capable de les aider à concevoir de nouveaux systèmes agroécologiques », raconte Marie-Laure Mugnier. En exploitant les bases de données sur les plantes construites par les écologues et en formalisant sous forme de règles logiques des connaissances scientifiques sur les relations entre traits fonctionnels des plantes et services écosystémiques, l’outil permet d’identifier des espèces capables de rendre certains services écosystémiques. Une caractéristique cruciale de cet outil c’est qu’il peut justifier ses résultats. « En viticulture, on a testé en particulier l’identification de plantes capables de fixer l’azote, d’améliorer la structure du sol, ou de stocker l’eau, qui seraient intéressantes pour enherber les vignes (lire : Integrates data and knowledge to support the
selection of service plant species in agroecology, in Computers and electronics in agriculture
, 2024). »

L’IA symbolique reste aujourd’hui très performante dans de nombreux domaines, par exemple pour la résolution de problèmes modélisés en termes de systèmes de contraintes. « Ça peut être résoudre un sudoku mais aussi optimiser une chaine de montage industriel automobile », souligne la chercheuse. Pour expliquer la différence entre les deux IA, elle propose une analogie en les comparant aux deux systèmes qui composent le cerveau humain d’après Daniel Kahneman, psychologue et Prix Nobel d’économie en 2002 : le système 1, rapide, inconscient, intuitif, utilisé pour la reconnaissance de formes, c’est l’IA neuronale, tandis que le système 2, plus lent, conscient, explicite, utilisé pour la déduction, c’est l’IA symbolique.

Des tâches complexes de haut niveau

L’IA neuronale a bouleversé l’approche informatique dans des domaines comme la reconnaissance d’images et de la parole, la traduction des langues ou la génération de texte. « Mais l’IA symbolique permet de réaliser des tâches complexes de haut niveau, qui restent nécessaires pour l’aide à la décision, la planification ou la délibération collective », pointe Marie-Laure Mugnier qui remarque en passant que l’engouement pour le machine learning appliqué à toutes les sauces montre ses limites si la masse de données sur laquelle tournent les algorithmes est insuffisante : « je vois beaucoup d’étudiants qui, en stage en entreprise, développent des outils d’IA neuronale mais sur des jeux de données trop petits. Et ça marche mal ». Cette approche logique qui repose sur peu de données apporte un autre atout à l’IA symbolique : sa frugalité. Car c’est le traitement exponentiel de masses de données toujours croissantes qui est responsable de l’empreinte écologique de l’IA.

Au Lirmm, plusieurs travaux de recherche portent sur une IA hybride visant à combiner les deux approches. « Pour reprendre l’exemple des systèmes agroécologiques, on pourrait identifier les plantes poussant naturellement sur une parcelle grâce à la reconnaissance d’images de l’application Pl@ntNet puis utiliser notre outil d’IA symbolique pour déterminer quel est leur potentiel en termes de services écosystémiques », détaille Marie-Laure Mugnier.

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  1. Lirmm (UM, CNRS, Inria, UPVD, UPVM)
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