[LUM#22] A la recherche des glaciers perdus

Pour étudier les glaciers, les géologues recourent aux images satellites. Un travail long et fastidieux qu’Isabelle Rocamora propose de simplifier en développant le tout premier modèle de deep learning dédié à la cartographie des moraines glaciaires.

La majorité des eaux douces à la surface de notre planète ne se trouve ni dans les rivières, ni dans les lacs, mais dans les glaciers. Si l’on en compte encore près de 200 000, beaucoup ont disparu et ceux qui subsistent fondent comme neige au soleil. Au cours du 20e siècle, la surface glaciaire a en effet diminué de 30 à 40 % dans les Alpes, de 75 % dans les Pyrénées, et même au-delà de 80 % dans certains massifs tropicaux comme les Andes ou le Kilimandjaro.

Des glaciers qui en se retirant laissent tout de même une trace de leur passage : des formes géologiques appelées moraines. « C’est un amas de débris rocheux entrainés par le mouvement de glissement des glaciers et qui s’accumulent en bas et sur les côtés, explique Isabelle Rocamora. Comme quand vous poussez du sable avec votre main et que vous la retirez, elle laisse des bourrelets de sable devant et sur les bords », image la doctorante qui mène des travaux interdisciplinaires entre les laboratoires Géosciences Montpellier1 et Tetis, sous la direction de Matthieu Ferry et Dino Ienco. Cartographier ces moraines donne donc de précieuses informations, notamment sur le recul des glaciers.

Automatiser les tâches

Une tâche nécessaire mais particulièrement chronophage : « pour établir cette cartographie nous allons faire des mesures sur le terrain et nous recherchons ensuite la présence de moraines glaciaires sur les images satellites qui donnent une vision plus large », explique la géologue. Afin de gagner du temps, elle propose d’automatiser cette tâche en ayant recours à l’intelligence artificielle. « J’ai développé un algorithme qui permet d’analyser les images satellites, c’est le premier modèle d’apprentissage profond dédié à la cartographie des moraines glaciaires. »

Pour apprendre à son logiciel baptisé MorNet à reconnaître une moraine d’une autre formation rocheuse, Isabelle Rocamora a commencé par établir une cartographie « à l’ancienne » avec des images satellites de l’Himalaya acquises par le satellite Pléiades du CNES. « J’ai ensuite donné ces cartes au logiciel en lui disant “ceci est une moraine” ou “ceci n’est pas une moraine”. » Le modèle a ensuite déterminé les caractéristiques communes entre les échantillons afin d’apprendre seul à identifier une moraine sur des images satellites. « Un ordinateur ne “voit” pas les choses comme un humain, plutôt que de lui donner des réponses d’humain on va donc lui laisser trouver ses règles d’identification à lui », explique Isabelle Rocamora.

Informations contextuelles

Pour mesurer la performance de MorNet, la géologue a ensuite comparé sa propre cartographie à celle réalisée par l’intelligence artificielle. Si MorNet s’est montré efficace pour reconnaître les crêtes des moraines, il identifie moins bien ses flancs, donc le modèle sait où sont situées ces formations géomorphologiques mais ne sait pas bien les délimiter. Et pour cause, une moraine ne se définit pas juste par sa forme mais aussi par un modèle de formation et cela MorNet ne peut pas le voir, pour l’améliorer il faudrait donc lui donner des informations contextuelles. « Si le deep learning permet de gagner du temps, la cartographie nécessite toujours le regard d’un géomorphologue pour confirmer et affiner les conclusions de la machine », conclut Isabelle Rocamora.

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  1. GM (UM, CNRS, U Antilles)
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