[LUM#22] La boulimie énergétique de l’IA : un mal pour un bien ?
Le déploiement des IA contribue à la croissance rapide de l’empreinte écologique du numérique. Face aux critiques, le secteur vise des gains rapides pour atteindre la neutralité carbone. Des promesses qui doivent faire leur preuve.
Le déploiement des IA augmente l’empreinte écologique du numérique. Pas étonnant puisqu’une IA puise sa performance du traitement de masses de données toujours plus importantes, ce qui fait exploser les besoins de calcul. Avec, derrière, la multiplication des processeurs et des data-centers dont l’activité fait grimper la consommation d’énergie du secteur. Les besoins électriques pour faire tourner les IA et les cryptomonnaies devraient ainsi doubler entre 2022 et 2026, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).
« La phase d’entrainement du modèle est la plus gourmande. L’entrainement de Chat-GPT 3 aurait consommé 1300 mégawattheures, soit 200 fois plus que la consommation annuelle d’un ménage français. Sachant que l’amélioration d’un modèle d’IA demande de répéter plusieurs fois cette phase d’entrainement… La requête, dite aussi phase d’inférence, est, elle, dix fois plus énergivore qu’une requête classique Google », précise Edmond Baranes, chercheur au laboratoire Montpellier recherche en économie (MRE1).
Une surenchère pour investir dans les IA
Cette consommation énergétique contribue à l’empreinte carbone croissante du secteur. Les émissions de gaz à effet de serre du numérique tripleraient d’ici 2050, selon le scénario tendanciel d’un rapport conjoint de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) de mars 2023. Et la frugalité n’est pas à l’ordre du jour. « Personne n’envisage une réduction de la consommation d’énergie du numérique », confirme Edmond Baranes. Une des raisons est que le modèle économique des géants du numérique, les MAMAA (Microsoft, Amazon, Meta, Apple et Alphabet) repose justement sur les données. « Il y a une surenchère pour investir dans les IA car les maitriser c’est produire plus de données donc plus de valeur », explique l’économiste qui travaille depuis des années sur les marchés du numérique, plus particulièrement sur les relations entre les opérateurs Télécom et les fournisseurs de contenus numériques.
Face aux critiques de sa gourmandise énergétique, le secteur a deux parades. D’abord, les innovations technologiques pour réduire la consommation des systèmes informatiques. « L’arrivée d’une nouvelle génération de processeurs moins gourmands que les GPU (TPU, NPU…), mais aussi l’amélioration des algorithmes – plus rapides et plus efficaces – va améliorer les performances énergétiques de l’IA », souligne Edmond Baranes. Pour autant, la consommation énergétique va continuer à augmenter notamment à cause « de l’effet rebond », un mécanisme connu qui décrit la poursuite des effets négatifs d’une technologie qui s’améliore. Le recours aux énergies renouvelables pour alimenter les data-centers est aussi largement mis en avant par les MAMAA. La neutralité carbone du secteur reste pour l’instant un vœu pieux. Microsoft s’engageait en 2020 à des émissions négatives en 2030, mais en 2024 ses émissions ont augmenté de 30 % (Le Monde, 15 juin 2024).
Trouver les bons indicateurs
L’IA doit aussi contribuer indirectement à réduire nos consommations. Un rapport de l’OCDE de 2022 vante ainsi la « double transition » verte et numérique selon l’idée que les produits et services rendus par l’IA sont des sources de gains d’efficacité et donc d’économie d’énergie, en aidant à gérer les systèmes énergétiques (« smart grids ») ou en améliorant l’optimisation des réseaux de transport et de mobilité. Ces gains sont toutefois à mettre en regard d’autres effets négatifs du déploiement de l’IA, comme l’augmentation de certains usages « récréatifs », reposant largement sur la génération de textes, d’images et de vidéos, et qui consomment de plus en plus d’énergie.
« Aujourd’hui, même si des réflexions se développent, l’expertise pour évaluer les gains énergétiques liés à l’IA n’est pas encore bien stabilisée. Une initiative de l’Ademe et de l’Arcep est justement de fournir une enquête annuelle pour un numérique soutenable afin de suivre l’évolution de la consommation énergétique du numérique. L’enjeu est en particulier de trouver les bons indicateurs et de les faire évoluer en fonction des avancées technologiques », pointe Edmond Baranes.
En attendant, le secteur ne fait l’objet d’aucune restriction très stricte sur sa consommation énergétique. « Il y a des orientations de politiques générales sur la responsabilité numérique des entreprises, avec des incitations qui peuvent être reprises dans leur RSE mais il n’y a pas d’objectifs de baisse de la consommation. Heureusement, des initiatives d’entreprises se développent autour du Green computing, de l’optimisation des centres de données ou encore des efforts en matière de conception durable des produits et de recyclage », souligne Edmond Baranes. L’Union européenne a voté un règlement sur l’IA fin mai 2024, première loi contraignante au monde sur l’intelligence artificielle. « Le texte dresse une liste des services numériques en degrés de risques mais la place accordée à la consommation énergétique est très limitée ».
Une tarification progressive des services numériques en fonction du volume de données utilisé ne semble pas non plus d’actualité. Même si les opérateurs Telecom doivent, eux, gérer la capacité des réseaux, et donc suivre l’appétit des fournisseurs pour le trafic de données. « Les quelques campagnes de sensibilisation pour inciter les usagers à pratiquer le streaming en heures creuses répond à ce souci des opérateurs. Mais aujourd’hui toute entrave à l’accès à Internet est difficilement audible, car ce serait pour beaucoup perçu comme une atteinte à une liberté fondamentale », conclut l’économiste.
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- MRE (UM)
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