[LUM#3] L’université au chevet de la laïcité
Redonner du sens au concept de laïcité : un enjeu crucial auquel s’attèle l’université via deux formations dédiées ouvertes aux professionnels.
« La laïcité : une idée dépassée ? » Pour provocante qu’elle puisse paraître, la question posée en octobre dernier sur les ondes d’une radio publique a le mérite d’éclairer une réalité : dans la France de 2016, la laïcité ne va plus de soi. Chahutée, questionnée, la vieille dame cherche un second souffle, 111 ans après sa consécration par la loi de séparation des églises et de l’Etat. En cause, l’impression d’une déconnexion de ses principes vis-à-vis d’une réalité sociale aujourd’hui plus complexe. La sensation, aussi, de son incapacité grandissante à diffuser un sentiment de cohésion à travers la société.
Du principe à la réalité
Est-il encore possible de discuter de la laïcité sans soulever les passions ? Oui, répondent deux initiatives pédagogiques de l’université. Possible et même nécessaire selon Jean-Paul Udave, directeur de la Faculté d’éducation de Montpellier, qui accueille depuis 2015 une formation intitulée « Laïcité et multiculturalité en situations professionnelles ». Celle-ci retrace les conditions d’émergence et les évolutions de la laïcité, abordée sous les angles philosophique, historique et juridique. « Il y a aujourd’hui un besoin dans la société de mieux appréhender ce qu’est la laïcité, non pas comme une valeur en soi mais comme un cadre permettant l’application des principes qui figurent dans la constitution française : la liberté, et donc la liberté de conscience et d’expression ; l’égalité, et donc l’égalité de traitement des citoyens quel que soit leur appartenance ou absence d’appartenance religieuse – la neutralité de l’état sur les questions religieuses – et enfin la souveraineté populaire, c’est-à-dire le fait que la loi émane de la nation et non d’une religion. » Voici pour les principes. Des principes dont Jean-Paul Udave reconnait qu’ils ne suffisent plus, à eux seuls, à faire vivre une laïcité largement perçue comme une idée abstraite. Pour répondre à ce besoin de sens, le diplôme consacre la moitié de ses enseignements à l’étude de cas pratiques. Proposé en formation continue à des professionnels d’horizons divers, ce diplôme entend ainsi fournir aux participants des outils concrets pour la résolution de situations professionnelles conflictuelles.
Des imams à l’université
Même objectif, autres méthodes à la Faculté de droit de Montpellier, où le diplôme universitaire « Religions et société démocratique » consacre lui aussi une part de ses enseignements à la question de la laïcité. Inaugurée en 2005, la formation s’est ouverte depuis l’an dernier aux professionnels, parmi lesquels des cadres religieux, tout en conservant un principe de mixité. Les étudiants de la faculté y côtoient désormais diacres, imams, aumôniers mais aussi enseignants, fonctionnaires territoriaux ou acteurs associatifs… Gérard Gonzalez, le responsable du diplôme, en expose l’intention : « il s’agit d’expliquer que la France est un pays dans lequel on bénéficie d’une liberté religieuse très étendue, qui implique des droits mais aussi un certain nombre de devoirs et de limites… » Eclairer, en somme, toute la subtilité d’une laïcité se voulant à la fois protectrice des croyances de chacun et garante de l’indépendance de l’Etat.
Des cadres religieux sur les bancs de l’université ? L’idée a de quoi surprendre, mais reflète une manière nouvelle de penser la place du fait religieux dans l’enseignement. « La façon dont l’idée de laïcité était incorporée à l’enseignement a pu être un peu trop militante, sous-tendue par l’idée que la religion serait une affaire exclusivement privée » analyse Jean-Paul Udave.Une vision aujourd’hui intenable face à la résurgence de la religiosité dans la sphère publique.
Enseignement laïc du fait religieux
Si une mise à jour du logiciel semble inévitable, celle-ci passe nécessairement par l’école estime le directeur de la Faculté d’éducation, qui assure la formation des futurs professeurs : « les institutions et en premier lieu l’école, de la maternelle à l’université, ont non seulement vocation à expliquer les valeurs de la république mais aussi à les faire vivre. Cela passe par des méthodes d’enseignement moins magistrales, par la promotion du débat, l’autonomisation de l’élève… » Par une entrée aussi dans les salles de classes du fait religieux, entrevu comme outil de connaissance, afin d’accompagner sereinement les citoyens de demain dans leur quête identitaire et d’en prévenir les dérives : « lire la Bible ou le Coran en classe peut choquer, mais l’école a un devoir d’émancipation, d’éducation à la raison et cela en fait partie ».
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