[LUM#6] Frelon asiatique vs Plante carnivore

Le frelon asiatique envahit la France et l’Europe, menaçant nos abeilles déjà mal en point. Comment le contrer ? La sarracénie, une plante carnivore, sait l’attirer et le capturer… et offre un modèle inspirant pour fabriquer un piège à frelons asiatiques.

© Laurence Gaume-Vial

Un nouveau péril plane sur nos abeilles… Après les pesticides et les parasites, voici le frelon asiatique. Ce cousin de notre frelon européen, arrivé en France il y a moins de quinze ans, cause des ravages dans les colonies d’abeilles. En vol stationnaire, il les attaque puis les dépèce sur place pour en nourrir ses larves. Face à eux, nos précieuses pollinisatrices s’avèrent démunies. N’ayant jamais été confrontées à ce prédateur asiatique, elles n’ont pas pu développer au cours de leur évolution des comportements de défense adaptés. Résultat, déjà en déclin et pourtant cruciales pour nos écosystèmes, elles sont une proie facile pour ce frelon nouveau dans nos contrées.

Contre lui, une plante exotique offre un espoir. Son nom : la sarracénie. Originaire d’Amérique du Nord, cette plante est carnivore. Elle se nourrit d’insectes grâce à ses feuilles en forme d’urnes aux couleurs vives. Certaines espèces de sarracénies dégustent bien volontiers les frelons asiatiques ; le jardin botanique de Nantes s’en est aperçu par hasard en 2015. Dans les urnes de certaines plantes, on trouvait jusqu’à 50 % de ces insectes.

Des feuilles qui imitent les fleurs

Comment les sarracénies s’y prennent-elles pour attirer et capturer le fameux insecte d’Extrême-Orient ? Percer ce secret permettrait de fabriquer un piège inspiré de celui de la plante carnivore. Et ainsi, d’attraper en masse les frelons voraces.

« Pour imaginer un tel piège artificiel, il faut comprendre que c’est en faisant passer leurs feuilles pour des fleurs que les plantes carnivores attirent leurs proies », explique Laurence Gaume-Vial, spécialiste des interactions plantes-insectes au laboratoire AMAP (botanique et modélisation de l’architecture des plantes et des végétations). Les feuilles des plantes carnivores se parent de couleurs et de parfums de fleurs, voire de fruits et vont jusqu’à fabriquer du nectar. La sarracénie, plus spécifiquement, a des feuilles en forme d’urne. Une fois les insectes attirés puis piégés dans ces urnes, la plante n’a plus qu’à les digérer. Un piège biomimétique efficace reprendrait donc les leurres de la plante : son odeur et son apparence.

Premier chantier, donc, celui des odeurs : trouver dans les parfums de sarracénie les molécules qui attirent les frelons asiatiques. « Dans un premier temps, on teste si l’insecte est attiré par l’odeur de la plante. On le place dans un tube en Y. Dans une branche, on souffle de l’air pur. Dans l’autre, l’odeur de la plante. Le frelon n’a plus qu’à choisir. On réalise une trentaine d’essais sur un individu différent à chaque fois », explique Laurence Gaume-Vial (Le mimétisme du parfum des masques masque un piège mortel chez la plante carnivore Nepenthse rafflesiana, in Journal of ecology, 2010).

Une fois un parfum identifié comme attirant, qu’en faire ? Repérer les molécules qui font réagir les frelons asiatiques ! Pour cela, l’écologue sépare les différentes molécules volatiles qui composent l’odeur. Puis elle mesure la réaction des insectes à chaque molécule au niveau de leurs antennes.  « Dans le bouquet d’odeurs on peut ainsi voir quelles molécules précises vont entraîner une réaction du frelon », s’enthousiasme Laurence Gaume-Vial.

Ne pas nuire aux autres insectes !

Deuxième chantier pour concevoir le fameux piège : reproduire l’aspect visuel des urnes de sarracénie. Ces urnes imitant les fleurs peuvent être plus ou moins longues ou larges. « Nous avons choisi d’étudier quatre espèces de sarracénie qui font des urnes dès le printemps, période où sortent les reines de frelon, et jusqu’à l’automne, période où les ouvrières de frelon attaquent les abeilles. Sur les quatre espèces, deux capturent l’insecte : celles dont les urnes sont allongées et étroites » (Différentes formes de pichets et syndromes de piégeage expliquent la répartition des ressources chez les espèces Nepenthes, in Ecology and evolution, 2016).

Au-delà de leur forme, d’autres paramètres sont importants : leur couleur, plus ou moins rouge, le fait qu’elles réfléchissent plus ou moins les UV, ou encore la présence de points blancs. Mais aussi la quantité de poils directeurs. 

Une fois les éléments les plus attirants pour le frelon asiatique trouvés, un défi se posera. « Nous devons être sûrs de ne pas attraper des abeilles, qui représentent le pollinisateur principal de nos plantes cultivées et sauvages. Ni d’ailleurs d’autres pollinisateurs, comme les mouches. Ceci  afin de protéger les écosystèmes », explique Laurence Gaume-Vial.  Il faudra donc aussi tester les différents éléments du piège, et en particulier les molécules odorantes, sur d’autres insectes. Une exploration prometteuse pour pouvoir, bientôt, neutraliser massivement les frelons asiatiques, et seulement eux.

Le frelon asiatique, une invasion fulgurante

Les premiers frelons asiatiques sont arrivés en France en 2004 dans des poteries importées de Chine dans le Lot-et-Garonne. Il a suffi qu’une seule femelle fondatrice ponde pour que l’espèce commence à se répandre et envahisse la France en quelques années. Aujourd’hui, l’insecte chinois est présent sur les trois quarts du territoire et dans certaines régions des pays limitrophes et du Portugal. Il est classé officiellement espèce exotique envahissante et nuisible.
Comment le repérer ? Ses pattes sont jaunes, et il est foncé avec quelques bandes jaunes, contrairement à son cousin d’Europe qui est jaune, marron et rouge. Si sa piqûre n’est pas plus dangereuse, elle est plus douloureuse. Les colonies affaiblies sont ses proies favorites, ce qui est le cas des colonies d’abeilles, déclinantes. Pour contrer cet insecte, la seule solution est de piéger un maximum de femelles fondatrices, celles qui pondent et créent de nouveaux nids au printemps. La plupart des apiculteurs utilisent jusqu’à présent des techniques artisanales. Un classique : un mélange de sirop de cirier et de bière dans des bouteilles en plastique. Las, cette technique n’attire qu’une part minuscule des frelons asiatiques et anéantit d’autres insectes, les mouches en particulier, ce qui représente un danger pour la biodiversité.

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