[LUM#7] La beauté dévoilée
Visages, paysages, œuvres d’art… A la fois universel et relatif, le beau recèle bien des mystères. Pour les percer, les sciences cognitives proposent une théorie éclairante : nous trouvons beau ce qui est facile à traiter pour notre cerveau.
Pur plaisir de la contemplation… Nous l’éprouvons si souvent qu’il nous paraît évident. Le sentiment du beau a pourtant de quoi étonner. Face à un objet, un visage, une scène, nous voici ressentant de la satisfaction. Mais qu’est-ce qui déclenche en nous cette sécrétion d’opioïdes et de cannabinoïdes, molécules du plaisir ? Philosophes, historiens de l’art, psychologues, neuroscientifiques ont sondé ce mystère. Aujourd’hui, des biologistes spécialistes de l’évolution des espèces s’emparent de la question. Les mécanismes de la sélection naturelle pourraient-ils expliquer le sentiment du beau ?
Le beau universel
Une chose est sûre, la beauté possède une dimension universelle. Nous autres humains partageons de nombreuses préférences visuelles. « Depuis le début du XXe siècle, la psychologie expérimentale et les neurosciences ont largement montré des constantes dans ce que les humains jugent beau », explique Julien Renoult, biologiste spécialiste d’esthétique évolutive (L’évolution de l’esthétique : une revue des modèles, in Esthétique et neurosciences, 2016). Ainsi, on trouve un lien fort entre le temps que des nouveau-nés passent à fixer des visages ou des tableaux, et le niveau de beauté ressenti par des adultes face à ces mêmes objets. Et ce indépendamment des cultures d’origine.
Qu’avons-nous tous tendance à aimer contempler ? D’abord, certains éléments de design. Nous préférons la symétrie et les arrondis. « On juge aussi plus belles les scènes visuelles ayant des statistiques spatiales similaires à celles de la nature », explique le chercheur du centre d’écologie fonctionnelle et évolutive. C’est le cas des fractales, ces motifs identiques quelle que soit l’échelle à laquelle on se place. Montagnes, arbres, fougères, réseaux de rivières, nuages nous en offrent des exemples. « Les artistes ont tendance à créer de la beauté dans leurs œuvres en mimant le niveau de fractalité qu’on trouve dans la nature », indique Julien Renoult.
Voilà pour les critères « objectifs ». Mais comment expliquer que le beau puisse se décliner différemment selon les individus ? C’est que d’autres constantes de beauté, plus subtiles, font appel au système cognitif et à la mémoire de chacun. Ainsi les « prototypes » réjouissent notre regard : si un rouge-gorge surpasse en beauté une autruche pour la plupart d’entre nous, c’est qu’il est représentatif de notre catégorie mentale « oiseau »… variable selon les personnes. Ce qui est familier semble aussi plus beau. « Cela fonctionne visuellement mais aussi auditivement : le fait d’avoir déjà été exposé à une mélodie augmente nos chances de la trouver belle », relève Julien Renoult.
Fluidité de l’information
Voilà donc ce qui suscite le plaisir de contempler. Ces paramètres peuvent sembler hétéroclites, à première vue. Ils partagent pourtant un point commun. « Ils sont faciles à coder pour notre cerveau, permettant un traitement rapide de l’information. Le beau, c’est la circulation fluide de l’information dans le cerveau », résume Julien Renoult (La beauté réside dans le codage efficace de celui qui regarde, in The royal society, 2016).
C’est ce qui expliquerait le succès de la symétrie et des fractales : l’information redondante demande peu d’énergie au cerveau pour être traitée. « L’arrondi est une forme qui offre une forte prédictibilité, avec sa continuité dans la ligne. Quant aux designs rappelant ceux de la nature, ils correspondent à des attendus écologiques : il n’y a pas de conflit entre l’attente du cerveau et ce qu’il voit », détaille Julien Renoult. De même, le fait qu’un objet ressemble à la catégorie mentale où on le classe le rend aisé à catégoriser. C’est une explication globale et cohérente du beau que nous offre cette théorie du « codage efficace ».
Moins de surprises
Reste une question : pourquoi le traitement neuronal rapide déclenche-t-il la sécrétion des neurotransmetteurs du plaisir ? On peut imaginer l’avantage évolutif que représente une telle décharge de bien-être. « Apprécier que l’information soit facile à traiter incite à évoluer dans un environnement offrant moins de surprises. Et donc plus propice à la survie et à la reproduction », explique Julien Renoult. D’autant plus que le traitement de l’information par le cerveau est très gourmand en énergie.
Prochain questionnement pour l’esthétique évolutive : existe-t-il un beau universel entre les espèces ? « On peut l’imaginer. Nous sommes souvent charmés par des signaux de communication qui ont évolué pour être attractifs pour d’autres espèces : le chant des oiseaux, la queue du paon. Les préférences esthétiques des humains plaisent à d’autres animaux : les poulets, comme nous, préfèrent les arrondis », dit Julien Renoult. Et si la théorie du codage efficace est convaincante chez les humains, elle n’a aucune raison de ne pas fonctionner chez les animaux… puisque même les invertébrés libèrent des opioïdes et cannabinoïdes lorsque leur flux neuronal est rapide. Une « théorie générale du beau » qui n’affadirait en rien, bien sûr, la grâce de l’expérience.
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