[LUM#7] Prédire pour mieux guérir

Une médecine individualisée qui permet d’identifier les risques spécifiques à une personne pour mieux prévenir et soigner : ce sont les promesses de la médecine prédictive et personnalisée. Une discipline en plein essor, qui ouvre un nouvel horizon pour les patients, mais soulève également de nombreuses questions…

Pourquoi certains affichent une santé florissante tout au long de leur vie alors que d’autres affrontent, parfois dès leurs jeunes années, les affres de la maladie ? Indépendamment du mode de vie, qui bien sûr influence notre santé, nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie. En cause : la génétique. Une petite mutation de notre ADN peut à elle seule être responsable de l’apparition de certaines pathologies. Nul besoin d’attendre les premiers symptômes pour en avoir le cœur net : « grâce au dépistage génétique on peut désormais identifier une personne présentant des prédispositions ou un risque particulier », explique Pascal Pujol, oncogénéticien au CHU de Montpellier. C’est le principe de la médecine prédictive et personnalisée.

Avancée médicale majeure

Une approche qui a notamment révolutionné la prise en charge de certains cancers, comme ceux provoqués par la mutation des gènes BRCA 1 et 2. Les femmes porteuses de ces gènes mutés ont un risque beaucoup plus élevé que la moyenne de développer un cancer, 70 % de probabilité pour le cancer du sein et 30% pour le cancer des ovaires (Etude d’association pangénomique chez les porteurs de mutations du gène BRCA1 identifie de nouveaux loci associés au risque de cancer du sein et de l’ovaire, in Plos Genetics, 2013). « Quand le dépistage génétique révèle ces mutations on propose à ces patientes un suivi adapté : un IRM par an et une opération entre 40 et 50 ans pour enlever les ovaires. Grâce à ce protocole on estime qu’on sauve la vie d’une femme sur quatre, c’est une avancée médicale majeure ! », s’enthousiasme Pascal Pujol.

Depuis peu, ces femmes peuvent également bénéficier d’un traitement spécifique qui cible la mutation génétique. « La médecine prédictive permet ainsi d’améliorer l’efficacité du traitement. On passe d’une valeur de dépistage à une valeur thérapeutique, c’est un vrai changement de paradigme », explique le président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP). Déjà 25 000 patientes concernées ont été identifiées, mais la mutation est en réalité bien plus fréquente. « On ne propose le dépistage génétique qu’à celles qui ont des antécédents familiaux de cancer, précise Pascal Pujol, alors que dans un cas sur deux le cancer survient sans antécédent » (Genesis : une ressource nationale française pour étudier l’héritabilité manquante du cancer du sein, in Cancer BMC, 2016). La solution ? Etendre le dépistage génétique à toutes les femmes atteintes d’un cancer du sein métastasique (Orientation vers des conseils et des tests génétiques dans les syndromes BRCA1/2 et Lynch, in Journal d’oncologie clinique, 2013) .

Quand on trouve ce qu’on ne cherchait pas

Si le décryptage du génome est ainsi de plus en plus plébiscité, il soulève aussi de nombreuses questions, notamment celle des découvertes secondaires. « Dans 2 à 4 % des cas, les analyses génétiques mettent en évidence une anomalie sans rapport avec celle recherchée, mais potentiellement lourde de conséquence », explique Pascal Pujol. Que faire de ces informations ? Que dire – ou ne pas dire – au patient ? « Pour l’heure il n’y a tout simplement pas de réglementation », déplore le spécialiste. Dans un cas sur deux, le laboratoire ne fait pas part de cette découverte au médecin. Et quand ils en sont informés, seul un praticien sur deux choisit d’en faire part au patient. « On ne peut pas mettre des œillères, s’il y a des enjeux vitaux pour le patient, pourquoi les mettre sous le tapis ? » s’interroge Pascal Pujol (Rôle du médecin généraliste dans la prise en charge des porteurs de mutations BRCA1 et BRCA2 : perspectives du médecin généraliste et du patient, in Génétique moléculaire et médecine génomique, 2018)  .

Le spécialiste a ainsi été confronté au cas d’une jeune fille de 15 ans qui avait bénéficié d’une analyse génétique pour étudier une insuffisance intellectuelle. En même temps que l’anomalie responsable de son retard, l’analyse a mis en évidence un gène prédisposant à la polypose du côlon. « Si l’on ne fait rien cette maladie dégénère en cancer du côlon avant l’âge de 40 ans dans 100% des cas», explique Pascal Pujol, qui dans ce cas a choisi d’avertir la famille.

Cas par cas

Pour l’oncogénéticien la conduite à tenir doit toujours s’adapter au cas par cas, en demandant systématiquement son avis au patient via un consentement éclairé spécifique. Et en tenant compte de la possibilité d’agir : « on différencie les maladies actionnables, celles où l’on peut faire quelque chose, de celles qui sont non-actionnables ». Objectif : ne pas inquiéter les patients inutilement, mais ne pas non plus les laisser tomber gravement malades quand on aurait pu les soigner.

Pour le président de la SFMPP, il devient indispensable de faire évoluer le cadre législatif, tout en réfléchissant de façon éthique. « Si la communauté médicale ne s’en empare pas, les sociétés privées vont faire main basse sur la médecine prédictive qui va échapper à tout contrôle », s’inquiète Pascal Pujol. Certaines entreprises proposent déjà une floraison de tests, réalisés sans aucun contrôle médical. « Les patients se retrouvent ainsi en possession d’informations sur leur génome, parfois non significatives, et dont ils ne savent que faire. Le débat public qui sera lancé en 2018  et la révision de la loi de bioéthique en 2019 seront une excellente occasion de réfléchir médicalement et sociétalement à ces questions. ».

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