[LUM#10] Malbouffe, mal-être
Manger mieux pour une meilleure santé physique… et mentale. C’est ce que révèlent les travaux de Tasnime Akbaraly qui montrent qu’adopter une alimentation saine permettrait de diminuer le risque de dépression.
Maladies cardiovasculaires, cancers, diabète, obésité… La liste des maladies liées à une mauvaise alimentation ne cesse de s’allonger. Liste à laquelle il faut désormais ajouter une nouvelle pathologie : la dépression. Elle affecte 350 millions de personnes dans le monde, soit 7 % des femmes et 4 % des hommes. « La dépression est la maladie cérébrale la plus coûteuse d’Europe », précise Tasnime Akbaraly, du laboratoire Mécanismes moléculaires dans les démences neurodégénératives.
La chercheuse en épidémiologie nutritionnelle travaille depuis 10 ans sur le lien existant entre la qualité de l’alimentation et la santé mentale. « Nous n’avons pas de traitement parfait pour soigner la dépression, déplore-t-elle. Les thérapies médicamenteuses et non médicamenteuses ne sont efficaces que dans 1 cas sur 3, et le risque de rechute après un épisode dépressif majeur est de 50 %. »
Maladie multifactorielle
Une maladie multifactorielle qui associe des facteurs génétiques et environnementaux, « sur lesquels on ne peut pas agir », précise Tasnime Akbaraly. Les chercheurs se sont donc mis en quête de facteurs modifiables pour agir sur les causes de la dépression. « Beaucoup d’études montrent l’importance des nutriments dans le fonctionnement cérébral, il paraissait donc logique de faire des recherches pour étudier l’association entre alimentation et dépression. »
En décortiquant l’alimentation de volontaires tout en suivant leur santé mentale, les chercheurs ont noté qu’une bonne alimentation est associée à moins de risque de symptômes dépressifs. « À l’inverse manger gras, sucré et privilégier les aliments industriels augmente de 60 % le risque de symptômes dépressifs », précise la chercheuse.
Dans une étude publiée en 2018 dans la revue Molecular psychiatry, Tasnime Akbaraly et ses collègues ont épluché les données relatives au suivi de 36 556 adultes. Les résultats parlent d’eux-mêmes : ceux qui adhèrent le plus au régime méditerranéen (lire encadré ci-dessous) ont 30 % de risque en moins de voir survenir un syndrome dépressif. Comment peut s’expliquer ce lien entre alimentation et dépression ? Les chercheurs ont identifié deux voies métaboliques qui pourraient être en jeu : l’inflammation et le microbiote.
Régime pro-inflammatoire
L’étude publiée dans Molecular psychiatry a en effet montré qu’un régime alimentaire pro-inflammatoire – riche en acides gras saturés, sucre et produits raffinés – était associé à un plus fort risque de dépression. « L’inflammation chronique potentiellement induite par ce type d’alimentation pourrait être directement impliquée dans la survenue de la dépression. Des résultats qui soutiennent l’hypothèse selon laquelle éviter les aliments pro-inflammatoires contribue à prévenir les symptômes dépressifs », explique la chercheuse.
De nombreuses études ont également montré l’importance du régime alimentaire dans la composition du microbiote intestinal. « L’axe intestin – cerveau est très important et demeure mal connu mais l’on sait que les bactéries qui composent notre microbiote interviennent dans la perméabilité et l’inflammation des barrières intestinales », précise Tasnime Akbaraly. La relation entre l’intestin et le cerveau jouerait donc bien un rôle clé dans la survenue des troubles dépressifs.
Aucun effet secondaire négatif
Au vu de ces liens, Tasnime Akbaraly milite pour donner à l’alimentation la place qu’elle mérite dans la prise en charge des troubles dépressifs. « Il existe une étude qui a suivi deux groupes de patients souffrant de dépression à qui l’on a conseillé soit d’adopter le régime méditerranéen, soit de se sociabiliser davantage. Résultat : ceux qui ont changé leur alimentation ont vu leur risque de dépression diminuer davantage que ceux qui ont mis l’accent sur leur vie sociale. »
À quand une ordonnance pour une alimentation saine en cas de dépression ? « Les psychiatres devraient se saisir de la question de la nutrition, soutient Tasnime Akbaraly. C’est un outil supplémentaire dans l’arsenal thérapeutique à disposition des médecins, qui permet au patient d’être acteur de sa thérapie, et qui est complètement dépourvu d’effet secondaire négatif. Qu’est-ce qu’on attend ? »
Régime méditerranéen, mode d’emploi
Le régime méditerranéen s’inspire directement des habitudes alimentaires traditionnelles des populations du pourtour de la Méditerranée. Il se base sur une consommation importante de fruits et légumes, d’oléagineux, de céréales complètes, de légumineuses et d’huile d’olive. Les poissons gras riches en oméga-3 et les fruits de mer sont recommandés régulièrement. La consommation de viande, charcuterie, produits laitiers, sel et produits sucrés doit être fortement limitée. L’alcool peut être consommé en quantité modérée.