[LUM#14] Mettre la France en bouteille

Peut-on être petit et réussir à l’export ? Pour répondre à cette question, Carole Maurel* et Foued Cheriet**, deux chercheurs en gestion, se sont penchés sur le cas de dix PME vitivinicoles françaises. Perceptions de l’échec et de la réussite, trajectoires à l’international et stratégies d’export, la petite taille peut-elle être un atout sur le marché international ? Une étude publiée en 2020 dans la revue Management international.

P’tits blancs, rouges millésimés ou rosés bio, le vin reste le meilleur ambassadeur de l’Hexagone à l’étranger. Deuxième poste d’exportation après l’aéronautique et avant les parfums, une bouteille sur dix sur le marché international est estampillée made in France. « Dans la filière du vin aujourd’hui il n’y a plus le choix, il faut exporter, explique Carole Maurel, spécialiste de la finance internationale, et sur le marché mondial la concurrence s’est exacerbée. Les cartes sont rebattues et les exportateurs français ne peuvent plus compter sur une position naturelle de leader et sur l’image de la France. »

Échec et réussite

Si la France, l’Italie et l’Espagne restent les artisans traditionnels et historiques du vin, les productions américaines, australiennes, sud-africaines ou chiliennes coulent à flot et leurs stratégies ne sont pas les nôtres comme le souligne Foued Cheriet, spécialiste en stratégies agroalimentaires : « En France nous n’avons pas de marques puissantes et le marché est très atomisé avec beaucoup de petites entreprises qui doivent faire face à des géants de la filière. » Le vin français s’est structuré autour de ses AOC, de ses terroirs, de sa géographie, bref de ses petits producteurs. Pour comprendre comment cette grande catégorie de PME réagit par rapport à l’export, Carole Maurel et Foued Cheriet ont enquêté auprès de dix PME vitivinicoles aux profils très hétérogènes.

Premier constat : toutes entretiennent des perceptions très différentes de l’échec et de la réussite. « Dans la plupart des cas le succès est défini par le fait de se maintenir sur un marché, de réaliser des ventes satisfaisantes ou d’accéder à de nouveaux marchés, explique Foued Cheriet. Parfois il suffira qu’un intermédiaire à 10 000 kilomètres apprécie le produit indépendamment des ventes pour parler de réussite. Plus rarement elle sera mesurée à l’aune d’un objectif chiffré. » L’échec est lui aussi perçu de manière très subjective allant de la sortie définitive d’un marché étranger à la simple « insatisfaction de la part d’un intermédiaire ou d’un client de longue date, ce qui montre l’importance, pour ces petits producteurs, de la relation client » ajoute Carole Maurel.

Trois profils stratégiques

La même hétérogénéité va se retrouver dans les différentes stratégies mises en place par les PME. Plus ou moins travaillées ou intuitives elles dépendent également des trajectoires ayant mené à la décision d’exporter. « Bien souvent c’est une opportunité, comme une rencontre sur un salon ou une visite au domaine qui se passent bien, et qui décident la PME à se lancer dans l’export plus qu’une véritable démarche de développement programmée » poursuit la chercheuse. L’enquête a ainsi fait ressortir trois profils stratégiques – non exclusifs – de petits exportateurs vitivinicoles.

Le premier profil, dit « partenarial », va exploiter les liens et les relations qu’il entretient de longue date avec des clients ou des intermédiaires suivis. Le second va se baser sur la communication. « Il va exploiter sa taille comme un atout en valorisant l’image du petit producteur du sud de la France, proche du terroir, son ancrage local, explique Foued Cheriet. Le consommateur est très sensible à l’histoire du viticulteur et de son entreprise et cette carte-là n’est pas assez jouée à l’export. » La dernière stratégie repose sur les ressources humaines : recrutement d’un personnel dédié aux projets d’internationalisation ou recours aux structures d’accompagnement. « C’est plus rare et moins préparé et c’est un souci pour les petits exportateurs qui vont plus souvent demander à leur commercial de s’adapter. »

Atout ou handicap ?

Alors au final la petite taille des exportateurs de vin français : un atout ou un handicap ? « Si on regarde la littérature, la petite taille reste quand même un handicap car l’export comporte plus de risques pour les petites entreprises et le manque de préparation est le plus gros facteur d’échec » conclut Foued Cheriet. Difficulté à bloquer une trésorerie ou à financer un personnel dédié, faible analyse des marchés cibles ou manque d’adaptation des produits aux marchés concernés, la filière française se démarque en effet par une certaine passivité en termes de marketing et de suivi commercial.

Pour autant les résultats obtenus témoignent du potentiel à exploiter, insiste Carole Maurel : « La taille est une ressource et les producteurs français peuvent encore beaucoup progresser sur le storytelling spécifique à leur entreprise et à la tradition viticole de notre pays et qui sont de vraies forces sur le marché international. C’est une chose que les petits producteurs peuvent faire plus facilement que les gros. » Reste à savoir comment la filière vitivinicole va pouvoir s’adapter aux tempêtes qui s’annoncent. « Entre le Brexit, la taxe Trump et la covid, c’est un véritable feu d’artifice » se désolent les deux chercheurs. De quoi faire tourner le marché du vin… au vinaigre.

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*Montpellier Recherche en Management (UM – Université de Perpignan Via
Domitia, Montpellier Business School)
**MOISA (Montpellier SupAgro – Cirad – Inrae – CIHEAM-IAM Montpellier)
Cheriet F., Maurel C., (2020), « Etre petit et réussir à l’international : Etude de 10 cas d’entreprises
vitivinicoles françaises », Revue Management International, vol 24, N° 6, p.114-126.