Miss France, ambassadrice des maths auprès des filles ?
À une semaine d’intervalle, on a (encore) beaucoup parlé de mathématiques en France. C’est d’abord la communication des résultats de la fameuse enquête PISA, qui a soulevé des inquiétudes quant au niveau des élèves français dans cette matière. Puis, l’élection de Miss France a mis la filière universitaire en lumière, la lauréate du concours se trouvant être cette année une étudiante en mathématiques appliquées.
Angela Sutan, Burgundy School of Business ; Noémie Bobin, Université de Montpellier et Sylvain Max, Burgundy School of Business
Une Miss France étudiante en mathématiques pourrait-elle être un modèle pour les jeunes filles et les inviter à investir un domaine d’études qu’elles désertent actuellement massivement ?
C’est une hypothèse qu’il serait tentant de formuler dans la mesure où des « role models » peuvent susciter des vocations et où les rencontres entre professionnelles et lycéennes peuvent lever les freins à certaines orientations scolaires. Mais il faut tenir compte d’un phénomène bien connu en économie comportementale, l’« effet de dilution ».
Étudiantes et « role models »
Eve Gilles n’est pas la première Miss France mathématicienne. En 1962, Muguette Fabris avait déjà emporté le titre alors qu’elle était diplômée de mathématiques. Et beaucoup de candidates au titre de Miss France font, ou ont fait, de longes études, parfois scientifiques. Pourtant, ni en 1962, ni depuis, leur présence sur les podiums n’a eu un effet de « role model », incitant les jeunes filles à suivre leur chemin et de faire des études scientifiques.
Un « role model » est une personne qui a particulièrement bien réussi dans un domaine où le groupe auquel elle appartient est réputé avoir moins de succès. De nombreuses études montrent qu’un role model, c’est-à-dire un membre qui va à l’encontre des stéréotypes de son groupe social, peut représenter une figure inspirante. D’autres peuvent vouloir reproduire ou imiter ses qualités ou ses accomplissements.
C’est là qu’intervient ce qu’on appelle l’effet de dilution : il a été prouvé en sciences comportementales que les individus ont tendance à croire instinctivement qu’une chose qui remplit une seule fonction est meilleure qu’une autre remplissant la même fonction, plus des fonctions supplémentaires (par exemple, un produit qui nettoie et qui est respectueux de l’environnement).
En d’autres termes, le cumul d’objectifs est susceptible de réduire ou de diluer l’efficacité perçue pour atteindre chaque objectif, ce qui réduit la probabilité que ce pour quoi l’objet en question a été conçu en premier lieu soit perçu comme un usage efficace.
Il en va ainsi avec les objets, mais le même principe s’applique aux personnes : une candidate qui participe à Miss France, dont l’attribut principal de sélection est la beauté, sera considérée comme moins belle si, en plus d’être belle, elle est aussi… intelligente. D’ailleurs, la nouvelle Miss s’est heurtée à une vague de critiques sur les réseaux sociaux.
Des biais cognitifs à prendre en compte
En théorie marketing, les personnes qui votent pour élire Miss France font des choix qui correspondent à des préférences, sur la base des informations disponibles. Le fait qu’une candidate soit sélectionnée en finale du concours valide son attribut « beauté » d’une candidate. Voilà qui résout principalement un problème d’asymétrie de l’information : l’attribut de croyance (je crois qu’une fille pourrait être belle, mais je ne suis pas sûr de la norme de beauté en vigueur, de ce que pensent les autres) devient un attribut de recherche, en réduisant l’incertitude (je suis certain que cette candidate est belle par rapport à une norme sociale, et il s’agit désormais de choisir la plus belle).
Par conséquent, il est intuitivement convaincant d’informer les électeurs de l’existence d’un autre attribut de la candidate en question, en particulier si cet attribut n’affecte pas objectivement la dimension « beauté » : le fait qu’elle ait fait des études, par exemple, n’est pas censé à lui enlever de son capital beauté. Il devrait même lui être profitable. Cependant, dans la pratique, les choses sont plus compliquées, car les individus, de manière erronée, perçoivent que la dimension beauté a pu être détériorée en raison des études… du fait de l’orthogonalité et donc de la dissonance de ces deux attributs.
Il y a deux raisons à cette divergence : premièrement, le modèle de dilution des objectifs suggère que, lorsque plusieurs objectifs sont poursuivis avec un seul moyen, les individus les perçoivent comme étant moins efficacement atteints que lorsque les objectifs poursuivis individuellement.
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Deuxièmement, l’heuristique du jeu à somme nulle suggère que les individus pensent que l’augmentation de la qualité sur une dimension du produit est automatiquement compensée par une diminution de la qualité sur d’autres dimensions : si en plus d’être belle, on est aussi intelligente, c’est aux frais de moins de beauté, comme si la somme entre intelligence et beauté devait rester constante et donc, pour être intelligente, il fallait renoncer à un peu de beauté.
Le biais de la somme nulle correspond à la tendance à juger intuitivement une situation comme étant à somme nulle : les ressources investies dans une dimension seraient automatiquement compensées par une perte équivalente de ressources investies dans d’autres dimensions, même si la situation objective est en réalité à somme non nulle.
Parler de sport plutôt que de maths ?
Il semble donc inefficace de continuer de parler des études qu’ont pu faire les Miss. Ceci n’aura pas l’effet escompté à long terme et, à court terme, confortera la perception d’une Miss moins jolie.
Cependant, il y a bien un attribut que la plupart des candidates au concours de Miss France ont, et dont on n’en parle pas assez : un attribut consonant, qui va de pair avec la beauté. C’est la pratique de sports.
De manière contre-intuitive, parler de sport pourrait pousser plus de jeunes filles… à faire de maths ! Pourquoi ? Il est établi que les sportifs bénéficient d’une « prime sportive » sous forme de salaires et d’avantages sociaux plus élevés, d’une meilleure employabilité et d’une durée de chômage plus courte.
Les sportifs sont plus susceptibles d’être rémunérés en fonction de leurs performances, ce qui réduit l’écart salarial entre les hommes et les femmes. Les traits psychologiques des sportifs pourraient également correspondre à ceux qui déterminent l’intention et la réussite entrepreneuriales.
Tout cela a d’importantes implications pour la politique de l’enseignement supérieur. La pratique du sport a une influence causale sur le succès dans les compétitions (comme celle de Miss France, mais aussi dans la vie en général) et ceci plaide en faveur de son renforcement dans l’éducation de tous les jeunes. L’augmentation de la compétitivité par le biais de la participation sportive semble être une voie possible pour combler l’écart de compétitivité entre les hommes et les femmes.
Angela Sutan, Professeur en économie comportementale, Burgundy School of Business ; Noémie Bobin, Doctorante en Economie Comportementale et Expérimentale, Université de Montpellier et Sylvain Max, Social Psychologist, Associate Professor, Burgundy School of Business
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.