Pédiatrie : comment gérer le difficile moment de l’annonce d’une maladie chronique ?
Anna, 34 ans, exerce dans le milieu médical. Elle travaille quotidiennement au côté des patients et, en qualité de professionnelle, bon nombre de pathologies et leurs conséquences lui sont familières.
Séverine Colinet, CY Cergy Paris Université et Céline Avenel, Université de Montpellier
On pourrait penser que cette expérience lui a été utile lorsque, durant sa grossesse, on lui a appris que son bébé souffrait d’une anomalie. Pourtant, comme elle nous l’a expliqué, ce n’est qu’au moment de remplir des papiers administratifs dans lesquels la maladie de son fils était explicitement nommée qu’elle a pris réellement conscience des implications de ce diagnostic.
Cet exemple illustre bien toute la complexité de la réception de l’annonce d’une maladie chronique. Ce moment, toujours difficile, s’avère particulièrement délicat lorsqu’un enfant, son enfant, est concerné. Les parents se retrouvent alors entraînés dans une suite d’événements souvent traumatisants. Sentiment de culpabilité, d’impuissance, sensation d’irréversibilité, réaction de sidération s’entremêlent et se conjuguent avec l’impression de manquer d’explication en raison de la difficulté à appréhender un langage médical souvent technique.
L’accompagnement par le médecin et l’équipe de soin prend alors tout son sens : il offre aux parents la possibilité de décider en connaissance de cause, de se sentir compris, et non jugés.
Afin de mieux saisir toute la complexité de ces instants, pour les parents comme pour les professionnels de santé, nous nous sommes entretenues avec de nombreux médecins exerçant dans divers hôpitaux en France métropolitaine, ainsi qu’avec leurs patients. Alors qu’ils attendaient un « heureux événement », les parents que nous avons rencontrés ont vu ce moment crucial de leur vie bousculé par la maladie.
Des enfants sont nés, d’autres non, empêchés par une maladie trop grave. Ces couples ont accepté de partager avec nous des instants parfois extrêmement douloureux. Nous les en remercions infiniment au moment de restituer ici les enseignements de ces échanges.
Des annonces marquées du sceau de l’incertitude
Problèmes cardiaques, diabète, affections respiratoires chroniques, cancer… En France, de nombreuses familles font face aux maladies chroniques. On estime aujourd’hui que plus de 15 millions de personnes en sont atteintes, dont 1,5 à 4 millions de patients âgés de moins de vingt ans.
La recherche scientifique s’est déjà largement intéressée aux impacts psychologiques, identitaires et sociaux sur l’enfant et son entourage de l’annonce d’un diagnostic de pathologie, dans le champ de la santé et du handicap. L’annonce d’une maladie chronique présente trois caractéristiques principales.
Des annonces marquées du sceau de l’incertitude
La première de ces caractéristiques est qu’en réalité il ne s’agit pas d’une annonce unique, mais d’un parcours d’annonces. Lorsqu’un signe de la maladie est détecté, le couple rencontre successivement différents spécialistes. Consultations chez le gynécologue-obstétricien, radiologue, pédiatre, néphrologue, urologue et autres praticiens vont se succéder jusqu’à ce qu’un diagnostic puisse être établi. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas, notamment en ce qui concerne les maladies rares, à l’origine de situations très particulières.
En 2015, une enquête Eurordis menée sur huit maladies rares pourtant relativement communes en Europe a montré que 25 % des patients ont attendu entre 3 et 5 ans avant que ne soit établi un diagnostic. En outre, pendant cet intervalle, 40 % ont reçu un diagnostic erroné. Enfin, de grandes disparités dans les délais d’obtention de ce diagnostic ont été identifiées. Si certains avaient été inférieurs à 1 an, d’autres ont pu dépasser les 20 ans ! Les délais les plus longs se sont avérés associés à une perception négative des conditions dégradées de soins.
C’est la seconde caractéristique de ces situations : l’incertitude peut être forte. Parfois, les médecins sont incapables de se prononcer sur le degré de gravité de la maladie, sur le pronostic de survie, ou, lorsque la maladie est détectée alors qu’il n’est encore qu’un fœtus, sur les conditions dans lesquelles l’enfant naîtra…
Dans de tels contextes, il s’agit pour le médecin d’être attentif à l’impact des mots qu’il va employer.
C’est la troisième caractéristique de ce type d’annonce. Il s’agit de veiller à ne pas enfermer l’avenir de l’enfant dans la maladie, à ne pas précipiter les décisions. En apprenant la maladie de leur enfant, les familles concernées vont entrer dans un parcours de soins. L’enfant sera pris en charge, parfois dès la naissance par les services de néonatalogie, puis suivi de très près par les services de pédiatrie.
Pour les médecins, annoncer revient donc véritablement à créer les bases d’une relation qui se poursuivra bien au-delà du parcours d’annonces. Pour y parvenir, il leur faudra mobiliser un ensemble de savoir-être comprenant la disponibilité, l’honnêteté, la transparence, la capacité de rassurer face au diagnostic…
Cependant, la complexité du moment rend la communication difficile, et plusieurs obstacles se dressent entre les médecins et les parents. Pour les contourner, il est important de comprendre les effets produits sur les parents par l’annonce de la maladie de leur enfant.
Sidération et incompréhension
Dans un premier temps, l’annonce produit un effet de sidération. Les parents sont sous le choc, d’autant plus que l’annonce aura pu survenir très tardivement au cours de la grossesse. Violente, cette sidération peut être encore aggravée par la difficulté à comprendre les termes médicaux employés par les médecins. Ce qui affecte toutes les catégories de la population, y compris celles qui sont – a priori – plus familières que les autres avec le milieu médical, à l’image d’Anna. Comme elle, certains parents ne prennent conscience du diagnostic qu’au moment où ils lisent le compte-rendu médical, ou lorsqu’ils voient le nom de la maladie de leur enfant sur un document administratif.
Certains couples vivent l’annonce comme une « condamnation » de leur enfant, quand bien même celui-ci est né. Le manque d’informations annihile l’espoir. Ils se trouvent pris entre deux sentiments : une profonde reconnaissance envers le corps médical qui a permis que leur enfant vive, et une grande incompréhension face à un discours qui leur paraît condamner son avenir. Au moment de l’annonce, ils se sentent dépossédés de leur décision en tant que parents.
La situation peut être aggravée lorsque certaines informations sont données trop tôt. Ainsi, annoncer la non-viabilité de l’enfant dès l’échographie peut traumatiser les parents. La précocité de l’annonce a été analysée comme un facteur d’insatisfaction chez des patients atteints de cancer en phase palliative qui considèrent l’avoir appris trop tôt. Inversement, adopter une tonalité excessivement positive dans son discours professionnel serait également contre-productif pour la compréhension de l’annonce par le couple. Dans l’annonce, « un souci de cohérence s’impose ». En effet, lorsque les discours des praticiens poursuivant la prise en charge s’avèrent contradictoires, les incohérences ressenties durant le parcours d’annonce deviennent problématiques, car elles interfèrent avec l’état actuel de la compréhension qu’ont les parents du diagnostic. De façon complémentaire, une étude récente évoque le fait que l’annonce est particulièrement stressante pour les parents en raison du nombre élevé de professionnels de santé ; il rappelle donc l’importance de leur collaboration.
Ce que Camille, mère, 38 ans, dont le deuxième enfant concerné par un diagnostic des valves de l’urètre postérieur, une malformation rare qui ne touche que les garçons, résume :
« Pendant la grossesse, on a trouvé difficile le fait que chaque médecin donne son point de vue. Pour l’urologue, c’est très simple, ça s’enlève ; pour le gynéco, il y a un rein bizarre, on pense qu’il ne marche pas ; pour l’autre, c’est bon, il fonctionne. On revenait d’une consultation, tout allait bien, et ensuite c’était horrible. Qu’est-ce qu’on a fait ? Ç’aurait été pas mal quand même qu’ils se coordonnent avant qu’on puisse avoir des rendez-vous ».
Ces incohérences peuvent s’expliquer notamment par le fait que dans certains cas un grand nombre d’interlocuteurs médicaux sont consultés, ou, lorsque la situation clinique de l’enfant nécessite des examens complémentaires, par un manque de données. Les médecins ne pouvant se positionner fermement et définitivement, ils tiennent aux parents des discours nuancés, dont certains peuvent apparaître parfois contradictoires en regard des déclarations d’autres interlocuteurs médicaux, à certains moments du parcours de soin.
Cette instabilité dans le diagnostic est particulièrement difficile à vivre pour les parents et les patients. Ce qu’ils attendent d’une annonce n’est pas un simple diagnostic, mais plutôt un accompagnement, qui constituera le point de départ de la construction d’une alliance médecin-patient.
Enfin, d’autres facteurs influencent la réception par les parents de l’annonce d’une maladie chronique. C’est en particulier le cas de la représentation qu’ils ont de l’organe concerné. Le cœur ou les poumons sont par exemple davantage « médiatisés » que les reins. Or, la sensation de familiarité a une influence sur la compréhension du langage médical. Certaines personnes vont sous-estimer la gravité de la maladie dès lors qu’elle touche un organe moins « charismatique ».
Ainsi, dans les représentations, les maladies rénales sont aujourd’hui perçues comme « moins graves » que d’autres maladies, notamment parce qu’il existe des solutions comme la greffe pour pallier les déficiences. Tous les parents n’ont pas forcément conscience que la greffe peut ne pas durer toute une vie, ou ne savent pas qu’il existe des risques de rejet, que la greffe implique la prise d’un traitement médicamenteux permanent, etc.
Quelques pistes pour aider les médecins
Ces décalages dans la communication entre médecins et parents font de l’annonce un moment complexe pour les deux parties. Il est d’autant plus important d’y préparer les personnels soignants que le contexte actuel de diminution des effectifs accroît la pression qu’ils subissent.
Plusieurs pistes existent pour faciliter la réception de ces nouvelles difficiles par les parents. Parmi elles, l’emploi de formes pédagogiques actives, déjà utilisées par la simulation en santé, est par exemple une option à envisager. Poursuivre, à travers cet objectif du « jamais la première fois sur le patient », le déploiement engagé par les universités françaises des mises en situation, du recours aux patients ressources, c’est-à-dire des dispositifs qui incluent des patients et permettent aux futurs médecins de s’entraîner à la gestion des compétences relationnelles dès leur formation avec des personnes soignées, des acteurs ou des étudiants jouant ce rôle.
En outre, il est possible de mobiliser la pédagogie narrative, développée notamment dans les sciences infirmières. Cette approche repose sur la narration comme mécanisme vertueux pour l’apprentissage, l’analyse des situations et la transformation des actions. Concrètement, les situations de formation se basent sur l’analyse d’expériences vécues et relatées par des patients en cours de soins et/ou par des étudiants revenant sur une situation de prise en charge. Cette approche humaniste « permet aux participants (enseignants et étudiants) de comprendre et d’apprendre, de développer une pensée interprétative, de générer des connaissances multiples et diversifiées et d’intégrer la théorie dans la pratique »). L’analyse de ces expériences renforce la coopération professionnel-patient. Ce faisant, la pédagogie narrative crée une dimension interpersonnelle forte. Elle peut permettre de « surmonter le murmure personnel ou la consolation collective et se muer en une action sociale et une pratique de citoyenneté »).
L’implication des patients dès la formation initiale des professionnels de santé, pour consolider la prise en considération de leur vécu, s’avère bénéfique. Des dispositifs de ce type sont déjà en place dans les parcours de formation de médecine de plusieurs institutions : à l’Université des patients de Paris, dans le département de médecine générale de Bobigny, à Montréal au Canada… Les patients témoignent, interviennent dans un dispositif de simulation, participent avec les aspirants médecins à des jeux de rôles…
Enfin, et en lien avec le point précédent, il faut développer encore davantage le partage d’expériences, par des dispositifs complétant ceux d’éducation thérapeutique existants. Il s’agit par exemple de favoriser les échanges entre les familles ayant eu à vivre une annonce de maladie chronique et les parents qui s’y trouvent à leur tour confrontés, ou encore de mettre en place des groupes de partage d’expériences concernant la gestion quotidienne de la maladie. Ces dispositifs ne doivent pas seulement être conçus pour les familles : les médecins doivent eux aussi bénéficier de protocoles d’échange et d’analyse de pratiques, dès la formation initiale.
En tenant compte des témoignages des parents et de ceux des personnels soignants, l’origine des décalages dans la communication entre médecins et patients pourra être mieux appréhendée, ce qui évitera d’aggraver le désarroi des couples déjà en souffrance.
**Pour en savoir plus :**
_ – Colinet S. et Avenel C., 2018 « Éducation, formation et santé – Comment construire les parcours d’annonces de maladie rare pour l’enfant à naître », Presses universitaires de la Méditerrannée, coll. Mutations en éducation et en formation.
Séverine Colinet, Maître de conférences en sciences de l’éducation, CY Cergy Paris Université et Céline Avenel, Ingénieure pédagogique, PhD, Centre de Soutien aux Innovations Pédagogiques, I-Site MUSE Université de Montpellier, Chercheuse associée LIRDEF, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.