Pourquoi les hommes posent-ils plus de questions que les femmes dans les séminaires scientifiques ?

Le monde du travail est un monde d’hommes : les femmes sont payées presque 20 % en moins que leurs homologues masculins. À égalité d’expérience les hommes sont promus plus facilement, les mères de famille ont moins de chances d’être embauchées alors que les pères de famille sont payés plus.


Alecia Carter, Université de Montpellier

Les hommes posent plus de questions dans les séminaires scientifiques et sont plus visibles. Roads Academy Masterclass, Warwick University, Novembre 2010. HA1-000602/Flickr, CC BY-SA


Les femmes qui réussissent sont moins appréciées – mais c’est l’inverse pour les hommes. La condition féminine a progressé depuis 30 ans, mais cette amélioration s’essouffle : les inégalités hommes-femmes au travail ont encore de beaux jours devant elles.



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Inégalités de salaires hommes-femmes : conversation avec Isabelle Bensidoun


Sexisme et monde académique

Le monde de la recherche ne fait pas exception. Alors qu’il y a 59 % de femmes titulaires d’une licence, elles ne sont que 21 % parmi les professeurs, d’où l’image du “leaky pipeline” des Anglo-saxons (littéralement le “tuyau percé”).
Plusieurs explications ont été proposées : hommes et femmes pourraient différer par l’intelligence, les choix de carrière, l’investissement dans l’éducation des enfants ; leurs CV pourraient être évalués différemment ; les différences de salaires pourraient induire des différences de comportement ; les femmes pourraient souffrir davantage du syndrome de l’imposteur (manque de confiance en soi) ou manquer d’exemples féminins à suivre. Quelle que soit la cause, le résultat est là : les figures en vue de la science sont rarement des femmes.




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Les évaluations des enseignements par les étudiants et les stéréotypes de genre


Pourquoi faudrait-il s’en préoccuper ? Avoir des exemples à suivre contribue beaucoup aux choix de carrière (on est motivé quand on peut s’identifier à un modèle qui a réussi).
Le manque de visibilité des femmes, qui entretient probablement donc les “fuites dans le tuyau”, n’est malheureusement pas restreint aux positions les plus éminentes : les hommes sont plus souvent premier ou dernier auteur des publications (les places les plus prestigieuses), les articles des hommes sont plus cités, les hommes sont plus souvent invités dans des colloques, et les hommes posent plus de questions dans les conférences scientifiques.
Mais tout ceci concerne peu le début de carrière académique.

Les hommes posent plus de questions que les femmes

Qu’en est-il donc au moment où les vocations se forment ? Pour la plupart des étudiants, les séminaires de recherche représentent le premier contact avec une assemblée de chercheurs, la première occasion d’assister ou de participer aux débats scientifiques.
Le modeste séminaire hebdomadaire n’est pas juste là pour qu’un orateur présente ses travaux à sa communauté : c’est un moment de formation essentiel, immergeant les futurs chercheurs dans une culture, et qui peut forger des impressions durables en mettant en avant les figures de proue du champ disciplinaire et les recettes du succès. Il importe donc de savoir qui pose les questions après l’exposé.
Nous avons collecté des données sur ce sujet dans 10 pays, représentant près de 250 séminaires. La plupart du temps, le public de ces séminaires était équilibré entre hommes et femmes, au moins dans l’échantillon des séminaires que nous (et les collègues qui nous ont aidés) suivions en biologie, psychologie et philosophie. Mais une question avait en moyenne 2,5 fois plus de chance d’être posée par un homme que par une femme. Les hommes étaient donc beaucoup plus visibles que les femmes dans l’auditoire.

Pour les étudiants, les conférences et séminaires de recherche offrent des opportunités déterminantes dans leur carrière et réseau.
Mikael Kristenson/Unsplash, CC BY

On aurait pu penser que ce déséquilibre était dû au biais hiérarchique décrit plus haut (les hommes occupant plus de postes à responsabilité que les femmes, et les plus hauts placés posant plus de questions). Mais un questionnaire en ligne montre que le déséquilibre est généralisé : parmi les chercheurs aguerris, les hommes posent plus de questions que les femmes, et c’est pareil en début de carrière.
En outre, la proportion de professeurs femmes n’explique pas le déséquilibre entre hommes et femmes pour les questions posées à un séminaire donné. Les hommes posent juste plus de questions que les femmes.

Comment expliquer cette disparité ?

D’où vient ce déséquilibre ? Il y a deux raisons possibles : soit les femmes demandent la parole moins souvent, soit on la leur donne moins facilement qu’aux hommes. Les deux mécanismes peuvent être concomitants, et nous avons observé le second à l’œuvre dans des cas concrets. Mais nos données suggèrent que la première raison est la plus importante – les femmes le disent bien, elles posent moins de questions – et permettent aussi de comprendre pourquoi.
Quand on demande aux gens pourquoi ils s’abstiennent de poser une question quand ils en ont une, les femmes, plus que les hommes, mettent en avant des raisons internes (elles manquent de courage ou sont impressionnées par l’orateur) – par ailleurs, hommes et femmes ne montrent pas de différence quant aux raisons externes, telles que le manque de temps. Notre étude suggère ainsi que l’internalisation du stéréotype de genre par les femmes explique le déséquilibre observé.




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Les stéréotypes de genre nuisent à la santé des femmes… et des hommes


Pourquoi est-ce un problème et comment y remédier ?

Ce n’est pas nécessairement un problème que les hommes posent plus de questions que les femmes. Ça l’est si cela a des conséquences en termes de formation et que cela participe à maintenir la dynamique du “tuyau percé”.
Il ne s’agit donc pas de mettre la pression sur tout le monde pour poser des questions pendant les réunions ou les séminaires. Notre but n’est pas non plus de mettre la pression aux femmes pour qu’elles s’affirment davantage, ou de suggérer que les hommes devraient s’abstenir de poser des questions. Mais il s’agit plutôt de réaliser que le déséquilibre observé, déterminé par des causes sociologiques et psychologiques, nourrit le déséquilibre entre hommes et femmes en sciences.
On peut donc espérer qu’en améliorant la visibilité des femmes aux étapes les plus précoces et les plus cruciales de la carrière, on aidera à équilibrer la profession à tous les niveaux.

Où sont les femmes ? Trois conférences participant à un panel sur ce thème à l’Académie britannique des sciences, le 22 octobre 2012.
Wikimedia/Thearcanestuart, CC BY-NC

D’ici là, de petits changements de comportement peuvent avoir des conséquences importantes.
Selon nos données, deux éléments sont associés à un meilleur équilibre entre des temps de paroles : un temps de question plus long et une première question posée par une femme. Malheureusement, il ne s’agit que d’une corrélation, et même si manipuler ces paramètres paraît simple pour résoudre le problème, nous n’avons pas encore tenté l’expérience.
La pratique la plus vertueuse que j’aie observée consiste à avoir un modérateur qui attribue la parole dans l’ordre dans lequel les membres de l’assistance la demandent, en observant constamment l’assemblée. Cela empêche les prises de parole sauvages ou l’oubli de certaines personnes quand une marée de bras se lève au dernier rang après que le premier interlocuteur a brisé la glace en posant la première question. Une petite pause avant les questions peut aussi aider les membres de l’assistance (et l’orateur…) à rassembler ses idées.
The ConversationPour le moment, notre conseil pour tout le monde, orateurs, modérateurs ou membres de l’assistance, c’est de prendre conscience des biais inconscients au moment des questions. Mais la règle d’or pour les modérateurs comme pour le public, c’est de poser vos questions comme vous aimeriez qu’on vous les pose ; parlez à votre tour, et pas pour vous mettre en valeur – et pour les modérateurs : n’oubliez pas ces mains levées qui attendent patiemment au dernier rang.
Alecia Carter, Eco-ethologue, Institut des Sciences de l’Évolution, Université de Montpellier
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.