Quand la biologie marine s’allie aux robots
Pour étudier la faune marine de l’océan indien, le projet BUBOT met le big data au service de la biologie. En jeu, la robotisation des observations sous-marines, puis le développement des algorithmes indispensables à l’étude des milliers d’heures de vidéos ainsi collectées. Ce projet est soutenu par l’I-SITE MUSE dans le cadre de son programme de soutien à la recherche 2018.
Pourquoi faire appel aux robots quand la plongée fait le charme de la découverte de la vie sous-marine ? Pour les biologistes marins, la robotisation est pleine de promesses d’observations inédites, car elle permet d’explorer les habitats marins des heures d’affilées à des profondeurs pouvant excéder les vingt mètres. A travers de nouveaux outils d’observation, le projet BUBOT (Better Understanding Biodiversity changes thanks to new Observation Tools) ouvre ainsi une nouvelle fenêtre sur la biodiversité marine de l’océan indien.
Robot low-cost
Première étape, la création du robot qui permettra d’automatiser les observations de dix à cent mètres de profondeur et donc d’étudier la biodiversité des récifs coralliens sur ce gradient vertical. « Les biologistes nous ont fait un cahier des charges précis pour créer le robot ad hoc », explique Karen Godary-Déjean, du LIRMM (Laboratoire d’Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier). Concrètement, le robot doit être capable d’effectuer un transect de manière autonome, en évitant tortues, filets et autres objets dérivant. Équipé de capteurs, l’appareil devra donc contourner les obstacles, ralentir, faire demi-tour. Autre contrainte, le prix car si la technologie sous-marine existe, les versions de pointe disponibles ont des coûts rédhibitoires, à des centaines de milliers d’euros.
« Vidéosurveillance de la mer »
Le robot n’est pas la solution ultime. Les caméras posées au fond sont un outil complémentaire pour observer les fonds marins sur une longue durée. « Une véritable vidéosurveillance de la mer », lance Camille Magneville, doctorante du laboratoire Marbec (Marine Biodiversity, Exploitation and Conservation), alors qu’elle décrit le dispositif qu’elle a installé à Mayotte sur deux sites, un en zone protégée et l’autre en zone pêchée. Avec douze caméras, elle a collecté en quatre jours près de 500h heures de vidéo qui permettront de mieux mesurer la diversité et les rôles écologiques des poissons dans chaque site.
Le big data n’a cependant un intérêt pour la recherche que si cette dernière est capable d’exploiter les masses de données produites par des systèmes automatisées. BUBOT comporte ainsi un volet sur l’intelligence artificielle : apprendre aux machines à reconnaître les espèces de poissons pour analyser automatiquement toutes les images enregistrées par les caméras, qu’elles soient embarquées sur un robot ou fixes. « Grâce à toutes les vidéos collectées à Mayotte, nous espérons être capable de reconnaître plus de 100 espèces d’ici 2 ans (ce qui doit représenter plus de 95% des individus visibles sur les vidéos) », explique Sébastien Villéger, chercheur en écologie fonctionnelle à MARBEC. Pour entrainer les algorithmes « Deep Learning », le projet bénéficie de l’aide d’étudiants, principalement de l’Université de Montpellier, qui mettent en pratique leurs compétences en taxonomie pour annoter les poissons sur les vidéos. « Notre but est d’avoir pour chaque espèce une grande diversité de postures, de conditions (lumière, couleur apparente) et d’arrières plans, pour qu’au final l’algorithme soit efficace dans toutes les situations », pointe le chercheur.
Outre l’identification des espèces, l’évaluation de la taille de chaque individu est également un aspect crucial pour l’étude des écosystèmes sous-marins. Une mesure qui n’est pour l’instant pas possible avec les caméras Gopro embarquées sur le robot. Prochaine étape donc, équiper ce dernier d’un système vidéo avec des caméras stéréo.
Pêcheurs bavards
Transdisciplinarité oblige, BUBOT compte aussi des sciences humaines pour comprendre le milieu à travers le savoir des premiers observateurs, les pêcheurs. Une géographe et une anthropologue complètent ainsi l’équipe. A Mayotte, elles ont réalisé près de trente entretiens et rapportent des témoignages sur la raréfaction du poisson dans certaines zones, le déplacement des zones de pêche… autant d’informations utiles pour choisir les sites d’étude. Et les pêcheurs artisanaux sont bavards. « Les entretiens durent en moyenne un peu plus de trois heures et les pêcheurs n’hésitent pas à partager les informations sur leurs lieux de pêche », raconte Esmeralda Longépée de l’UMR Espace-Dev.
Avec la Covid, BUBOT a pris un peu de retard. Autre changement de programme imprévu, sur les trois zones couvertes par le projet initialement, le terrain au Mozambique a dû être annulé, ce pays étant passé dernièrement en zone considérée comme dangereuse. Il sera remplacé par les Comores. Quant au premier site, les Iles Éparses, les premières sorties sous-marines se sont avérées prometteuses, avec une biodiversité d’une grande richesse. Mais, étant donnés les conditions de plongées compliquées sur un tombant à pic, l’équipe trépigne de pouvoir y envoyer son robot.