Quand la mer monte

C’est une réalité incontestable : la mer monte. À vue d’œil par endroits, ceux où la plage perd du terrain mètre après mètre et où les habitations avec vue sur mer se retrouvent parfois les pieds dans l’eau. Comment survient ce phénomène et comment mieux le gérer ? Explications avec le physicien des plages Frédéric Bouchette et l’économiste Hélène Rey-Valette.

© Cyril Fresillon/EPOC/CNRS Photothèque

6 millions de personnes vivent aujourd’hui dans les communes littorales. 9 millions en 2040 selon les prévisions du Cerema, le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement. De plus en plus de monde, mais de moins en moins de place : entre 1950 et 2010, ce sont 27,7 km² de plages qui ont été perdus en France métropolitaine. En cause : l’érosion et la montée du niveau de la mer, liée notamment au réchauffement climatique. « Une hausse de 3,2 millimètres par an sur les 20 dernières années », précise Frédéric Bouchette, chercheur au laboratoire
Géosciences Montpellier* et membre de Gladys, le réseau collaboratif dédié à la recherche académique en dynamique du littoral. « Cette montée des eaux entraîne
a priori un recul de la ligne de rivage, ce qu’on appelle le trait de côte »
précise le
chercheur.

Résilience littorale

Ce déplacement du trait de côte n’est pourtant pas un phénomène systématique. « Le littoral montre une certaine résilience hydro-sédimentaire, c’est à dire une capacité des plages à s’adapter et/ou se reconstruire de telle sorte que les terres ne sont pas nécessairement condamnées à être envahies par l’eau de mer », explique Frédéric Bouchette. Sauf que… « Sauf que pour que cette résilience hydrosédimentaire littorale fonctionne, il faut qu’il y ait assez de sable et aujourd’hui ce n’est plus le cas. » En cause : principalement les aménagements littoraux, digues, ports, épis, qui bloquent les mouvements naturels du sable, et très accessoirement les barrages qui le
retiennent en rivière. « Mais aussi les prélèvements sédimentaires massifs non régulés,
ce sont des tonnes de sable qui sont prises dans la mer pour être utilisés dans le bâtiment, les transports, les infrastructures routières. »
Sans compter l’urbanisation et les infrastructures construites trop proches du trait de côte et qui empêchent les
plages de reculer naturellement.

Conséquence : le littoral n’est plus capable de s’adapter à la montée du niveau de la
mer et en l’espace de 30 ans ce sont en moyenne 100 mètres que l’eau a grignoté
sur les terres. « Des proportions anormalement élevées par rapport à ce qui a été
observé par le passé »
, précise Frédéric Bouchette. Et dans le futur ? « Il y a une
grosse part d’incertitude dans l’évolution du trait de côte, c’est même une des problématiques les plus complexes de la recherche sur les littoraux »
, précise le spécialiste qui insiste sur l’importance de la géophysique pour développer des outils de prédiction. « On fait des projections d’incertitude avec des méthodes proches de celles utilisées en finances. La complexité de la dynamique intrinsèque à la relation vague – sédiment rend les évolutions difficiles à prédire ; mais les modèles que nous développons permettent soit de donner des tendances, soit de comprendre certaines évolutions singulières comme la création des flèches sableuses. Ce sont des informations indispensables pour les décideurs du secteur », insiste Frédéric Bouchette.

Recomposition spatiale

Sensibiliser les gestionnaires côtiers pour anticiper les conséquences du changement climatique, c’est justement un volet des recherches d’Hélène Rey-Valette. « La mise en œuvre des politiques d’adaptation à la montée du niveau de la mer implique d’évaluer les différentiels de dommages avec et sans adaptation », explique la chercheuse du Centre d’économie de l’environnement de Montpellier (CEE-M)**. Avec l’économiste Cécile Hérivaux du BRGM, le Bureau de recherches géologiques et minières, elle a ainsi évalué à l’échelle de la région Occitanie les dommages et bénéfices à l’horizon 2 100
pour une augmentation de 1 mètre du niveau de la mer. Sans adaptation ? 77 000 habitants, 34 000 logements, 4 600 entreprises affectées. 11 500 hectares agricoles et 570 hectares de plage et dunes perdus. Mais aussi 4 aquifères potentiellement concernés par la salinisation, soit 7,5 millions de mètres cubes par an d’eau potable impactés. Alors que faire pour éviter d’en arriver là ? « Jusqu’à présent on a parlé de recul, de repli, de relocalisation, mais l’idée aujourd’hui c’est d’aller vers la recomposition spatiale », explique l’économiste qui y voit là un véritable changement de paradigme impliquant d’apprendre à vivre avec le risque. « Pourtant nos enquêtes montrent que les habitants du littoral n’en prennent pas la mesure, notamment à cause de ce qu’on appelle le biais d’optimisme qui fait que ceux qui bénéficient des avantagent de vivre près de la plage minimisent le risque. Il faut étudier les perceptions pour renseigner les élus et les aider à mieux se rendre compte de là
où en est la population. »

Opportunité

1 million de personnes vivent aujourd’hui sur le littoral, une population directement
concernée par la recomposition spatiale qui impliquera de déplacer certains quartiers mais surtout de repenser les territoires en tenant compte de l’ensemble des enjeux et conséquences du changement climatique. « Par exemple concernant l’artificialisation, l’imperméabilisation, les mobilités douces, les enjeux énergétiques, les îlots de chaleur », complète Hélène Rey-Valette. Mais relocaliser pour aller où ? « Il faudra mettre en œuvre une collaboration avec les communes rétro-littorales qui vont faire face à un afflux de population et vont devoir notamment redimensionner la ville, ses écoles, ses infrastructures. Ceux qui devront se déplacer vont perdre aussi leur quartier, leurs amis, c’est une situation complexe », reconnaît Hélène Rey-Valette. C’est là qu’intervient la chercheuse pour proposer des solutions afin que ces politiques soient faisables du point de vue économique et social. Mais aussi pour trouver le bon tempo : « en termes d’acceptabilité on préconise d’amener à un changement progressif, mais le
GIEC nous dit bien que nous n’avons pas le temps, il faut donc aider les élus à mettre en place des politiques adaptées tout en étant les plus progressives »
.

Pour l’économiste, c’est une véritable mutation en perspective : « Il va falloir repenser la ville dans sa globalité et envisager des logiques plus raisonnables et plus concertées. De ce point de vue le changement climatique peut aussi être vu comme une opportunité pour repenser nos modes de vie, mais il ne faut pas rater le train. »

Interview d’Hélène Rey-Valette consacrée à l’adaptation des territoires littoraux face à un risque d’érosion et de submersion marine accentué par le changement climatique :


*GM (UM, CNRS, U Antilles)
**CEE-M (UM, CNRS, Inrae, Institut Agro)


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