Quand la TVA des micro-entrepreneurs ravive le débat sur leur statut

Lancé en 2008, le statut d’autoentrepreneur (ou microentrepreneur) a rencontré un grand succès. Et a suscité d’importantes polémiques… jusqu’à la levée de boucliers, en janvier 2025, contre l’annonce de l’abaissement du seuil de crédit sur la TVA.

Marion Polge, Université de Montpellier

Crédits Freepik

Avec la loi de modernisation de l’économie (LME) naissait le statut d’autoentrepreneur, le 4 août 2008. Qui aurait cru que ce statut serait encore au cœur des polémiques seize ans plus tard ? D’après l’Urssaf, la France comptait 2 715 millions d’autoentrepreneurs à la fin de 2023, bénéficiaires d’une franchise de TVA destinée à renforcer leur compétitivité.

Une proposition intégrée au budget pour 2025 visant à abaisser ce seuil à 25 000 € a été soumise lors de la commission mixte paritaire. Toutefois, elle a été suspendue en raison des controverses suscitées. Ce nouvel épisode s’ajoute à l’histoire mouvementée de ce régime, qui, depuis sa création, oscille entre succès populaire et critiques récurrentes.

Dès sa création, l’ensemble des acteurs du monde des TPE-PME lui ont réservé un accueil mitigé. Ce projet de démocratisation de l’entrepreneuriat, permettant à chacun de tenter sa chance, prenait corps avec un texte discutable sur le plan social, économique et fiscal.

Une priorité de Nicolas Sarkozy

L’idée de simplifier la création d’entreprise figurait déjà dans le programme de Nicolas Sarkozy en 2007. Dès son élection, il en a fait une priorité à intégrer à la LME. Pour comprendre la genèse de ce texte, il faut revenir au contexte de la fin du XXe siècle marqué par une accélération de la désindustrialisation de la France, en raison d’un manque d’attractivité de l’économie française du point de vue des investisseurs, appelant des décisions fortes.


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Si l’essoufflement de notre tissu économique était admis par tous, le choix de stimuler l’entrepreneuriat constitue une rupture majeure avec notre modèle de société, mais aussi avec notre culture.

En quelques mois, la création d’entreprise jusque-là largement réservée à des cercles patronaux ou à des corps de métiers opératifs comme l’artisanat s’ouvrait à tout un chacun avec la plus grande facilité. Entre la récession de 1993-1994 et la crise des subprimes (2008), la France mise sur la révolution numérique à l’aube des années 2000 comme un moyen de trouver de nouvelles voies de croissance.

Une flexibilité controversée

L’autoentrepreneur a ouvert une libéralisation jamais connue dans notre pays. Au-delà de la facilité de l’acte de création, plusieurs conditions de création ont crispé les partenaires socioéconomiques.

L’absence d’exigences préalables pour certaines activités a alarmé les artisans, inquiets des conséquences sur la qualité et la sécurité des prestations. Face à cette fronde, des obligations de formation ont été imposées à certains secteurs. L’impopularité de l’autoentrepreneur a atteint un tel niveau qu’en 2016, l’autoentrepreneur fusionne avec le micro-entrepreneur : si le statut n’est pas modifié, il abandonne une terminologie devenue trop clivante.

Par ailleurs, la franchise de TVA est perçue comme une source de distorsion de concurrence. Les entreprises assujetties à la TVA dès leur création y voient un privilège accordé aux microentrepreneurs. Sur le principe, l’idée est intéressante : depuis longtemps, la période de pré-création pose des problèmes à l’État. Pendant cette période qui pouvait durer d’un à trois ans, les jeunes créateurs « testaient » leur activité, sans s’engager dans les méandres administratifs de la création officielle. Ils n’étaient pas déclarés, ne payaient pas d’impôt et gonflaient ainsi l’économie souterraine en pratiquant le travail dissimulé.

Une limitation dans le temps ?

Le statut d’autoentrepreneur devait remédier à ce problème grâce à une fiscalité clignotante (c’est-à-dire uniquement quand il y a un chiffre d’affaires) et à un plafond de recettes qui pousserait à basculer vers un régime plus classique lorsque l’activité s’accélère.

D’ailleurs, un autre écueil a rapidement été identifié : celui de la temporalité. Un statut tremplin pour faciliter la création aurait dû intégrer une limite temporelle, ce que Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat, du commerce du tourisme (2012-2014) a tenté d’établir avec un autoentrepreneur à durée déterminée à deux ans. La loi Pinel (1er janvier 2016) ne retiendra finalement pas cette mesure.

Loin de l’expansion entrepreneuriale, le revenu moyen des microentrepreneurs s’élevait en 2019, à 590 € par mois, avec de fortes disparités selon les activités. En outre, la question du plafonnement du chiffre d’affaires continue d’alimenter les débats. Ceux qui s’approchent du seuil de 77 700 € pour les prestations de services ou de 188 700 € pour les activités commerciales se retrouvent face à un dilemme : basculer vers un régime d’entreprise classique avec une fiscalité plus lourde ou ralentir volontairement leur activité pour rester sous les seuils de TVA ?

Cet effet de seuil peut freiner le développement d’initiatives pourtant porteuses :

« Certains microentrepreneurs limitent leur activité pour ne pas basculer vers le réel. Comme les contrôles restent très rares, ces pratiques n’impliquent que peu de sanctions, ce qui ne responsabilise pas les microentrepreneurs »,

explique l’expert-comptable, Jean-Michel Haddad.

De la promesse d’autonomie à la réalité de la précarité

Le microentrepreneuriat s’apparente davantage à une solution de repli qu’à un tremplin, avec seulement 50 % des microentrepreneurs actifs pour un chiffre d’affaires trimestriel moyen de 5 000 €), duquel il faut soustraire les charges et les cotisations sociales pour calculer le revenu net.

L’économiste Bernard Gazier souligne la montée en puissance de la pluriactivité, qui pousse de nombreux actifs à cumuler différents statuts pour assurer leur subsistance. Son analyse souligne le risque de fragmentation du monde salarial et de précarisation sociale. Avec l’essor des plateformes numériques, la flexibilité promise se mue parfois en instabilité économique.

Dans ce contexte, les grandes entreprises et surtout les plateformes de services ont rapidement intégré les microentrepreneurs à leur modèle économique. Des secteurs comme la livraison à domicile ou le transport de personnes ont vu l’émergence d’une main-d’œuvre externalisée, oscillant entre indépendance et précarité. Alors que ce statut devait conduire à la liberté d’entreprendre se crée un paradoxe lié au pouvoir des plateformes qui imposent les conditions de travail, les tarifs, l’utilisation des véhicules… https://www.youtube.com/embed/EQNPh0XG2mc?wmode=transparent&start=0 Legalstart 2025.

Sous prétexte d’indépendance, les autoentrepreneurs vivent les contraintes du salariat sans en avoir les avantages. Ce glissement du salariat vers un entrepreneuriat sous contrainte interroge : jusqu’où ce statut peut-il réellement servir d’outil d’émancipation entrepreneuriale ? Combien de temps les microentrepreneurs conservent-ils ce statut initialement créé comme un passage temporaire vers le statut de société ? Et combien sortent réellement du microentrepreneuriat pour créer une société ? Difficile de connaître l’origine des 284 000 sociétés créées en 2024. Les labyrinthes de données ne clarifient pas la trajectoire des microentrepreneurs.

Les créations d’entreprises en trompe-l’œil

Alors, que penser des chiffres récemment publiés par l’Insee (2024) sur la création d’entreprise en France ? Leur annonce semble réjouir les analystes avec un niveau record de 1 111 million nouvelles entreprises en 2024, soit une hausse de 5,7 % en un an, parmi lesquelles 64,1 % sont des microentreprises. Le succès quantitatif est effectivement indéniable.

Si ce dynamisme est unanimement salué, l’analyse sectorielle révèle une prédominance des services à la personne, du nettoyage et du commerce de détail. Plutôt qu’un essor entrepreneurial, ces chiffres traduisent une réalité marquée par la nécessité économique plus que par l’innovation.

À la précarisation, synonyme de dégradation des conditions de travail, s’ajoute un phénomène de fraudes lié à du salariat déguisé. La sociologue Sarah Abdelnour souligne que ce dispositif a permis de se défaire du cadre du travail salarié et qu’il est parfois imposé aux salariés comme un modèle moins contraignant pour l’employeur qui se désengage de ses obligations sociales. Fraude pour certains, renouvellement de la relation au travail pour d’autres : Sarah Abdelnour éclaire son propos des résultats de ses enquêtes montrant que le microentrepreneur répond à un changement de paradigme du travail chez les jeunes qui y reconnaissent un moyen d’entrée dans la vie active. Le changement générationnel pourrait éloigner naturellement le système de salariat traditionnel au bénéfice du travail non salarié.

Un tremplin ou une impasse ?

Finalement, le microentrepreneuriat se traduit par de la création d’entreprise au sens administratif, mais l’acte entrepreneurial qui vise à prendre des risques, innover pour créer de la valeur relève d’ambitions encore très éloignées de ce statut.

Alors que les débats sur la TVA mettent en lumière les failles de ce système, une réflexion plus large sur l’avenir de l’entrepreneuriat en France semble nécessaire.

Faut-il accompagner les microentrepreneurs vers un modèle plus stable ? Encourager leur passage vers des structures plus pérennes ? Ou repenser en profondeur un statut qui, sous couvert de simplicité, dissimule des réalités bien plus complexes ?

Marion Polge, Maitre de conférences HDR en sciences de gestion, Université de Montpellier

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.