Quand un Nobel de chimie consacre une batterie
Si le prix Nobel de chimie a été attribué pour 2019 aux pionniers de la batterie lithium-ion, ce n’est pas tout à fait un hasard.
Laure Monconduit, Université de Montpellier
Ce type de batterie alimente aujourd’hui les smartphones et ordinateurs portables, les appareils photo, les lecteurs MP3, la grande majorité des véhicules électriques ou hybrides actuellement sur le marché, tout en ouvrant de nouveaux horizons dans le stockage des énergies renouvelables. Autant dire, comme le déclarait récemment sur une chaîne de télévision Jean‑Marie Tarascon, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire Chimie du solide et de l’énergie, que « c’est l’une des grandes avancées du siècle dernier avec le transistor ou la fibre optique ».
Trois hommes pour un Nobel
Trois hommes ont été récompensés de ce prix, le 9 octobre dernier : l’Anglo-Américain Michael Stanley Whittingham, l’Américain John Bannister Goodenough et le Japonais Akira Yoshino. Ces trois chercheurs, qui sont connus de tous les scientifiques travaillant en chimie et en physico-chimie des matériaux, enrichissent depuis plus de quarante ans le domaine du stockage de l’énergie. Et ils sont naturellement à l’origine de nombreuses avancées dans le domaine des batteries lithium-ion.
Tout a commencé dans les années 1970 avec les travaux du chimiste M. S. Whittingham. Diplômé de l’université d’Oxford, où il a obtenu licence, maîtrise et doctorat, il a d’abord effectué un postdoctorat à l’université de Stanford avant de rejoindre la société Exxon Research and Engineering en 1972. Là, 16 années durant, il va travailler au développement de sources d’énergie ne faisant pas appel à des combustibles fossiles. Il rejoindra ensuite la compagnie Schlumberger, avant d’être nommé en 1988 professeur à l’université de Binghamton.
Partant de recherches sur les matériaux dits supraconducteurs, il en a découvert un particulièrement intéressant : le disulfure de titane (TiS2). En 1965, déjà, le chimiste allemand Walter Rüdorff avait démontré la possibilité d’intercaler des ions lithium (Li+) en solution dans le TiS2. Or le chimiste français Jean Rouxel, puis M. S. Whittingham lui-même avec son collègue d’Exxon, l’Américain Fred R. Gamble, ont ensuite prouvé qu’il était possible d’intercaler davantage de lithium dans le disulfure de titane que Rüdorff ne l’avait fait, sans trop modifier la structure cristallographique du matériau.
De fait, dès 1973, M.S. Whittingham avait découvert qu’intercaler du lithium dans une cellule électrochimique était un phénomène réversible. Le disulfure de titane, à structure lamellaire, pouvait donc constituer un matériau de choix pour une batterie rechargeable au lithium. Avec le principe suivant : des ions lithium, libérés par une anode (électrode négative) constituée de lithium sous forme de métal, sont stockés au niveau de la cathode (électrode positive) entre les couches constitutives du disulfure de titane. La première batterie rechargeable au lithium était née, avec un potentiel supérieur à 2 volts.
Un nouveau matériau : l’oxyde de cobalt
De son côté, l’Américain J.B. Goodenough, a obtenu son doctorat de physique en 1952 à l’Université de Chicago. D’abord chercheur au laboratoire du Massachusetts Institute of Technology (MIT), il travaille avec son équipe sur la mémoire vive des ordinateurs, également appelée mémoire magnétique à accès aléatoire. Il prend ensuite la tête du laboratoire de chimie inorganique de l’université d’Oxford, où il développe un matériau pour la cathode de la batterie rechargeable lithium-ion (l’oxyde de cobalt), avant de rejoindre en 1986 l’université du Texas à Austin, aux départements d’ingénierie mécanique et électrique de la Cockrell School of Engineering : il y reste toujours très actif, ayant récemment publié avec son équipe des résultats très prometteurs pour une batterie dans laquelle l’électrolyte serait solide, d’où un gain en termes de sécurité.
Ses travaux sur l’oxyde de cobalt, en remplacement du disulfure de titane, ont ouvert la voie à des batteries capables de délivrer une tension de 4 volts. Et ce matériau de cathode a été utilisé dans la quasi-totalité des batteries commerciales. Pourtant, cette batterie mettant en jeu une anode en lithium métal s’est avérée trop dangereuse, avec un risque de formation de dendrites de lithium qui peuvent mettre en contact la cathode et l’anode, et provoquer des courts-circuits, voire une explosion. Elle a donc été rapidement retirée du marché.
La première batterie lithium-ion commercialisée
Le dernier des trois chercheurs récompensés du Nobel de chimie, Akira Yoshino, a d’abord été diplômé en 1972 d’un master en ingénierie à l’université de Kyoto, avant de se consacrer pendant quelques années à l’archéologie. Mais il est revenu à ses premières amours et a obtenu un doctorat en ingénierie à l’université d’Osaka en 2005. Et c’est à lui que l’on doit, en 1986, la première batterie lithium-ion commerciale viable, batterie dans laquelle l’anode de lithium trop réactive avait été remplacée par une anode à base de carbone (coke de pétrole), où il était possible d’insérer des ions lithium.
Le remplacement du Lithium métallique par du carbone a permis d’allonger le temps d’utilisation de la batterie, tout en améliorant sa sécurité. Mais il a surtout constitué l’étape indispensable à sa possible mise sur le marché. C’est Sony qui, la première, a commercialisé cette technologie en 1991, avec du dioxyde de cobalt et de lithium comme cathode, et du carbone comme anode. Et bien d’autres sociétés ont ensuite suivi, à l’instar de Toyota, LG, Samsung, Panasonic, etc.
Alors qu’une véritable course aux batteries est désormais lancée dans le monde entier, le prix Nobel de chimie 2019 met ainsi en lumière l’importance des recherches menées dans le domaine du stockage de l’énergie. Des recherches d’autant plus importantes qu’il s’agit désormais de stocker de l’énergie de manière « propre », sans recours aux combustibles fossiles, et en luttant ainsi contre le réchauffement climatique.
Laure Monconduit, Chercheur – DR1, Equipe AIME, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.