Quelles compétences attend-on du futur manager ?
Prévoir ce que sera le bon manager du futur est difficile, voire impossible. Pourtant, il faut bien les former aujourd’hui. Une approche originale a été mise en œuvre à l’université de Montpellier.
Marion Polge, Université de Montpellier; Françoise Pierrot, Université de Montpellier; Sarah Mussol, Université de Montpellier; Sophie Casanova, Université de Montpellier et Sylvie Sammut, Université de Montpellier
« On ne peut pas dire quel manager sera le jeune que nous recrutons aujourd’hui. Il n’est ni dans la verticalité « top-down », ni dans l’horizontalité de l’entreprise transversale. Il est dans la diagonale… et la pente de la diagonale reste à inventer ». Françoise, dirigeante de PME expérimentée constate le virage engagé par les jeunes générations en demande de nouvelles formes relationnelles : collaborateurs, exécutants, comme managers.
Pas vraiment en opposition, mais tout de même en désaccord, la nouvelle génération de recrutés aspire à d’autres systèmes décisionnels et relationnels. Quel manager portera les changements, quelles compétences pourra-t-il mobiliser, tenaillé entre numérisation, IA, nomadisme professionnel, hédonisme, besoin d’appartenance ou encore désengagement ? Pour réfléchir aux enjeux liés à cette question, les équipes de Montpellier Management – l’école universitaire de management – ont créé un THINK Lab, sorte de laboratoire d’idées où se rencontrent dirigeants, cadres, alumni et enseignants-chercheurs pour croiser leurs regards et imaginer ensemble qui sera le manager de demain. Quelles idées saillantes ressortent de ces échanges ?
L’ambiguë demande de sens au travail
Premier constat, la relation au travail évolue, influencée par les aspirations des jeunes générations mais aussi par une mutation sociétale plus large. Comme le constate Christophe, expert-comptable, « C’est un changement général, sur le rapport au travail, les jeunes aussi, peut-être plus mais c’est tout le monde. » La transformation numérique bouleverse nos schèmes cognitifs, notre relation au savoir et au temps tandis que les exigences liées à la transition environnementale peuvent conduire à se recentrer sur des aspirations personnelles ou bien collectives mais en dehors de l’entreprise.
Si la quête de sens anime les discussions, elle ne fait pas pourtant l’unanimité. Tous s’accordent sur son importance mais pour certains contradicteurs, ce n’est pas un sujet nouveau. D’autres l’estiment secondaire à l’heure où collaborateurs et managers s’attachent davantage à des comportements hédonistes. L’hypertrophie des désirs individuels crée même un paradoxe avec la quête de sens pour l’entreprise qui demanderait un engagement collectif.
En somme, la quête de sens au travail s’avère un enjeu complexe, mêlant finalité personnelle, impact sociétal et développement professionnel. Les organisations doivent s’adapter à ces évolutions pour créer un environnement propice à l’épanouissement et à la contribution de chacun. Elles adoptent ainsi des modèles axés sur l’intelligence collective, où les dirigeants et les collaborateurs cherchent à aligner leurs actions sur la base de valeurs communes. Les attentes personnelles, le bien-être au travail et le besoin de réalisation personnelle poussent certains à réévaluer leur trajectoire professionnelle, remettant en question la manière dont les compétences sont acquises puis développées.
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Quelles compétences ?
Aux « hard skills » (expertise) et « soft skills » (compétences comportementales) s’ajoutent désormais les « mid skills » (compétences intermédiaires) et les « mad skills ». Ces dernières occupent une place toute particulière désormais car, contrairement aux « hard skills » qui s’acquièrent par la formation et l’expérience, « les mad skills » relèvent essentiellement de la capacité de l’individu à sublimer un groupe ou de se démarquer de la foule anonyme. D’où l’association incongrue des termes « compétence » et « folle ». L’hétérodoxie comme référence en termes de créativité, d’hypersensibilité, de trajectoire, etc.
Le portefeuille des compétences requises s’est donc amplement complexifié en associant aux paramètres objectifs et individuels des items émotionnels et collectifs issus de l’expérience personnelle ainsi que de la capacité de résilience et d’audace. « Pour amortir le choc de l’entrée en entreprise, on parle aussi d’humilité », souligne Jean-Marie, entrepreneur. Chacun se sent intégré dans un collectif où il se trouve utile et légitime, et ce d’autant plus que l’entreprise lui permet d’élargir son éventail de connaissances. On s’éloigne du conformisme pour dénicher « le » talent qui sera capable de faire bouger les lignes du collectif et renforcer le « faire ensemble ». Dans un univers concurrentiel exacerbé, la capacité de l’entité à s’adapter et magnifier les compétences de tous met en exergue sa singularité, et par là-même son attractivité.
Attentes de tous, mais surtout de chacun
Face à ces différentes évolutions, les attentes des nouveaux collaborateurs, des managers et de l’entreprise changent. La coordination de ces attentes semble être la condition sine qua non d’un fonctionnement harmonieux au sein de l’organisation.
« Le rapport au travail signifie que j’exerce une fonction pour m’épanouir, pour apprendre et pour vivre dans un environnement agréable. Ce changement de rapport au travail a changé aussi le sentiment d’appartenance. », explique Maxence, un ancien élèce de Moma.
Les nouveaux collaborateurs aspirent à des environnements de travail inclusifs, où ils se sentent valorisés et soutenus. Ils attendent des opportunités claires de développement de carrière, des formations adéquates dès leur intégration et une culture d’entreprise qui encourage l’apprentissage continu et la prise de responsabilité.
Le haut niveau d’exigence des entreprises, combiné aux désirs individuels des collaborateurs, crée une tension paradoxale qui peut fragiliser le sentiment d’appartenance. La pression subie ou perçue pour atteindre des objectifs organisationnels élevés, tout en poursuivant des ambitions propres, entraîne potentiellement une perte de motivation et de fidélité envers l’entreprise. En conséquence, les collaborateurs adoptent des comportements nomades, se montrant enclins à changer d’employeur au gré des opportunités qu’ils rencontrent.
La fidélité à l’entreprise en recul
Les managers peuvent se sentir déroutés par ces nouvelles prétentions : à l’incertitude environnementale s’ajoute une mobilité croissante des talents imputable aux attentes individuelles paradoxales. Cela crée des besoins de montée en compétences rapide au sein de l’entreprise, notamment de compétences sociales synonymes d’attachement : communication, adaptabilité, collaboration, gestion des conflits, leadership inclusif, mentorat, vision stratégique. Pour faciliter ce travail, les managers attendent également de leurs futurs collaborateurs une meilleure capacité d’intégration pour comprendre les attentes des différentes parties prenantes.
« L’accumulation de savoir-faire et de compétences grâce aux collaborateurs fonde la spécificité, voire la rareté de la proposition de l’entreprise donc sa valeur », écrit Denis Dauchy. La question de l’adéquation des compétences attendues par les entreprises à celles des collaborateurs s’avère essentielle au bon fonctionnement. Le travail collectif réalisé au sein du THINK lab a notamment mis en lumière des aspirations des jeunes générations (et pas seulement), qui s’illustrent par de nouveaux besoins et un nouveau regard porté sur l’entreprise. Le challenge auquel font face les managers et les entrepreneurs s’inscrit dans la nécessité de prendre en compte ces évolutions sociétales, en accompagnant les collaborateurs dans l’enrichissement de leurs compétences, tout en respectant leurs aspirations personnelles, tout en veillant aux objectifs de performance. La capacité d’adaptation des uns et des autres, mais également des uns aux autres, se définit comme la clé de ce qui apparaît a priori comme un paradoxe.
Marion Polge, Maitre de conférences HDR en sciences de gestion, Université de Montpellier; Françoise Pierrot, Docteur en sciences de gestion, Université de Montpellier; Sarah Mussol, Maitresse de conférences en sciences de gestion, Université de Montpellier; Sophie Casanova, Maître de conférences en Entrepreneuriat, Université de Montpellier et Sylvie Sammut, Professeur des Universités en Entrepreneuriat et Management Stratégique, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.