Risques de conflits entre la pêche et la séquestration de carbone dans l’océan
Une équipe internationale menée par des chercheurs et chercheuses de l’Université de Montpellier, du CNRS et de l’Université de Californie a cartographié les zones potentiellement conflictuelles entre deux grandes contributions de l’océan aux sociétés humaines : la pêche et la séquestration de carbone. A quelques mois de l’ouverture de la 3e conférence des Nations unies pour l’océan qui se tiendra à Nice en juin 2025, leurs travaux, publiés dans la revue One Earth, ouvrent des pistes originales pour adapter les pratiques de pêche.
Pêche et séquestration de carbone dans l’océan, un lien longtemps négligé
En milieu terrestre, l’impact de l’agriculture sur les puits de carbone que représentent les forêts est désormais bien quantifié. En revanche le lien entre la pêche et la séquestration de carbone par les océans reste plus méconnu. Par leurs carcasses et les défécations riches en carbone qu’ils produisent et qui coulent dans les abysses, les poissons participent directement à la séquestration de carbone dans l’océan profond. Les sols océaniques, quant à eux, stockent de vastes quantités de carbone accumulées au fil du temps dans le sédiment, carbone appelé carbone bleu. Problème : la pêche, en prélevant d’importantes quantités de poissons et en détériorant les fonds marins via des techniques comme le chalutage benthique (méthode qui consiste à tirer un filet de type chalut, lequel est en contact direct avec le sédiment marin) limite drastiquement la capacité des océans à piéger ce carbone bleu.
Si l’antagonisme entre le carbone bleu et les bénéfices socio-économiques de la pêche (emplois, sécurité alimentaire …) est pointé depuis plusieurs années, la surface et la localisation de ces zones potentiellement conflictuelles étaient jusqu’à aujourd’hui méconnues. Cette nouvelle étude révèle que ces dernières couvrent 15% de l’océan, répartis dans les eaux internationales et en milieu côtier.

Les poissons jouent un rôle crucial dans le cycle du carbone océanique, contribuant directement à la séquestration de carbone dans l’océan profond grâce à la production régulière de pelotes fécales et de carcasses riches en carbone qui coulent dans les abysses, piégeant ainsi le carbone qu’elles contiennent pendant plusieurs siècles. © IRD – Ifremer
Les eaux internationales, une zone conflictuelle majeure
Les eaux internationales, qui ne sont sous l’autorité directe d’aucun état et où se pratique la pêche en haute mer, représentent près de 50 % des zones conflictuelles identifiées dans cette étude. « Or, d’autres études ont montré que la pêche en haute mer est reconnue comme contribuant très faiblement à la sécurité alimentaire mondiale car elle est principalement menée par des pays développés sans problème d’insécurité alimentaire » précisent les auteurs et autrices de l’étude. « Notre étude fournit donc un argument supplémentaire pour appliquer le principe de précaution, c’est-à-dire une limitation de la pêche en haute mer jusqu’à ce que ses conséquences sur la séquestration de carbone soient évaluées » concluent-ils.
Chalutage benthique et séquestration de carbone, un conflit côtier
Si une protection de la haute mer impactera peu les objectifs socio-économiques globaux tels que la sécurité alimentaire, l’histoire est toute autre avec le chalutage benthique en milieu côtier. En effet, bien que les zones conflictuelles entre la séquestration de carbone dans le sédiment et le chalutage benthique couvrent seulement 3,8 % de l’océan, plus de 56 % des captures des chaluts benthiques y ont lieu. « Cela montre que d’importants conflits peuvent surgir en cas de protection de ces zones contre la pêche au chalut. Ces conflits sont d’autant plus importants quand les zones identifiées concernent des pays en insécurité alimentaire » précisent les chercheurs.
Des solutions existent
L’étude montre cependant que des solutions existent. « Prenons un exemple simple. Les côtes argentines sont identifiées comme conflictuelles car d’importance capitale pour la séquestration de carbone dans le sédiment, mais aussi pour la pêche au chalut. Or, certaines espèces peuvent aussi être pêchées avec des engins n’entrant pas en contact avec le sédiment. C’est par exemple le cas du merlu argentin, pêché à l’aide de chaluts benthiques entrant en contact avec le sédiment, mais qui peut aussi être capturé avec des chaluts pélagiques ou à la ligne. Ainsi, changer de méthodes de capture permettraient de maintenir les emplois et les bénéfices socio-économiques issus de la pêche au merlu argentin, tout en préservant le stock de carbone présent dans les sédiment » précisent les auteurs et autrices de l’étude.
Informations pratiques
- Date de publication : 26 mars 2025
- Lire l’article complet