Risques et dangers alimentaires : la grande confusion
Devant les informations récentes qui nous parviennent des médias (incendie de la société Lubrizol, décès du petit garçon dans l’Oise atteint par la bactérie Escherichia coli, élèves malades après un cross scolaire), je vous propose d’expliquer le plus simplement possible dans cet article la différence entre un risque et un danger dans le domaine de l’alimentaire qui sont souvent confondus et qui perturbent la compréhension des consommateurs sur les informations qui sont diffusées par les réseaux sociaux et les médias.
Didier Montet, Université de Montpellier
La définition du danger est relativement simple. Le risque est plus difficile à appréhender car c’est la probabilité d’être en présence d’un danger. Si le danger n’est pas présent, le risque est de zéro et si le danger est très présent, le risque est proportionnel à la quantité du danger.
En alimentation, vous allez être confrontés à des dangers chimiques (pesticides, certains additifs, toxines, hormones…), biologiques (bactéries pathogènes, moisissures toxinogènes, virus, prions…), des métaux lourds (mercure, plomb, cadmium, cuivre, souffre…). Ces corps étrangers présentent un risque pour les consommateurs et deviendront un danger dès qu’ils seront présents à des quantités suffisantes pour provoquer chez le consommateur soit une attaque violente dite aiguë (toxine, métaux, virus) comme dans le cas d’une intoxination avec la toxine botulique, soit une attaque chronique de type cancer.
Où sont les molécules toxiques ?
Ces toxiques sont souvent en quantité très faible dans l’aliment et sont gérés par des normes strictes et acceptées mondialement par les experts du Codex alimentarius. Le codex Alimentarius est un programme commun de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui consiste à produire un recueil de normes, directives et recommandations relatives à la production et la transformation agroalimentaires qui ont pour objet la sécurité sanitaire des aliments. Les experts considèrent que la norme assure une sécurité importante pour le consommateur. Les valeurs des normes sanitaires pour les toxiques alimentaires tournent autour du microgramme (µg) par kilo d’aliment. Cette quantité est extrêmement faible (1 millionième de gramme) mais les équipements analytiques permettent de les quantifier. Dans un but pédagogique, j’ai calculé ce que représente un µg/kilo en temps pour une conférence chez des amis juristes. Le µg/kilo représente en temps une seconde sur 32 ans. Il est rare dans la vie de tous les jours d’être aussi précis dans ses activités.
Le journal 20 minutes annonçait le 10 octobre que les taux de dioxines (interdites en consommation) sur des sols rouennais dépassaient de 4 fois la norme. L’Organisation mondiale de la santé préconise une dose maximale admissible de 10 pg/jour/kg de poids corporel (soit un millionième de millionième de gramme/jour/kg) qui est un seuil de précaution pour une exposition quotidienne au cours de la vie entière. Ça ne fait pas beaucoup et quatre fois plus non plus ! A ces doses, il est extrêmement difficile d’estimer le réel danger.
Quelles différences entre risques et dangers ?
Je donne maintenant quelques exemples pour éclairer la compréhension des termes risque et danger. En Europe, les agences sanitaires travaillent sur le calcul du risque donc sur une présence de danger éventuel alors qu’en Afrique où je travaille souvent, le danger alimentaire est très présent. Lorsqu’un consommateur européen entend parler de risque, il comprend danger alors que le danger n’est peut-être pas là.
Les pesticides regroupent les herbicides dont le célèbre Rondup (Monsato, devenu Bayer Européen récemment), les fongicides (anti-moisissures) et les insecticides. Cela représente environ 500 molécules autorisées par l’Europe dont certaines sont dangereuses pour la santé en particulier pour les agriculteurs qui les manipulent en grosse quantité.
Pour le consommateur, les quantités trouvées sur les aliments en Europe sont très faibles, généralement inférieures à 5 µg/kg pour 95,9 % des aliments en agriculture conventionnelle et bio.
On peut lire dans ce rapport que 96,2 % des 84 657 échantillons analysés respectaient les limites légales. 50,7 % étaient exempts de résidus quantifiables alors que 45,5 % des échantillons analysés contenaient des résidus quantifiés ne dépassant pas les niveaux maximaux de résidus (LMR). L’évaluation des risques alimentaires aigus et chroniques a montré que la probabilité pour les citoyens européens d’être exposés à des concentrations de résidus de pesticides pouvant entraîner des effets néfastes sur la santé était donc faible.
Ce risque est difficile à estimer car il relève de la toxicologie des traces moléculaires dont la toxicité sur l’homme est quasi impossible à calculer avec les méthodes actuelles. Dans les pays les moins regardant, des pesticides interdits circulent encore. D’autres pesticides sont utilisés sur des cibles non prévues.
Devant l’augmentation forte des anti-biorésistances en particulier chez certaines bactéries pathogènes, l’UE a interdit l’usage des antibiotiques en alimentation animale en 2005 alors que ces antibiotiques sont encore autorisés ans la plupart des autres pays du monde dont certains ont des accords commerciaux avec l’Europe (Asie du Sud-est, USA, Mercosur). En Europe les antibiotiques restent autorisés pour soigner les maladies animales en conventionnel et Bio. Le danger est donc d’obtenir des antibiorésistances chez les bactéries pathogènes. Le risque est très mal contrôlé car il n’existe pas à ce jour de norme sanitaire sur l’antibiorésistance et le contrôle ne se fait que sur les teneurs en antibiotiques.
Les mycotoxines sont des toxines produites par certaines moisissures dont certaines sont cancérigènes. Elles sont très présentes dans les milieux humides et chauds où elles peuvent atteindre des quantités extrêmement fortes. En Europe, certaines moisissures toxinogènes sont présentes mais les quantités de mycotoxines mesurées sont généralement inférieures aux seuils que les experts considèrent comme dangereux pour la santé. Le danger est donc identifié en Europe mais le risque est dur à calculer et peut être considéré comme faible. Il va dépendre de l’utilisation de fongicides chimiques dont le sulfate de cuivre est très connu en agriculture biologique. Le grand public n’est pas encore sensibilisé à ce danger qui peut tuer des familles entières de façon aiguë en Afrique et plus insidieusement par le cancer.
Les bactéries pathogènes qui peuvent être mortelles sont naturelles et se trouvent partout en particulier sur le sol mais aussi dans les intestins des animaux. Personne ne peut échapper à ce danger et leur quantification dans l’aliment frais est quasi impossible avant sa mise sur le marché compte tenu de la vitesse des flux des aliments dans le monde. Seuls des mesures d’hygiène stricte et des procédés maîtrisés peuvent éviter leur présence.
Le danger va donc dépendre à la fois de la charge initiale en bactéries mais aussi du processus (stérilisation, chaîne du froid) et de la mise sur le marché et surtout du comportement du consommateur. Quelques accidents sont encore dus à une mauvaise formation des consommateurs.
Certains éléments minéraux (plomb, arsenic, mercure, cuivre) peuvent se trouver naturellement dans l’aliment ou proviennent du procédé de fabrication. Ils sont toxiques et représentent un danger qu’il faut absolument éviter dans l’alimentation. Certains poissons âgés contiennent des taux de métaux lourds importants car ils accumulent ces métaux dans leurs viscères. Le risque n’est pas facile à estimer car il va dépendre du contenu de l’aliment mais aussi de la quantité consommée.
La consommation en forte quantité de sucre augmente le risque d’obésité et donc de mortalité due à des maladies métaboliques. Nous avons ici un exemple de danger faible et d’un risque élevé.
Il est intéressant de constater que dans nos pays, le risque fait plus peur aux gens que le danger car le risque est souvent mal compris et mal expliqué alors que le danger est maîtrisé par les professionnels.
En Europe, les experts se réunissent environ tous les mois pour estimer le risque de certains produits comme les OGM, les nouveaux aliments, ou encore les additifs qui ne pourront être mis sur le marché qu’après un avis positif des agences.
Didier Montet, Chercheur-expert en sûreté des aliments, Université de Montpellier
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.