SenseIR : Tenir les maladies cardiovasculaires en haleine
Enseignante à l’Université de Montpellier, et chercheuse au sein de l’équipe Nanomir de l’Institut d’électronique et des systèmes (IES), Aurore Vicet est à l’origine du projet SenseIR. Une technologie destinée à détecter des maladies cardio-vasculaires dans l’air exhalé à l’aide de lasers infrarouges. L’étude clinique vient tout juste de démarrer.
Un diagnostic rapide, non invasif, et capable d’être réalisé en mode nomade, au chevet des patients… Telle est l’ambition du projet SenseIR. Fruit d’une collaboration entre l’IES, le CHU, le laboratoire Physiologie et médecine expérimentale du cœur et des muscles (PhyMedExp), et l’Institut Desbrest d’épidémiologie et de santé publique (Idesp), cet outil prometteur pourrait bientôt permettre au monde médical de diagnostiquer des maladies cardiovasculaires grâce à un appareil capable de détecter certains biomarqueurs dans l’air exhalé par les patients.
L’idée a germé en 2020 sur un coin de table du CHU, à l’occasion d’une rencontre entre Aurore Vicet, chercheuse de l’équipe NanoMir, et le physiologiste et pneumologue Fares Gouzi, du CHU. Jusqu’ici, NanoMir ne travaillait que sur des capteurs destinés aux polluants environnementaux, mais après quelques tests informels sur la détection de taux de monoxyde de carbone dans l’haleine, le duo est emballé. “On savait que l’infrarouge avait un super potentiel. On s’est dit qu’il fallait qu’on travaille ensemble. Pendant le confinement, nous avons répondu à un appel à projets Muse, et nous avons démarré en octobre 2020 avec la thèse de Diba Ayache puis le post-doc de Tarek Seoudi”, se souvient Aurore Vicet.
Mise au point
Les premiers mois, la petite équipe s’est attelée à identifier les molécules symptomatiques de certaines maladies cardiovasculaires, comme l’insuffisance cardiaque, et de certaines pathologies respiratoires. Dans ces cas précis, l’haleine des patients peut présenter une surcharge d’acétone et de monoxyde de carbone. Au total, quatre gaz ont été sélectionnés par Aurore Vicet et le Fares Gouzi, qui ont ensuite travaillé sur les différents lasers capables d’analyser chacune des molécules pour avoir la lecture la plus fine possible des taux en présence.
Une étape complexe et nécessaire. “Il y a eu beaucoup de réglages optiques, d’instrumentation. Il a fallu faire des programmes d’acquisition de données, des simulations… Pour certaines molécules, la mise au point a été difficile. Cela demande un degré de précision important”, détaille Aurore Vicet, qui utilise ici la technique de la spectroscopie photoacoustique. En bref, l’idée est d’exciter les molécules recherchées, via l’émission modulée du rayon infrarouge que chacune d’elles est capable d’absorber. La manœuvre provoque un son imperceptible à l’oreille, mais que les chercheurs arrivent à relayer à l’aide d’un mini diapason de quartz, comme ceux utilisés dans la fabrication de montres.
Étude clinique
En parallèle, il a fallu recréer les conditions fictives d’exhalation de l’air pour les premiers tests. “Notre haleine est chaude, pleine d’eau et de CO2, avec de grandes variabilités entre les individus. Tous ces paramètres apportent des difficultés expérimentales supplémentaires. Les mesures in vivo sont toujours plus compliquées que les courbes de calibration basiques sur des bouteilles de gaz dans un labo”, souligne la chercheuse.
Depuis le début du mois de mai, l’équipe a démarré l’étude clinique, promue par le CHU de Montpellier. Au total, elle analysera les données récoltées auprès de 55 personnes souffrant d’insuffisance cardiaque et d’une vingtaine de volontaires sains. “ L’étude avance petit à petit, en incluant régulièrement de nouveaux patients. L’idée, c’est de valider le protocole et d’arriver à faire le lien entre les pathologies cardiovasculaires et les concentrations de gaz à l’instant t”, poursuit Aurore Vicet, qui espère terminer d’ici l’automne prochain, avant de passer la main à Nicolas Molinari, de l’Idesp pour une modélisation mathématique qui permettrait alors de définir une « signature » chez le patient insuffisant cardiaque.
Brevet dans la foulée
Dans la foulée de l’étude clinique, la technologie de SenseIR pourrait être brevetée et confiée à une entreprise biomédicale capable de diffuser le dispositif. Mais pour l’heure, Aurore Vicet préfère se cantonner à son cœur de métier : la recherche. Avec Fares Gouzi et un consortium élargi, elle lancera dans les prochains mois un nouveau projet, cette fois-ci sur l’influence de la pollution environnementale sur l’être humain. L’occasion de pérenniser une rencontre “très fertile”. “C’est une belle collaboration entre la médecine et la science des lasers et des capteurs électroniques, se félicite Aurore Vicet. Et c’est assez rare pour être souligné”.