“Si c’était à refaire, je redeviendrais enseignante”
Le nombre d’inscrits aux concours de l’enseignement du second degré a diminué de plus de 30 % en quinze ans. Et la situation n’est pas meilleure dans le premier degré. Agnès Perrin-Doucey est doyenne de la Faculté d’éducation, avant cela, elle a enseigné de la maternelle à l’université en passant par le collège et le lycée. Elle revient pour nous sur les valeurs humaines d’un métier aux fondements de nos sociétés.
En 2023 le nombre de candidats au concours du premier degré était en baisse de 38 % par rapport à 2021 et de 18,5% dans le second degré (Le Monde 2/01/2023). Est-ce que tous les métiers de l’enseignement et de l’éducation sont concernés par cette baisse d’attractivité ?
Le phénomène est très visible dans tous les métiers d’enseignement, un peu moins pour le concours de CPE, mais cela vient doucement. Il y a une baisse d’attractivité des métiers qui s’intéressent à l’humain en général. On observe aussi dans le secteur de la santé. C’est un mouvement qui touche les autres pays européens même si la France est un pays où les enseignants sont tout de même assez malmenés.
Est-ce que ce phénomène est homogène ?
Dans le premier degré les académies comme Créteil ou Versailles sont plus touchées mais même à Montpellier, qui est une académie demandée, le taux d’admissibilité a diminué, il est aujourd’hui à 1,5 candidat pour un poste. Dans le second degré, beaucoup de disciplines peinent à recruter. On parle des mathématiques ou de l’allemand mais c’est aussi le cas en français. Il y a encore des disciplines très prisées comme l’EPS, la philosophie, ou l’histoire-géographie mais même là le nombre de candidats au concours commence à baisser.
Vous dites que ces professions sont malmenées, pourquoi ?
Il y a la question salariale, mais ce n’est pas le seul élément. Les métiers de la fonction publique sont déconsidérés par la société en général depuis longtemps. Pour les enseignants s’ajoutent les réformes incessantes et épuisantes qui finissent par créer du désinvestissement, certains hésitent à s’engager 42 ans ou 43 ans dans ce métier. Il y aussi les enquêtes internationales qui véhiculent l’idée que l’école française décline sans expliquer les raisons de ces faiblesses et sans dire qu’on trouve parmi les élèves français les meilleurs élèves au monde. C’est une illustration de la fracture sociale de notre pays qui est très présente à l’école.
Le taux de recours aux contractuels a augmenté de 1,5 point dans le second degré en 5 ans et dans le premier degré le nombre de contractuels était en hausse de 38 % par rapport à 2020 (rapport d’information Sénat 8/06/2022). L’académie de Versailles à même organisé des jobdating pour recruter ( France Bleue 27/05/2022). Comment motiver les jeunes à passer le concours ?
Aujourd’hui beaucoup de profs passent par la voie du contrat. Dans le secondaire le concours est national et beaucoup d’étudiants ne souhaitent pas aller dans les académies déficitaires. Ce sujet a été très présent dans la rencontre organisée avec Mme la rectrice : « Est ce que vous envisagez de faire un concours académique pour le second degré ? ». [Lire A la rencontre des futurs enseignants et enseignantes de l’UM, 7/11/2023]. Et puis on passe les concours plus tard aussi. A 24 ou 25 ans on est déjà installé dans la vie, beaucoup de jeunes sont en couple et aspirent à s’installer. C’est tout cela qui pèse sur les recrutements.
Le taux de démission des stagiaires n’a jamais été aussi élevé, il est actuellement dix fois supérieur à celui des titulaires (rapport d’information Sénat par G.Longuet, 8/06/2022), qu’est ce qui provoque ces démissions selon vous ?
A Montpellier les taux ne sont pas aussi haut. Il est indispensable d’avoir des stages mais il est vrai que parfois certaines expériences peuvent fracasser les jeunes parce qu’ils se rendent compte qu’enseigner est difficile, fatigant. Il y a la voix, le souffle, la fatigue physique… L’enseignant dans la classe, c’est lui qui impulse l’énergie, il faut donc en avoir beaucoup. Cela fait partie des choses qu’on découvre en apprenant le métier. Personnellement, je me suis confrontée à la pédagogie assez jeune, d’abord comme animatrice en centre de vacances. Quand on vous réveille au milieu de la nuit parce qu’un enfant est malade alors que vous dormez depuis seulement deux heures, vous apprenez à vous oublier et vous vous levez. Ces expériences n’apprennent pas à enseigner mais posent des savoirs-être indispensables à l’enseignement et au relationnel avec les jeunes enfants.
Vous avez parlé des savoirs-être de l’enseignant, quels sont-ils selon vous ?
Le premier savoir-être pour enseigner, c’est la bienveillance, la maîtrise de soi, mais c’est aussi savoir poser une autorité, être ferme en restant juste. Interrogez les élèves, ils disent tous la même chose. Un bon enseignant, c’est quelqu’un qui est juste, qui vous fait progresser, qui vous écoute, qui vous comprend. C’est celui qui est capable de prendre l’élève là où il est, pour l’emmener le plus haut possible. C’est un peu comme l’honnête homme du XVIIIe. Il faut relire les Essais de Montaigne, il avait dit beaucoup sur ce qu’est un bon enseignant.
Mais dans une classe tous les élèves ne sont pas au même niveau, comment les emmener tous ?
Oui et c’est pour cela que l’équité, est une valeur incontournable. Tout cela s’apprend, on est un meilleur enseignant avec de l’expérience même si ce n’est pas toujours aussi simple, car, on ne réussit pas avec tous les élèves. Et puis bien sûr, il y a la maîtrise et l’intérêt pour sa discipline, et toutes les qualités intellectuelles qui permettent une bonne transmission des connaissances même si je n’aime pas le mot transmettre.
Pourquoi ?
Parce qu’il laisse entendre qu’il y a un vase vide que le prof va remplir avec son savoir. Je le dis souvent aux stagiaires en tout début d’année, on n’enseigne pas, on fait apprendre. C’est l’élève qui apprend, nous nous créons les conditions d’apprentissage. C’est pour cela que la formation aujourd’hui fait une part plus grande à ce qu’on appelle les soft skills. Apprendre à développer une relation non-violente à soi et aux autres par exemple. En France, on est beaucoup restés dans l’idée qu’il fallait adapter les connaissances à la technique du métier, mais il y a de nombreuses autres compétences à acquérir.
C’est-à-dire ?
Par exemple, on demande à un professeur des écoles de maîtriser la technique de l’apprentissage de la lecture. Oui, bien sûr, mais il faut surtout qu’il soit capable d’analyser comment l’élève apprend, dans l’apprentissage de la lecture les élèves apprennent de façon extrêmement différente. Il faut aussi qu’il sache développer le rapport de l’élève à la lecture.
Il y a quand même des techniques pour enseigner ?
Oui, mais ce n’est pas l’essentiel. C’est un métier qui demande un haut niveau de compréhension de sa discipline, mais aussi de la psychologie des enfants ou des adolescents, de la société, de l’histoire, de la pédagogie, de ce qu’on est soi-même. Jaurès disait : « On n’enseigne pas ce que l’on sait ou ce que l’on croit savoir… : on n’enseigne un peu aussi que ce que l’on est. » Elle est contestable cette citation, il faut aussi mettre de côté les dimensions privées. Mais quand il dit ce que l’on est, c’est l’engagement, c’est le citoyen que l’on est. C’est ce qui nous a pétris, construits et forcément c’est un métier dans lequel la question des valeurs humaines est une question forte.
L’engagement c’est une valeur fondamentale du métier d’enseignant ?
Je crois qu’on ne peut pas faire ce métier si on n’a pas un engagement pour l’humain ou pour la citoyenneté, si on n’interroge pas l’importance du métier pour l’humanité, je dis bien l’humanité, je suis très ambitieuse. Clairement c’est un métier intellectuel qui relève du politique ; or on en fait souvent un métier technique et particulièrement dans le premier degré.
Vous encouragez les étudiants à se diriger quand même vers ces métiers ?
L’autre jour, un étudiant a demandé à Mme la Rectrice et à l’ensemble des personnes présentes : « est ce que vous croyez que c’est le plus beau métier du monde ? » Je ne sais pas si c’est le plus beau métier du monde, je n’ai fait que celui-là, mais si c’était à refaire, je redeviendrais enseignante y compris dans le contexte actuel. Je me suis pleinement épanouie dans ce métier, parce que j’y ai trouvé ce que j’allais chercher. Une passion pour ma discipline, les lettres, une passion pour la pédagogie, une passion pour la relation humaine. J’ai pu évoluer dans ma carrière de façon régulière, peut-être que cela m’a permis de ne pas regretter mes choix. Et aujourd’hui il y a encore des étudiants qui croient en ce métier. Je ne sais pas si c’est cela qu’on appelle la vocation mais ils y vont parce qu’ils ont envie d’enseigner.
Qu’est-ce que le métier d’enseignant vous a apporté à vous personnellement ?
Lors de sa visite, Mme la rectrice a dit aux étudiants qu’on avait tous un prof modèle, moi, j’en ai plein de profs modèles. J’ai aussi des profs repoussoirs. Mais je pense aussi que tout prof a des élèves qui l’ont marqué dans sa vie, des élèves qui l’ont fait grandir dans le métier. Il y a un inspecteur pédagogique de Lettres de l’académie de Montpellier qui a conçu un projet nommé « Ces élèves qui nous élèvent ». C’est exactement cela, ce métier, les élèves nous élèvent.