Sous les pavés, l’énergie
Forer pour récupérer la chaleur de la Terre, c’est le principe de la géothermie. Une source d’énergie renouvelable, décarbonée et non intermittente, mais qui peine à s’imposer en France aux côtés du solaire et de l’éolien. Roger Soliva et Benoit Gibert, enseignants-chercheurs au laboratoire Géosciences Montpellier, creusent la question.
Une source d’énergie inépuisable se trouve à notre portée, sous nos pieds. Un flux de chaleur constant naturellement généré par le refroidissement continu de la planète mais aussi par la désintégration des éléments radioactifs contenus dans les roches. Récupérer cette énergie pour se chauffer ou pour produire de l’électricité, c’est là tout le principe de la géothermie. « Un terme qui décrit à la fois l’étude des phénomènes thermiques dans la Terre mais également l’ensemble des techniques et procédés qui vont permettre d’extraire la chaleur du sous-sol », explique Benoit Gibert, chercheur en physique des roches au laboratoire Géosciences Montpellier. « La géothermie concerne tous les champs des géosciences », complète Roger Soliva, tectonicien et spécialiste des ressources géologiques.
Et pour récupérer cette chaleur, il n’y a pas de secret, il faut creuser. Car plus l’on descend, plus la température augmente. « À quelques mètres de profondeur, la température du sous-sol correspond à la température moyenne annuelle en surface, soit environ 14°C, expliquent les chercheurs. Au-delà de cette profondeur, la température augmente en moyenne de 3°C tous les 100 mètres ». Les installations de géothermie nécessitent donc de réaliser des forages et de faire remonter à la surface les fluides chauds contenus dans le sous-sol.
La géothermie en profondeur
Et en fonction de la profondeur de ces forages, on distingue plusieurs types de géothermies. « À de faibles profondeurs on parle de géothermie de surface, on fait remonter de l’eau, dont on extrait l’énergie par des pompes à chaleur qui permettent de chauffer des bâtiments », explique Benoit Gibert. « Un enjeu de taille quand on sait que 45 % de l’énergie consommée en France est utilisée sous forme de chaleur », complète Roger Soliva. Pour le chauffage domestique, mais également pour chauffer par exemple les piscines, les piscicultures ou encore pour d’autres usages industriels.
Mais la géothermie permet également de produire de l’électricité. « On parle alors de géothermie électrogène », précise Roger Soliva. La géothermie profonde permet en forant davantage d’atteindre des températures supérieures à 120 °C. Les fluides extraits à partir de ces températures permettent, grâce à certains procédés, de produire de l’électricité.
À certains endroits de la planète, le plus souvent en contexte volcanique, on peut également mettre en œuvre ce qu’on appelle la géothermie haute énergie. « Là on extrait des fluides à des températures beaucoup plus hautes, supérieures à 200°C, ce qui permet de produire de l’électricité à partir de fluides contenant naturellement de l’eau à l’état vapeur, précise le chercheur. La détente de cette vapeur sous pression fait tourner une turbine qui fait à son tour fonctionner un alternateur produisant de l’électricité », détaille Benoit Gibert. C’est par exemple le cas de la centrale géothermique de Bouillante en Guadeloupe qui produit 6 à 7 % de la consommation totale d’électricité de l’île.
Et si des pays comme les États-Unis, l’Islande ou encore la Nouvelle-Zélande ont misé sur la chaleur de la Terre, en France métropolitaine, la géothermie représente encore une part dérisoire dans la production d’énergie et seuls quelques dizaines de milliers de foyers sont chauffés par l’énergie terrestre, « alors même que le territoire pourrait s’y prêter d’un point de vue géologique », précise Roger Soliva.
Une place dans le mix énergétique
« Quand on parle d’énergies renouvelables, on pense au solaire et à l’éolien, mais pas à la géothermie », s’étonne Benoit Gibert. Pourtant elle présente des avantages uniques : « c’est une source d’énergie qu’on peut considérer comme infinie et dont la production ne dépend pas des conditions météorologiques comme le solaire ou l’éolien », explique Benoit Gibert. Elle peut donc être produite en permanence et peut s’affranchir des problématiques de stockage car on contrôle sa production, « en ouvrant ou fermant le robinet en fonction des besoins », image le géologue.
Alors pourquoi la géothermie peine-t-elle à se développer malgré un « potentiel bien plus large », comme le disent les géologues ? « Il y a très peu de communication sur le sujet, une méconnaissance de la part des décideurs politiques, des constructeurs et de la population, mais aussi des pressions européennes et nationales pour le développement des énergies renouvelables intermittentes. » Et une image ternie de la géothermie électrogène par les séismes survenus à Vendenheim en 2019 « c’était pourtant évitable car tous les indicateurs étaient au rouge, ces séismes étaient prévisibles pour les géologues », témoigne Roger Soliva. Un évènement qui a pourtant jeté un coup de froid sur cette technologie, qui fait l’objet d’un regain d’intérêt depuis 2022. « Avec la guerre en Ukraine et la crise du gaz, nous sommes davantage sollicités, mais nous ne sommes pas assez nombreux à travailler sur ce sujet, pointe Roger Soliva. Les décideurs ont un rôle important à jouer pour participer au développement de la géothermie qui pourrait largement contribuer au mix énergétique, et au moins à son usage sous forme de chaleur, qui est sans aucun risque de sismicité induite », conclut le géologue.
A voir
Quelles énergies pour notre futur ? Une vidéo de la chaîne Ecran de savoirs avec Roger Soliva.
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