[LUM#12] Un traitement pour conjuguer sida et allaitement
Comment allaiter son enfant, quand on est séropositive, sans risquer de lui transmettre le VIH ? Philippe Van de Perre, qui travaille sur cette épineuse question depuis plus de 30 ans, a mis au point un protocole permettant de diminuer drastiquement le risque de contamination via le lait maternel.
Chaque année, 160 000 nouveau-nés sont infectés par le virus du sida, principalement en Afrique. Si c’est 3 fois moins qu’il y a 20 ans, c’est encore 160 000 de trop pour Philippe Van de Perre. Le virologue est le premier à avoir mis en évidence, en 1991, le fait que le virus puisse se transmettre de la mère à l’enfant au cours de l’allaitement. « Nous suivions alors 212 mères et leur bébé, au Rwanda, tous et toutes séronégatifs à l’accouchement. Seize mois plus tard, 15 mères étaient devenues séropositives, ainsi que 8 enfants ». Seule explication possible : le VIH avait été transmis aux nourrissons via le lait maternel.
Contamination par le lait maternel
« Les contaminations des bébés résultent dans un tiers des cas de la transmission du virus pendant l’accouchement, et pour les deux autres tiers au cours de l’allaitement maternel » détaille Philippe Van de Perre. En l’absence de traitement, un nourrisson allaité par sa mère séropositive a 30 % de risque de contracter le VIH. Un enjeu majeur quand on sait que sans prise en charge médicale, la mortalité des enfants infectés atteint 50 % au cours de leur première année. Suite à ces révélations, l’Organisation mondiale de la santé a décidé de recommander aux femmes infectées par le VIH d’éviter l’allaitement quand une alternative est possible et sûre. « Une recommandation impossible à appliquer dans la plupart des pays africains, pour différentes raisons, qu’il s’agisse de la pression culturelle, du coût du lait maternisé ou encore de l’accès à l’eau potable… », explique le spécialiste.
Alors comment permettre aux femmes séropositives d’allaiter leur bébé sans risque de les contaminer ? Dans un premier temps, les chercheurs ont commencé par donner aux mères un traitement destiné à supprimer les particules virales du lait maternel. « Grâce à ce traitement, le plus souvent, nous ne détections plus le virus dans le lait, explique Philippe Van de Perre. Mais malgré le traitement maternel, de nombreux enfants continuaient à contracter le VIH ».
Si les chercheurs constatent que de nombreuses mères allaitantes ne prennent pas scrupuleusement leur traitement, ce qui limite son efficacité, ce n’est pas la seule explication. « Nous nous sommes également aperçus qu’en plus des particules virales, le lait maternel contient des cellules infectées par le virus qui elles ne sont pas éliminées par le traitement antirétroviral et peuvent transmettre l’infection aux nourrissons », révèle Philippe Van de Perre.
Aucun effet secondaire
Face à cette découverte, le virologue et son équipe proposent une nouvelle stratégie thérapeutique : administrer un traitement antirétroviral directement au bébé, en plus du traitement pris par la maman. « Il s’agit d’un simple sirop pédiatrique donné à l’enfant, le traitement est très bien toléré et nous n’avons pas observé d’effets secondaires. Et les résultats sont éloquents : avec ce nouveau protocole, le taux d’infection des bébés passe à moins de 1 % ! »
Depuis décembre 2019, Philippe Van de Perre mène en Zambie et au Burkina-Faso un programme unique au monde visant à optimiser la stratégie de prévention recommandée par l’OMS. Lors de la visite vaccinale des nouveau-nés âgés de 6 à 8 semaines, les chercheurs pratiquent un test de dépistage du sida chez toutes les mères et leur bébé. « Si on découvre qu’une mère est séropositive pour le VIH et que son bébé n’est pas infecté, on prescrit un traitement antirétroviral à la mère, ou on le renforce si celle-ci est déjà sous traitement. On prescrit aussi un traitement à l’enfant jusqu’à la fin de l’allaitement ». Un dépistage très précoce qui doit s’accompagner d’une campagne d’information : « pour être efficace le traitement doit être bien suivi, il est donc capital d’informer la mère sur le risque de contamination encouru par son bébé en cas d’arrêt du traitement ».
Cette étude en cours est regardée de très près par l’OMS qui pourrait bientôt établir de nouvelles recommandations officielles afin que ce protocole soit appliqué partout dans le monde. « Entre ce protocole dit « de rattrapage » et la nouvelle stratégie vaccinale que l’on développe (lire l’encadré ci-dessous), on peut aujourd’hui envisager d’éliminer la transmission du VIH de la mère à l’enfant ».
Vers une stratégie « vaccinale »
On les appelle les anticorps monoclonaux neutralisants. « Il s’agit d’anticorps humains qui sont capables d’empêcher la réplication du VIH », explique Philippe Van de Perre. Une seule injection de ces anticorps pourrait permettre de protéger contre une éventuelle infection pendant 4 à 6 mois. « Dans les régions du monde où le VIH circule beaucoup, en particulier chez les jeunes femmes, nous souhaitons administrer une injection de ces anticorps à tous les nouveau-nés à la naissance puis à 4 mois, à 8 mois et à 12 mois si l’enfant est encore allaité ».
Un programme qui concerne également les bébés dont la mère n’est pas infectée par le VIH à leur naissance : « en effet, si elle contracte le virus pendant l’allaitement, le nouveau-né est très fortement exposé. En faisant une injection quel que soit le statut VIH de la mère ont protège tous les enfants ». Cette stratégie dite d’immunoprophylaxie passive est d’ores est déjà en phase 2 de test afin de vérifier la bonne tolérance chez les enfants.