[LUM#13] Une recherche en accéléré
Comment fait-on face à une maladie nouvelle ? Identifier l’agent infectieux, comprendre cette maladie et rechercher un traitement efficace… L’apparition de la Covid-19 a représenté un « véritable défi » pour Jacques Reynes*. L’infectiologue décrit une situation « totalement inédite » où « tout s’est conduit en accéléré ». Rencontre avec le chef du service de Maladies infectieuses et tropicales du CHU de Montpellier.
Comment développe-t-on un traitement lorsqu’on se retrouve face à une maladie infectieuse jusque-là inconnue ?
La première chose à faire, c’est d’identifier l’agent infectieux. Une fois que l’on sait à quelle famille il appartient, on peut établir une liste d’anti-infectieux potentiels. Pour cela on s’intéresse en premier lieu aux molécules qui ont été utilisées dans le traitement d’infections voisines. Pour la Covid-19, infection liée au virus SARS-Cov2, c’était la troisième fois que l’on avait à faire à un coronavirus hautement pathogène, nous avions donc les données des épidémies de SARS-Cov 1 et de MERS-Cov. Cette première étape permet de rechercher un traitement dans l’urgence, mais la Covid-19 est vraiment une nouvelle maladie, complexe, avec une présentation clinique très polymorphe, et nous avions peu de produits connus potentiellement efficaces.
Que fait-on dans ce cas-là ?
Si on ne dispose pas de produits connus, on passe à une stratégie de repositionnement. C’est-à-dire qu’on envisage un médicament déjà utilisé pour traiter une autre maladie. Souvent les molécules thérapeutiques ont plusieurs cibles cellulaires, il arrive donc qu’une molécule évaluée pour une maladie spécifique puisse également être efficace pour une autre. Repositionner un médicament permet de gagner du temps : la molécule a déjà été évaluée en termes de toxicité et de tolérance. Pour la Covid-19, il y a eu une explosion de mises en place d’essais avec des produits de repositionnement, comme par exemple l’hydroxychloroquine initialement utilisée contre le paludisme ou pour soigner certaines maladies auto-immunes inflammatoires comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde ; le lopinavir/ritonavir utilisé dans l’infection VIH, ou encore le remdésivir, un antiviral à large spectre déjà testé contre le virus Ebola. Lors de la première vague de Covid-19, tous les patients ont été traités avec des produits de repositionnement.
Comment identifie-t-on les bons produits de repositionnement ?
Pour être un bon candidat, la molécule doit réunir plusieurs conditions. Tout d’abord elle doit avoir une activité in vitro contre le virus – en l’occurrence le SARS Cov-2 – c’est-à-dire qu’elle inhibe le virus. Mais il faut aussi qu’elle soit efficace à une concentration tolérable par l’organisme infecté. Si elle est efficace contre le virus seulement à une concentration toxique pour l’homme, ce n’est pas un candidat possible. Elle doit également avoir une pharmacocinétique ad hoc – il s’agit du devenir des médicaments dans l’organisme. Par exemple dans le cas de la Covid-19 le virus est présent dans les poumons, il faut donc trouver un antiviral qui atteigne cet organe en quantité suffisante pour être efficace.
Et après les tests in vitro ?
On procède à une évaluation de la molécule dans un modèle animal. Mais le choix du modèle n’est pas toujours simple, il faut que l’animal soit sensible au virus et qu’il développe la maladie dans une forme relativement similaire à l’Homme. Le remdésevir et l’hydroxychloroquine ont notamment été testés sur des singes macaques rhésus. Ensuite on lance des essais cliniques chez l’Homme. Il y a des produits très prometteurs, qui marchent très bien in vitro, mais se révèlent inefficaces lors des essais cliniques. C’est le cas par exemple de l’hydroxychloroquine pour laquelle les différents essais ont désormais démontré une efficacité minime ou nulle, alors qu’il s’agissait d’un produit de repositionnement logique. Et même une fois que l’on a identifié un candidat efficace, encore faut-il que le médicament puisse être rapidement produit à un coût acceptable. Pour l’instant 6 ou 7 antiviraux ont été testés.
L’inhibition du coronavirus est le principal objectif ?
C’est en un mais ce n’est pas le seul ! Avec la Covid-19, nous n’assistons pas simplement à une maladie virologique. On cherche donc un médicament spécifique contre le virus, mais aussi des médicaments actifs contre les complications de cette infection. Ainsi on peut observer des atteintes pulmonaires graves liées à une inflammation, conséquence d’un orage cytokinique. A ce stade on administre aux patients une corticothérapie et/ou des inhibiteurs de cytokines. Les patients sont également enclins à faire des thromboses vasculaires avec des phénomènes emboliques, justifiant une prévention ou un traitement par anticoagulants. Ce n’est donc pas un seul médicament mais un cocktail de médicaments qui doit être administré, avec un timing précis ! Par exemple la corticothérapie ne doit pas être mise en place en début de maladie, alors que les antiviraux sont vraisemblablement utiles en phase initiale où la multiplication virale est intense. Sans parler de la prise en charge non médicamenteuse : par exemple pour la Covid-19 on s’est aperçu qu’il valait mieux mettre les patients en réanimation en décubitus ventral, c’est-à-dire sur le ventre.
Est-ce que tout ce parcours pour mettre au point un traitement de la Covid-19 a été habituel ?
Ce n’est pas le parcours qui a été inhabituel, mais l’enchainement rapide des étapes, tout s’est accéléré ! Il y a eu un vrai changement d’échelle temporelle par rapport aux autres épidémies, c’est totalement inédit. Pendant le premier mois de l’épidémie on a appris tous les jours à mieux comprendre cette maladie ! Les études ont été mises en place en un temps record, ce qui prend 3 à 6 mois habituellement a été réalisé en 15 jours. C’est la première fois de ma carrière que j’assiste à une telle situation, et c’est un véritable défi nécessitant une grande réactivité !
* UMR TransVIHMI (UM, IRD, INSERM U1175, Université Check Anta Diop (Dakar, Sénégal), Université Yaoundé 1 (Cameroun))